L'échec d'une gauche trop peu réformiste


Point de vue signé par Jean-Marie Bockel, maire de Mulhouse, sénateur du Haut-Rhin, paru dans le quotidien Le Figaro daté du 31 mai 2005.
 
Les Français ont tranché : ils ont refusé le traité constitutionnel européen. Un non bigarré est devenu majoritaire : tantôt proféré au nom de la nation et de sa souveraineté, tantôt au nom de la conviction qu'un texte plus progressiste est nécessaire et possible. Nous ne savons pas encore ce que sera la couleur dominante de ce non et la direction qu'il donnera à la construction européenne.

Mais quoi qu'il en soit, la volonté générale a choisi d'exprimer une claire défiance. Pour nous, représentants du peuple engagés dans la construction européenne, c'est un échec sans appel. Trop longtemps occultée ou instrumentalisée, l'Europe que nous proposions n'a pu concentrer les convictions et la confiance. Dans un pays de chômage de masse, de précarité et d'exclusion, un discours politique qui ne soit pas de seule contestation se révèle largement inaudible. A tort ou à raison, ce traité n'a pas paru être à la hauteur des attentes et des détresses.

La crise est donc ouverte. Le divorce entre l'opinion publique française et le modèle économique, social et politique européen est désormais consommé. Avec à la clef une alternative : soit le non, porteur d'avenir, est à l'avant-garde de la construction européenne, soit, porteur de nostalgies diverses, il place la France en marge du cours de l'Histoire.

A gauche, les raisons d'une telle coupure paraissent toutes trouvées : le peuple ferait payer à l'Europe sa dérive libérale et au socialisme ses choix réformistes. Une gauche radicale et alternative serait appelée à conduire les luttes futures. Son credo est le refus de l'encadrement social-libéral du marché et l'appel à l'État, seul garant de l'intérêt général.

Mais croit-on vraiment aux bienfaits d'une recomposition anticapitaliste et antilibérale rêvant d'administrer l'économie et la société ? Cette victoire pourrait n'avoir la France que pour horizon et n'être que le dernier feu de paille de nos archaïsmes. Car elle survient au moment même où le coeur de la nouvelle Europe, qui bat dans les pays anciennement totalitaires, affirme son désir d'une Union indissociablement libérale et sociale. Désir d'un marché, producteur de richesses et d'échanges libres, désir d'une organisation juridique et politique créatrice de normes et de lois.

Osons le dire : l'échec du référendum signifie au contraire l'échec d'une gauche insuffisamment réformiste ! L'échec d'un socialisme qui n'a pas su réformer à temps ses concepts et ses pratiques.

Voilà où nous conduit la culture de l'ambiguïté qui fait campagne avec des accents gauchistes avant de gouverner sous les couleurs d'un réformisme honteux et inabouti. Voilà où mènent les diatribes qui confondent libéralisme pour lequel la priorité donnée au jeu des libertés individuelles suppose l'exercice de la justice et n'exclut nullement des formes de régulation et ultralibéralisme synonyme d'absence de règles et de loi du plus fort. Comment faire accepter un texte qui est si visiblement un compromis entre une aspiration libérale et une aspiration social-démocrate si l'on diabolise la première pour faire de la seconde un « rempart » social ?

Oui, la concurrence libre et non faussée est historiquement associée à la lutte contre les privilèges, les corporations et les monopoles. Oui, elle peut être un principe restaurant l'égalité et la justice lorsqu'elle remet en question des avantages protectionnistes les pays pauvres devenant dans certaines conditions les plus ardents défenseurs de la libéralisation des échanges. Comme elle peut, tout aussi bien, instaurer des rapports de force intenables.

Oui, l'intervention de la puissance publique peut favoriser le progrès social à travers l'instauration de normes progressistes. Comme elle peut, tout aussi bien, entraver les dynamiques de croissance et de développement en multipliant rigidités et distorsions injustes de la concurrence.

En se pliant sans cesse à la mythologie de la radicalité et à l'imaginaire national, républicain, teinté de marxisme, on a rendu impossible toute transformation des mentalités. Et ainsi toute relation possible avec la marche de l'Europe et du monde. Oui, l'extrême gauche a bien paralysé nos têtes et nos langues.

Comment comprendre dans ces conditions que le plein-emploi, la hausse des salaires et du pouvoir d'achat, l'amélioration des services publics, la lutte efficace contre l'exclusion et la grande pauvreté, soient des réalités pour l'Angleterre, la Suède ou le Danemark. Et qu'aucun de ces pays n'a pour cela fait le choix du dirigisme, d'un État providence centralisateur et égalitariste. Qu'ils ont su au contraire s'adapter aux nouvelles dynamiques sans renoncer à leur ambition de justice et de cohésion sociale. Ils ont articulé, à travers des voies différentes, libéralisation du marché du travail et sécurisation professionnelle, réaffirmant le rôle volontariste de la puissance publique tout en modernisant ses formes d'action.

A leur image, osons enfin un discours de vérité permettant au socialisme de lier sens des réalités, responsabilité et ambitions transformatrices. Brisons les tabous en reconnaissant le rôle social du marché dès lors qu'il est régulé, en célébrant l'esprit de compromis et de contrat, en appelant à la réforme d'une puissance publique au service de ses usagers, en démocratisant la société afin d'établir une égalité réelle et en préférant l'inclusion par le travail à l'exclusion et à l'assistance.

Pas plus aujourd'hui que demain, nous n'acceptons d'être coupé de l'ensemble de la gauche réformiste européenne. Nous ne saurions renoncer à être les acteurs de la transformation sociale, qui pour être concrète naît de rapports de force assumés et de compromis patients. Il y a des défaites qui doivent donner l'occasion d'un sursaut pour les hommes et les femmes de convictions. L'heure est au combat et à l'espérance.
© Copyright Le Figaro

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