Disputer les quartiers populaires au Front national | |
Contribution thématique au congrès national de Dijon présentée par Jean-Christophe Cambadélis, député de Paris. 18 janvier 2003 |
Les couches populaires ressemblent plus à l'environnement de « Sweet sixteen » de Ken Loach qu'à la « Bête humaine » avec Gabin. Pour disputer les banlieues au Front national, il vaut mieux le savoir. La misère a malheureusement aussi sa modernité. Il convient, avant de déployer le comment nous entendons reconquérir les couches populaires, de se mettre d’accord sur ce dont il s’agit. Il faut s’attaquer à ce nouveau défi. Nouveau parce que le PS n’a jamais été le seul représentant des couches populaires. C’est la crise finale du PCF qui libère cette demande de représentation, tout autant que la sociologie nous interpelle. Défi car il est peut probable,qu’un parti socialiste à 30 % des voix le soit durablement sans devenir un parti populaire. Le Parti socialiste est confronté à une stratégie qui peut sembler contradictoire : assumer son réformisme et conquérir les couches populaires. Tant il est vrai que dans l’imaginaire de la gauche, la réforme est identifiée aux couches moyennes et la protestation serait le véhicule des couches populaires. Est-ce si simple ? Il y a un populisme des couches moyennes et un solide esprit réaliste chez les ouvriers. Doit-on avoir une lecture aussi déterministe de la demande politique ? D’autant que trois phénomènes majeurs ont remodelé les couches populaires : l’hétérogénéité sociale, l’impact de l’immigration, la dislocation de la conscience de classe. Observons cela de plus près : la densité sociale de la classe ouvrière a été entamée en cette fin de siècle. « Un fait essentiel s’est produit en 1974 et 1980, la baisse du nombre des ouvriers qui suit cette de l’emploi industriel et qui s’accuse après le second choc pétrolier. La montée séculaire des ouvriers - elle datait presque d’un siècle et demi - s’interrompt. Elle fait place à une diminution irréversible et accompagne de profondes modifications intérieures », nous explique deux chercheurs de l’INSEE, Olivier Marchand et Claude Thelot. Comprenons nous bien, il ne s’agit pas de tourner le dos à la classe ouvrière mais de comprendre les mutations en cours pour mieux la reconquérir. Apprécions aussi qu’il ne s’agit pas d’opposer la classe ouvrière aux couches moyennes car c’est ici que réside la spécificité du Parti socialiste. Notre formation depuis le congrès de Tours ne s’est jamais vécue comme le parti de la classe ouvrière. Mieux, depuis Epinay, nous avons toujours conçu notre action comme une alliance de classes dans une tension critique avec le système capitaliste dominant. Constatons alors que la mutation du capitalisme s’est accompagnée de la modification de ce que l’on appelait la force de travail. De 1975 à 1982, les effectifs d’ouvriers qualifiés occupant un emploi n’ont augmenté que de 0,6 % en un an. De 1982 à 1984, le nombre des ouvriers qualifiés de type industriel en activité a pour la première fois régressé à un rythme annuel de 1,9 % l’an. La multiplication des statuts, catégories, l’effondrement du travail posté a produit distorsion et émiettement de la structure ouvrière. Les carreaux des mines ont disparu, la sidérurgie et ses usines spectaculaires se sont estompées, les chantiers navals ne sont dans les ports que traces qui rouillent. Faut-il évoquer Billancourt ? Nous voulons indiqué par là que si la relation capital-travail n’a évidemment pas disparu, l’usine s’est modifiée et la « qualification » de la force de travail a changé de nombreux réflexes de classe. En même temps, les inégalités se sont accrues au sein même de la classe ouvrière, elles se sont aussi développées dans le rapport entre celle-ci et la société. Le ravage du chômage, le progrès de l’illettrisme, la montée de l’individualisme, la dépendance aux drogues, alcools, ou drogues dures et douces, ont modifié la conscience collective. Alors que dans le même temps, l’effondrement du communisme, le passage de la gauche au pouvoir ont créé de grandes désillusions « quant à l’espoir d’un autre monde ». La crise du messianisme laïque semble insurmontable. Le bonheur sur terre ne pourra pas être l’oeuvre de la gauche Et c’est précisément à ce moment, à