N'oubliez pas la ville,
M. Raffarin !



par Jean-Marie Bockel, président de l'Association des maires de grandes villes de France; maire de Mulhouse, président de la communauté d'agglomérations mulhousiennes
Point de vue paru dans le quotidien Le Figaro daté du 4 octobre 2002.


 
La réforme de la décentralisation engagée par le premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin ne doit pas manquer son but. Déjà, en 1981 et 1982, au moment des votes des grandes lois de décentralisation présentées par Gaston Defferre, la région avait été instituée, le département conforté, les communes presque ignorées. Les villes et leurs agglomérations avaient été, quant à elles, purement et simplement oubliées. Il ne faudrait pas que, vingt ans plus tard, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin réitère la même erreur. Ce, d'autant plus, que les conséquences en seraient plus graves. Aujourd'hui, la France est urbaine. Plus de 80 % de nos concitoyens vivent en ville. C'est en ville que se joue, pour une large part, l'avenir de notre pays. Or, le silence actuel est assourdissant. Le projet de loi qui sera présenté le 16 octobre en Conseil des ministres dispose que l'organisation territoriale de la République sera décentralisée, la région élevée au rang de collectivité territoriale et, innovation essentielle, le droit à l'expérimentation reconnu pour tous. Enfin, presque pour tous. C'est là, précisément, que le bât blesse. Car en matière de dévolution de nouvelles compétences aux collectivités territoriales, il est surtout question des régions.

C'est sur ces dernières que les préoccupations du gouvernement se concentrent et que les feux de l'actualité convergent. Bientôt, les régions bénéficieront de nouvelles compétences pour accéder directement aux fonds structurels européens, gérer certaines catégories de personnel de l?Éducation nationale, entretenir les universités, prendre en charge le logement. De villes et d'agglomérations, il n'est point question. En aucun cas la dimension urbaine de la France n'est invoquée. Tout semble se passer comme si la France urbaine, c'est-à-dire la France d'aujourd'hui, était mise entre parenthèses et restait en dehors de la réforme engagée. Le risque est grand, dès lors, de voir se développer un débat coupé du réel, par trop technocratique ou, au contraire, par trop « notabilaire », comme si la France d'aujourd'hui n'était que la France des terroirs. Un autre danger, réel ou non, mais vécu comme tel, se profile à l'horizon. C'est celui de voir une tutelle se substituer à une autre. Et le « jacobinisme régional » prendre le relais de celui de l'État-nation. Rien ne serait pire que de voir au niveau régional une nouvelle forme de centralisme. Et de se libérer d'un carcan pour retomber dans un autre.

Il faut voir les choses en face. La réalité, aujourd'hui, c'est le couple région-agglomération. L'un ne va pas sans l'autre. L'un n'ira pas sans l'autre. Les agglomérations ne sont pas de simples points statiques sur des cartes géographiques. Elles constituent des pôles de développement, garants du dynamisme régional. Toutes les agglomérations rayonnent. C'est en fonction d'elles que, sur une distance de trente à cinquante kilomètres, l'on vit et l'on travaille et que l'on peut rester au « pays ». Les chercheurs le savent bien, eux, qui ont recours depuis des années à des notions comme celles d'« aires urbaines », de « pays urbains » ou de « bassins d'emplois ». Et le législateur lui-même l'a compris, lorsqu'il a introduit dans les contrats de plan État-régions, un volet territorial où le projet d'agglomération doit jouer un rôle essentiel.

« Paris et le désert français », cela fait désormais partie du passé. La page de la IIIe République a été définitivement tournée. Les villes de province ne sont plus des villes provinciales, somnolentes et quelque peu désuètes, vivant à l'aune des subventions décrochées à Paris. La France d'aujourd'hui fait partie de l'Europe. Une Europe des villes prospère et dynamique où la France a un rôle à jouer. Et ses métropoles une place à trouver. C'est en s'appuyant mutuellement les unes sur les autres que les régions et les agglomérations conforteront leur légitimité dans l'Europe en cours d'élaboration. Le premier ministre le sait. Il lui faut juste nous le confirmer.
© Copyright Le Figaro

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