L'émergence d'une gauche moderne est possible


Entretien avec Jean-Marie Bockel, maire de Mulhouse, paru dans l'hebdomadaire Le Point daté du 25 juillet 2003.
Propos recueillis par Aude Rossigneux
 

Comment analysez-vous la situation sociale de la France aujourd'hui ?
Elle est typique de ce que notre pays peut produire de pire en l'absence de négociations et de discussion : à la volonté apparemment inébranlable du gouvernement répond l'obstination d'une partie des partenaires sociaux. Forcément, on aboutit à un blocage. Cette « méthode » est un travers bien français - à droite comme à gauche, d'ailleurs : on impose des mesures par le haut, de façon autoritaire et centralisée, et on se heurte à un mur de refus de la part des partenaires intéressés. Notre pays doit évoluer vers une culture de la négociation, vers des rapports pacifiés et contractualisés entre acteurs sociaux. Certains pays européens y parviennent, notamment ceux de tradition sociale-démocrate ; la France doit y venir.

Le PS n'est-il pas cantonné à un rôle d'opposition, au détriment des propositions ?
C'est l'image qu'il donne à l'heure actuelle. Certains pensaient que le clivage entre « modernistes » et « archaïques » allait sinon disparaître, du moins s'atténuer à l'issue du congrès de Dijon. Il n'en a rien été. Dijon a été un congrès assez largement raté si on le ramène aux enjeux auquel est confronté le PS à quelques mois d'importantes échéances électorales. De nombreuses questions restent en suspens. Ainsi celle des alliances dans la perspective d'un projet de gouvernement, le concept de « gauche plurielle » n'ayant pas survécu au 21 avril. Encore plus fondamentale est la question du décalage entre le discours du parti (toujours plus à gauche) et ses actes une fois au gouvernement : c'est une position schizophrénique !

Ne manque-t-il pas finalement une voix forte capable de rassembler la gauche ?
Face aux enjeux que je viens d'évoquer, le PS a un peu tendance à se replier sur ce qu'il estime être la « source » unique et éternelle du parti, à savoir la source marxiste. Celle-ci s'avérant évidemment détachée des réalités qui sont les nôtres, il ne peut formuler des propositions concrètes en prise avec le réel de nos concitoyens. Il est bien plus confortable de se replier sur son petit cocon de croyances, sur un discours convenu (mais qui ne leurre plus grand monde), que de se remettre en question ! Avant de trouver la voix forte capable de rassembler la gauche dont vous parlez, il nous faudra donc redéfinir une pensée pouvant fonder la nouvelle doctrine de la gauche française. Certains auteurs comme Monique Canto-Sperber ont pu montrer qu'il existait une tradition, historiquement ancienne (au moins aussi ancienne que celle du marxisme), de « socialisme libéral » en France. Cette piste mérite d'être explorée.

Sur quelles bases le PS peut-il espérer retrouver une audience ?
Les outils au service de la gauche sont là, il suffit de les (re)découvrir. Comme il s'agit d'un travail d'abord intellectuel, la gauche voit fleurir beaucoup de clubs de réflexion, qui « phosphorent » pour reconquérir une audience. Bien que ceux-ci évoluent en marge du PS, ils peuvent fournir une base de réflexion. Il faut qu'ils commencent à travailler les uns avec les autres. Gauche moderne (le club que je préside) vient d'ailleurs de lancer une démarche « interclubs », notamment avec Jean-Baptiste de Foucauld et Bernard Kouchner.

Quel devrait être le discours de la gauche sur l'immigration ?
En cinq ans, la gauche n'a pas su définir une politique de l'immigration. Il a fallu attendre Sarkozy pour qu'une esquisse de politique apparaisse sur un principe simple : l'immigration zéro n'existe pas, et il faut en réguler les flux si l'on veut garantir une intégration sociale et républicaine. Dans l'ensemble, ce que fait Sarkozy me semble aller dans le bon sens, sur ce sujet du moins.

Que faites-vous encore au PS ?
Cela fait trente ans cette année que je suis au PS. Même si je suis sévère avec la gauche, ou parfois d'accord avec Sarkozy, je continue de me sentir plus proche des partis sociaux-démocrates que des partis conservateurs. Et je persiste à penser que l'émergence d'une gauche moderne est possible. C'est de l'intérieur que je compte faire bouger les lignes.

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