partir de 1974 que le regroupement familial a produit un afflux massif d’immigrés (1 088 182 immigrés ont fait souche en France en s’installant dans les quartiers dits ouvriers). Il y a donc dans ces quartiers une concentration de populations d’origines et étrangères. Elle est, en moyenne, deux fois plus nombreuse dans les quartiers en difficulté que dans l’ensemble de la population des villes. Les étrangers représentent plus du quart des habitants dans un quartier sur quatre. On assiste dans de nombreux quartiers à un phénomène d’éthnicisation qui expose de plus en plus ces territoires à des modes de vie communautaires. Mais ces enfants Français issus de l’immigration, Français depuis 30 ans, sont venus percuter une sociologie en crise. Un profond sentiment de relégation s’est mis en mouvement, chez les ouvriers habitant les cités. Il provoque un ressentiment vis-à-vis de toutes les représentations politiques. Dans le même temps, la discrimination ambiante vis-à-vis des Français issus de l’immigration, a provoqué une exigence de représentation qui n’a pas été capté par les forces de gauche. Un racisme diffus a fait son apparition. La demande de sécurité est montée en flèche. L’attention de la gauche contre le racisme a été perçue comme de l’autisme vis-à-vis de ceux qui souffraient, tout en ne satisfaisant pas ceux qui s’estimaient discriminés. La gauche était prise en ciseaux par cette double demande. Il nous faut pointer encore une évolution. La première est géo-social. Hier, c’était les usines qui étaient l’unité de base du prolétariat. Aujourd’hui c’est la banlieue qui est l’unité de base des couches populaires. Il ne s’agit pas là d’une constatation secondaire. L’usine groupait les ouvriers, leur concentration géographique permettait aux syndicats et aux partis de gauche de travailler ce milieu. L’émiettement des structures de production, le développement du mode de vie moderne avec sa surconsommation, ont déplacé le lieu même de la « résidence » ouvrière. Nous sommes passés de l’usine à la banlieue. Mais le rapport n’est plus le même dans l’usine, l’adversaire est le patron. Dans une banlieue c’est l’autre. Un sentiment diffus d’hétérophobie, la peur de l’autre voir la haine de l’autre s’est installée. La crise d’identité du prolétaire - combinée à celle de la France, de la République - fut à la base du développement du vote Front national. « Les conditions de la mobilisation et de la représentation de la classe ouvrière a changé et elle est sans doute devenue beaucoup plus difficiles à remplir que naguère. Il est plus difficile de mobiliser des salariés que le travail isole et met personnellement en question, que des salariés que le travail rassemble et soude dans un même effort. » (in Eric Maurin (L’Egalité des Possibles ; la république des idées-Seuil mars 2002) : Et les Français ont appris à connaître par médias interposés les noms parfois champêtres comme le Val Fourré à Mantes La Jolie ou de pure sécheresse technocratique comme “ les 4000 ” à La Courneuve. On ne sait situer les Minguettes (Vénissieux), mais on se souvient des rodéos du début des années 80. On ne sait pas exactement où est le Mas du Taureau (Vaulx-en-Velin), mais on se souvient qu’un centre commercial y a brûlé. Le Neuhoff est plus connu par ses voitures qui flambent à la Saint Sylvestre, que par son appartenance à la ville siège du Parlement européen. Les Tarterets (Corbeil en Essonne) et les Pyramides (Évry) évoquent d’abord des affrontements entre bandes rivales. Le Mirail à Toulouse est connu dans les mêmes termes, mais a aussi la chance de bénéficier de la notoriété du groupe Zebda. Mais pour une image positive, combien d’images négatives qui au-delà des réalités difficiles stigmatisent ces quartiers et leurs habitants. Aujourd’hui, l’ancrage populaire, la réalité commune des salariés les plus fragilisés par la précarisation des emplois se situent dans les quartiers populaires. C’est dans ces territoires que l’on retrouve les couches moyennes et ouvrières paupérisées, qui ne redoutent rien plus que de passer de « l’autre côté », de celui des exclus qui ne survivent que grâce aux éléments de protection sociale minimale que constitue le RMI, l’allocation de fin de droit… Les habitants de ces quartiers sont confrontés