Le « New Deal » britannique :
une chance pour l'Europe


Point de vue signé par Jean-Marie Bockel, maire de Mulhouse, sénateur du Haut-Rhin, paru dans le quotidien Les Échos daté du 8 juillet 2005.
 
J'ai écouté le discours de Tony Blair au Parlement européen. Au moment où commence la présidence britannique, je crois en son appel à la modernisation de l'Europe.

Des paroles de Tony Blair, je retiens d'abord un discours de vérité et de responsabilité qui tranche sur tous les faux semblants. La crise est là, il faut savoir la nommer et accepter d'en répondre : le « non » à l'Europe témoigne de l'insatisfaction des peuples et de l'échec des politiques conduites. Oui, « il est temps de revenir sur terre, de se réveiller. Le peuple fait tapage sous nos fenêtres ». Son diagnostic est net : l'Union européenne a été fondée pour « rendre la vie meilleure aux citoyens » et « aujourd'hui, ils ne sont pas convaincus ».

Il ne suffit donc pas de décréter l'Europe politique, à travers la « déclaration » de Laeken, ou l'économie compétitive, par la proclamation de la « stratégie » de Lisbonne, pour les réaliser. La politique se juge aux actes et non aux effets de discours.

La nouvelle donne, c'est d'abord cela : l'observation attentive de la réalité et la valeur accordée aux résultats de l'expérience. C'est surtout un volontarisme politique qui ne cède pas sur ses ambitions de transformation sociale.

Voilà qui donne tout son sens à l'insistance de Tony Blair pour ne pas séparer l'Europe sociale de l'Europe économique : « La finalité de l'Europe sociale et de l'Europe économique est bien de se soutenir l'une l'autre. » L'Europe politique doit permettre de les articuler et d'y incarner nos ambitions. L'avenir institutionnel se joue d'abord dans les réponses que l'on apporte ou pas aux problèmes quotidiens des Européens. L'intégration grandissante ne se décrète pas a priori et abstraitement, elle naît de réussites et de solidarités effectivement réalisées. C'est au fur et à mesure qu'un destin politique et commun se dessinera.

Cessons donc d'agiter sans cesse l'Europe politique et l'Europe sociale contre l'Europe économique. Car l'échec économique a bien produit l'échec social (chômage de masse, insécurités diverses, crise de société) prolongé en crise politique et institutionnelle. Et ce malgré tous nos décrets et discours.

Alors oui, réussite économique, progrès social et vitalité démocratique sont bien interdépendants.

Pragmatisme et idéalisme : c'est en créant des richesses que nous sommes ensuite capables de les redistribuer, ce n'est que lorsque la question de la survie ne se pose plus que celle du vivre ensemble devient possible. Ce qui ne signifie pas que le succès économique soit suffisant mais qu'il est bien nécessaire à toute politique progressiste réelle.

Tony Blair nous invite donc à abandonner nos caricatures, « l'idée que la Grande-Bretagne serait le porte-drapeau d'une conception anglo-saxonne extrémiste de l'économie de marché où l'on écraserait les pauvres et les défavorisés ». Alors que la santé de l'économie anglaise (croissance soutenue, inflation contenue, déficit limité et taux d'intérêt réduits) a rendu possible le plein-emploi, la hausse du pouvoir d'achat, l'instauration d'un salaire minimum, l'amélioration des services publics et la lutte efficace contre la pauvreté. Non pas mécaniquement mais grâce à une politique volontariste, grâce aux investissements massifs en matière d'emploi, de recherche et d'innovation, d'éducation, de santé et de transport, d'aide à la famille, de sécurité. Politiques conduites par un Etat-providence décentralisé, déterminant les besoins au plus près des réalités, déclinant son action en objectifs pragmatiques et évaluant régulièrement les résultats de services publics dont il n'a pas le monopole.

Il ne s'agit pas là d'un modèle dont nous aurions à copier passivement les solutions. Ici aussi, le réalisme nous commande l'adaptation aux situations particulières, tant à l'échelle nationale qu'européenne. Il n'y a pas de recettes toutes faites, exportables à l'identique, capables d'apporter, à l'Europe et à la France, un bonheur sans nuance. Mais nous devons y trouver l'impulsion nécessaire et les grandes directions, pour inventer les nouveaux outils du progrès social.

Suivons Tony Blair lorsqu'il nous dit que seules des politiques en prise sur le monde d'aujourd'hui seront à la hauteur de nos idéaux. Lorsqu'il souligne que les défis qu'implique la mondialisation ne trouveront aucune solution satisfaisante dans le repli souverainiste ou dans la défense arc-boutée des anciennes formes de régulation.

Soutenons avec lui que répondre aux insatisfactions des peuples passe effectivement par une modernisation du modèle social européen fondée sur un nouvel essor économique. C'est en investissant dans la recherche et l'innovation, en augmentant les qualifications et en inventant les métiers de demain, en stimulant les créations d'entreprises et d'emplois, en sécurisant les parcours professionnels, que nous gagnerons, à toutes les échelles, la bataille du chômage. Et non en défendant, par toujours plus de réglementations et de dirigisme, des protections anciennes qui ne fonctionnent plus. La défense des emplois existants, du statu quo, n'a fait que générer le chômage de masse et les inégalités de destin. Seule la réussite d'une économie ouverte et globale, adaptée au flux des échanges mais inventant de nouvelles formes de protection, permettra la diffusion concrète du progrès social.

Tony Blair a peut-être compris avant nous, que le bien-être partagé et la confiance retrouvée, bien davantage que les seules idées, seront les moteurs des élargissements présents et à venir. Les Européens verront les chances, et non les menaces, d'une plus large Union lorsqu'ils auront l'abondance à mutualiser et non leurs craintes à partager.

Le budget européen doit en conséquence refléter ces nouvelles priorités et permettre leur application réelle. La réaffectation des ressources, sur fonds d'une nécessaire réforme de la PAC, dégagera de nouveaux moyens. Ils seront tournés vers cette modernisation qui est un mélange d'adaptation et d'invention.

Le « New Deal », qui se prolonge dans une nouvelle politique européenne de justice et de sécurité intérieure, de défense et de développement, est donc moins une somme de choses à faire qu'une nouvelle manière de faire. Il installe le travail politique dans la réalité des échanges et des rapports humains. Il le fait redescendre de son habituelle position de surplomb. Il s'agit donc, au-delà de la seule modernisation de l'Europe, d'un appel à une nouvelle pratique politique. Tel pourrait être le style d'un réformisme résolu faisant souffler sur l'Europe un vent nouveau.
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