Lettre ouverte
aux bons conseilleurs

par Jean-Louis Bianco, Julien Dray, Catherine Genisson, Jean Glavany, Paulette Guinchard-Kunstler et Marylise Lebranchu

Point de vue paru dans le quotidien Libération daté du vendredi 6 juin 2003




Jean-Louis
BIANCO


Julien
DRAY


Catherine
GENISSON


Jean
GLAVANY


Paulette
GUINCHARD-KUNSTLER


Marylise
LEBRANCHU


Cette lettre s'adresse à tous ceux ­ d'ailleurs peu nombreux ­ qui, depuis des semaines, se répandent dans les médias pour entonner le refrain « halte au Parti socialiste et à sa démagogie qui combat une réforme des retraites alors que c'est celle qu'il s'apprêtait à faire » ; à ceux qui, hauts fonctionnaires, intellectuels, maîtres à penser et, même, anciens ministres ou Premier ministre, précisent « nous sommes proches de la gauche »... Et s'acharnent à vouloir l'identifier à la droite.

A ceux-là nous voulons d'abord dire merci. Merci de nous aider ainsi. Proches de nous quand nous sommes au pouvoir, nous attendions de vous la même proximité quand nous n'y sommes pas.

Après vous avoir dit merci, nous voulons vous avouer autre chose : nous, signataires de ce texte, comme beaucoup d'autres qui partagent nos convictions, sommes des élus de terrain au contact et à l'écoute de nos électeurs. Et ces électeurs qui nous font confiance nous ont confié un mandat clair : NON à cette réforme qui porte atteinte à la qualité de notre système de protection sociale par l'abaissement notoire du niveau de nos retraites. Permettez-nous de vous dire qu'en démocratie, le mandat que nous confient nos électeurs est pour nous une feuille de route impérative.

Enfin, nous voulons vous mettre en garde : le discours sur le thème « il n'y a qu'une réforme possible, c'est celle-là et vous auriez fait la même » est un discours très dangereux pour la démocratie. Oui, nous croyons profondément que ce discours qui s'apparente à celui trop entendu l'an dernier « la droite, la gauche, c'est la même chose, elles mènent la même politique » n'engendre qu'une chose : l'abstention, le vote blanc ou le vote pour les extrêmes. Nous pensons que la pensée unique est, en cela, une menace pour la démocratie et que, justement, pour celle-ci, notre devoir est de présenter des propositions alternatives. C'est ce que nous faisons.

Venons-en au fond pour vous donner les éléments d'appréciation sur notre attitude dans ce débat.

 C'est vrai : durant ces cinq dernières années, nous avons engagé mais pas réalisé la réforme nécessaire. Mais, après le conflit de 1995, le dossier était singulièrement compromis et il fallait le temps de l'apaisement avant de le reprendre.

 Ensuite, nous avons livré avec efficacité la bataille pour l'emploi : plus de deux millions d'emplois créés en cinq ans, le nombre de chômeurs reculant d'un million. Or, cette politique active pour l'emploi est la première des solutions pour les retraites : plus d'emplois, ce sont plus de cotisants ! Avec nous, l'urgence reculait... Avec Raffarin et Fillon, le chômage, reparti à la hausse, est redevenu l'angoisse prioritaire de nos concitoyens.

 Nous ne sommes pas pour autant restés inactifs : le Conseil d'orientation des retraites a été créé et mis en place, ses travaux ont permis, au moins, un consensus sur le constat : plus personne ne dit aujourd'hui qu'une réforme n'est pas indispensable. En tout cas, pas nous, pas la gauche responsable.

 Enfin, nous avons créé le Fonds de réserve des retraites et l'avons alimenté de près de 17 milliards d'euros.

On voit donc assez bien qu'à défaut d'avoir fait « la grande réforme » nécessaire, les socialistes l'eussent préparée aussi sérieusement que possible.