à bien des handicaps : chômage plus important, faiblesse de revenus, échec scolaire des plus jeunes, logement précaire, insécurité plus forte. Le taux de chômage a augmenté de 40 % dans ces quartiers durant la décennie 90 dans les 3/4 des zones urbaines sensibles alors qu’il diminuait notablement dans les agglomérations où celles-ci se situaient. Le chômage y est aujourd’hui deux fois plus élevé que sur l’ensemble du territoire. Est ce à dire que les habitants de ces quartiers ont été les oubliés des créations d’emplois sous le gouvernement Jospin ? En fait la réalité est plus complexe, mais aussi plus tragique : Ceux qui ont retrouvé un emploi stable et qui avaient la possibilité de quitter leur quartier l’on fait, remettant en cause, par là même, nos idéaux de mixité et de mobilité sociale. L’inégalité devant la formation initiale est patente lorsque l’on sait que les deux tiers des adolescents des 20 % de familles les plus pauvres sont en échec scolaire contre une toute petite minorité des adolescents des 20 % de familles les plus riches. Inégalités devant la formation professionnelle : les personnes sorties sans qualification de l’école reçoivent quatre à cinq fois moins de formation professionnelle que les personnes de niveau technicien. Comme le résume Henri Rey (Le malaise des banlieues-Presses de sciences Po 1996) : “ Le malaise des quartiers populaires trouve en effet son origine dans la concentration de trois processus qui s’appliquent à l’ensemble du territoire en exerçant des effets amplifiés dans les banlieues. Il s’agit de la crise du logement social, du chômage d’exclusion, et de l’intégration des populations étrangères. Aux effets de chacun de ces processus s’ajoute leur cumul sur un même territoire. ” Si nous évoquons cela c’est pour indiquer que la conquête des couches populaires ne peut-être épuisé par le triptyque salaire-retraite-antimondialisation. Cette réalité sociale se double d’une inquiétante crise de la représentation politique marquée par une forte abstention, un vote pour l’extrême droite important et l’absence d’élus représentatifs des populations vivant sur ces quartiers. En étant tenu à l’écart du progrès économique et social, les quartiers populaires sont des territoires qui constituent le Talon d’Achille de notre société, celui par lequel la misère et le désarroi peuvent devenir émeute. Rappelons nous la phrase de Victor Hugo : « La misère chargée d’une idée est le plus redoutable engin révolutionnaire ». Ceci est renforcé par la rupture de la conscience de classe, et la difficulté à apprécier une solidarité entre les habitants comme c’était le cas hier dans le monde ouvrier. Au contraire les couches moyennes et ouvrières paupérisées redoutent de se retrouver dans la situation des exclus et n’ont parfois pas de mots assez durs pour ceux qui vivent de “ l’assistanat permanent ”. Et les habitants les plus anciens vivent dans un rapport de peur permanent vis-à-vis des jeunes issus de l’immigration. C’est la peur du noir, comme le chantait Bernard Lavilliers. À la fragilité s’ajoute l’atomisation des relations sociales, traduction concrète de l’atomisation du salariat, qui laisse chacun isolé devant la difficulté. Combien de témoignages de terrain nous disent : « Je ne veux pas inviter mes amis avec ces jeunes qui squattent le hall, avec ces dégradations dans l’immeuble… » L’insécurité est plurielle : insécurité sociale, peur de l’agression, inquiétude vis-à-vis de l’avenir. Qu’il nous soit permis de dire un mot à ce stade sur l’insécurité et la politique du gouvernement actuel. Nul ne songe à reprocher au ministre de l’intérieur de mettre en oeuvre un volontarisme similaire à celui que nous avions nous-mêmes développé sur la question du chômage. Cependant, notre conviction est que le ministère de la parole s’est installée à l’Interieur. Ceux qui connaissent les difficultés rencontrées dans les quartiers populaires savent que leur résolution passe par une pluralité de dispositifs. En matière de sécurité, la prise en compte des faits, de leurs causes et de leurs conséquences, permet une réflexion et une action globale qui doit conduire à une politique cohérente, partenariale et dynamique. La suppression des emplois jeunes, la réduction drastique du nombre d’adultes relais, la baisse des subventions politique de la ville, la suppression de pions au profit de dispositifs de sécurisation passive dans les collèges et lycées (grilles et caméras) représente une diminution du nombre d’acteurs sociaux. C’est autant d’éléments stabilisants, de “ médiateurs ”, de présence physique dans des quartiers insécurisés, qui disparaissent. Ces acteurs qui travaillaient en partenariat avec la Police sur le terrain, chacun dans leurs rôles au sein de dispositifs initiés par la gauche, les C.L.S. ou la Police de Proximité... Lorsque ceci s’accompagne d’un retour à une police d’ordre, c’est-à-dire d’une police qui agit massivement et ponctuellement, plutôt que quotidiennement “ en proximité ”, et d’un arsenal législatif répressif, inapplicable (peine de prison pour squatte de hall) et stigmatisant, on peut craindre trois conséquences majeures : Isolement, impuissance et donc démotivation de la Police nationale. Se retrouvant seuls “ en première ligne ” les policiers vont avoir tendance à se
durcir sans pour autant gagner en efficacité. Désarmés, les acteurs sociaux vont se raréfier et c’est autant de dispositifs alternatifs à la délinquance qui disparaîtront avec eux. Stigmatisés par des lois “ symboliques ”, les jeunes risquent de se replier dans une vision excluante de la société, sans adultes référents susceptibles de les contredire. On ne peut prétendre recoudre les quartiers sur le plan de la sécurité quand les collègues au gouvernement du Ministre de l’Intérieur défont les dispositifs d’action
sociale qui permettent d’améliorer la situation dans ces quartiers. Ce que dit à Sarkozy est contredit par la politique du gouvernement. La gauche n’a aucun complexe à avoir sur ce sujet, elle a modernisé sa pensée ces dernières années, sans dégénérer dans le tout répressif, particulièrement sur le plan du rôle et de l’action de la police. Mais il nous semble que le champ de la prévention devrait être repensé. Ce secteur de l’action social n’a pas assez pris en compte l’évolution de l’adolescence, de la délinquance des mineurs, de la nécessité du partenariat… Dans ces conditions, la politique de Sarkozy est au mieux celle du cordon sanitaire, au pire de la poudre aux yeux. La politique de sécurité de la droite est vieille comme la Préfecture de Police de Paris et le second empire. Sécuriser les centres villes, coups de poing dans les faubourgs, il ne s’agit plus aujourd’hui de rassurer les bourgeois, mais d’impressionner les médias. Demain on s’apercevra, mais un peu tard, que l’effet Sarkozy ne dura que le temps d’un instant. Depuis 20 ans, la gauche a construit une politique publique originale pour répondre à la situation de ces quartiers. De la création de la commission nationale de développement sociale des quartiers en 1981 aux contrats de ville et aux grands projets de ville, en passant par les missions locales, la dotation de solidarité urbaine, la loi d’orientation sur la ville, la loi sur le renouvellement urbain, la politique de la ville a émergé dans l’espace des politiques publiques en deux décennies. Au-delà d’un bilan qui reste à faire, cette action publique nous semble marquée par trois dimensions politiques fortes : La discrimination positive qui vise à aider plus ceux qui ont le moins, qui procède du traitement des inégalités réelles et non-pas d’une affirmation formelle de l’égalité. Cette discrimination positive qui s’est incarnée par exemple dans les ZEP à l’Education nationale doit être revendiquée et assumée par les socialistes ; La volonté de prendre en compte la réalité globale d’un territoire à travers une politique transversale entre les administrations de l’état et partenariale avec les collectivités territoriales et les acteurs locaux. Cette volonté a conduit à la logique d’un état animateur pour reprendre la formule de François Donzelot, d’un état stratège dirions-nous. En ce sens la politique de Développement Social Urbain doit évoluer vers une politique de Développement Local Urbain. Ceci correspond à une volonté de décloisonnement de la Politique de la Ville et de sa mise en perspective au sein de territoires plus vaste que sont la commune ou l’agglomération. L’exercice démocratique à travers la volonté affirmée à chaque étape de cette politique de favoriser