Reste donc le projet d'aujourd'hui, proposé par Jean-Pierre Raffarin et François Fillon. Nous l'avons dit plus haut : une réforme est nécessaire. Mais nous disons que celle proposée par la droite n'est pas LA seule réforme possible. Une autre voie est possible. Nous voulons vous l'expliquer en deux mots : le 21 avril 2002, 20 millions de Français se sont abstenus ou bien ont voté blanc ou pour des partis extrêmes. Ils n'ont pas vu l'intérêt de voter pour un candidat des partis de gouvernement. C'est dire que nous sommes dans une crise démocratique majeure et que notre objectif doit être de reconstruire tous ensemble une citoyenneté de droits et de devoirs. En commençant par réhabiliter des outils de cette citoyenneté et notamment l'impôt. La République se construit autour de principes simples : le DEVOIR de payer des impôts ou des cotisations justes pour avoir DROIT à des services publics ou une protection sociale de qualité...

Pour aborder la question des retraites, la réponse citoyenne eut dû être : notre système de retraite, à cause de l'allongement - heureux ! - de l'espérance de vie va coûter plus cher car le nombre d'actifs par rapport aux inactifs ne cesse de décroître. « Êtes-vous prêts à payer davantage pour maintenir un bon niveau de retraite ? »

Et notre conviction est que les Français auraient répondu : « Oui, à condition que la répartition de cet effort soit juste. » C'est notre conviction... parce qu'ils nous le disent !

Au lieu de quoi la droite, prisonnière du dogme libéral selon lequel tout impôt est une charge insupportable par définition, surtout pour les entreprises, a décrété, d'entrée de jeu, qu'il était hors de question de toucher aux prélèvements obligatoires et donc... que les salariés cotiseraient plus longtemps, et qu'une fois retraités, ils toucheraient des pensions moins élevées ! C'est donc une réforme de RÉGRESSION SOCIALE. En cela, la droite est parfaitement cohérente : le niveau des retraites étant réduit, le besoin se fera naturellement sentir de fonds de pension et de la retraite par capitalisation... La boucle est bouclée !

C'est ce théorème dogmatique que nous contestons au nom de la citoyenneté et de la justice sociale. Et c'est à partir de la remise en cause de ce théorème que nous bâtissons notre solution alternative qui peut ainsi être équilibrée car reposant sur un plus grand nombre de variables négociables.

Notre projet alternatif repose ainsi sur trois volets :

 d'abord de nouvelles recettes : cotisations sociales (dès maintenant ! Pourquoi attendre 2008 ?), la contribution sociale généralisée, CSG (serait-ce un mauvais impôt ?), voire appel à de nouvelles sources de financement assises sur la richesse produite ou les bénéfices financiers non réinvestis ;

 ensuite des objectifs clairs en matière de niveau des retraites : minimum à 100 % du Smic, départ à 40 ans de cotisations, indexation sur les salaires;

 enfin, une méthode : la NÉGOCIATION ! La vraie. Avec tout le monde. Pour aboutir au nécessaire consensus sur un sujet aussi vital et éviter cette détestable division syndicale qui n'annonce rien de bon. Oui, une vraie négociation en partant d'un axe de discussion : la pénibilité du travail, qui est la seule bonne manière d'instiller de la justice sociale dans la réforme en prenant en compte l'inégalité criante des retraités devant l'espérance de vie.

Nous espérons que ces quelques mots vous auront éclairés et vous éviteront, à l'avenir, de porter jugement sans prendre en compte que la démocratie ce n'est jamais la confusion. Ce peut être parfois le consensus, mais une fois épuisée la confrontation des points de vue et des philosophies. C'est le plus grand service que l'on peut rendre à la démocratie.
Jean-Louis Bianco est député des Alpes-de-Haute-Provence
Julien Dray est député de l'Essonne
Catherine Genisson est députée du Pas-de-Calais
Jean Glavany est député des Hautes-Pyrénées
Paulette Guinchard-Kunstler est députée du Doubs
Marylise Lebranchu est députée du Finistère


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