la participation des habitants. Même, si les chiffres de l’abstention, la faible participation aux instances de démocratie locale quand elles existent montre qu’il reste du chemin à parcourir. Mais cette volonté est la marque pour nous d’une conviction, c’est qu’il faut dans ces quartiers plus qu’ailleurs faire le pari de la société, faire le pari des citoyens et de leurs capacités à construire un vivre ensemble. Si la gauche a cherché des réponses en termes de politiques gouvernementales, les habitants de ces quartiers sont douloureusement absents des rangs du parti socialiste, qu’il s’agisse des salariés les plus fragilisés, des jeunes issus de l’immigration ou encore des responsables associatifs investi dans la politique de la ville. Le Parti socialiste doit prendre à bras le corps cette question et constituer un véritable secteur quartier populaire avec un secrétaire national chargé de son développement. Proposition :
Nous proposons qu’une Rencontre nationale des sections des quartiers
populaires soit organisée en y associant les responsables associatifs, militants
locaux qui agissent au quotidien pour retisser le lien social. Cette rencontre doit être le point de départ d’une action pour le renforcement du parti socialiste dans ces quartiers. Ce qui se joue là, c’est une grande partie de l’ancrage populaire de notre parti. La reconquête des quartiers populaires implique aussi que le Parti socialiste définisse de nouvelles stratégies d’implantation. Ces territoires, où vivent des populations socialement très fragiles, sont devenus de véritables friches du point de vu de l’intervention politique. Ils sont le lieu où s’expriment de manière quotidiennes les nouvelles formes de la conflictualité sociales (phénomènes de violences urbaines, chômage, exclusion, racisme… ). Au fil des années, les modes d’intervention sociale se sont fortement professionnalisé à travers notamment la mise en place de la Politique de la Ville. Les mouvements d’éducation populaires ont été confrontés à l’émergence d’associations de quartiers qui pour certaines d’entre elles se sont construites sur la base de revendication identitaire très prononcée. Pour redonner du sens à l’intervention publique et définir les contours d’un intérêt général partagé nous devons favoriser l’émergence de nouvelles pratiques politiques sur ces quartiers. Pour cela, le Parti socialiste, à travers la constitution de réseaux de militants intéressés par ces problématiques, doit s’immerger au sein de ces territoires. Ceci est un impératif pour retrouver, voir tout simplement trouver, une crédibilité auprès de catégories sociales qui n’ont pas voté pour nous lors des dernières élections. Mais pour partir à la reconquête ou la conquête de ces quartiers, il nous faut une doctrine. En effet, les conséquences des phénomènes que nous avons évoqués sont palpables : La gauche a été expulsée de ses thèmes, la liberté, l’égalité, la transformation sociale. La liberté d’abord ou le libéralisme a confisqué la liberté au nom de la liberté pour l’entreprise. La liberté pour la gauche, c’est la lutte contre toutes les aliénations. Si Marx nous parlait de l’individu contingent et personnel, l’individu subordonné au travail et l’individu personnel, il pointait que la liberté réelle est la réalisation de l’individu personnel. La liberté c’est les moyens pour que je l’exerce,pour m’émanciper de l’individu contingent c'est-à-dire de classe Pour cela, la formation, la qualification, la culture et de nouveaux droits pour l’épanouissement de chacun mais aussi pour mes enfants. En un mot la liberté en démocratie c’est l’ascenseur social. Nous devons définir comment le remettre en route. L’égalité, l’égalité formelle, nous le ressassons sans cesse, pourtant celle-ci fige plutôt que ne réduit les inégalités. Elle refuse de prendre en compte ce que Bourdieu appelait la reproduction de celle-ci. Alors oui, l’égalité formelle doit laisser place à l’égalité réelle. Elle passe par la proposition d’un état stratège qui se fixerait comme but de massifier les moyens la où les inégalités sont concentrées, un exemple ? La reconstruction des banlieues par la destruction massive des cités, le redéploiement des services publics, etc… Nous avons parfois parlé d’un plan Marshall des banlieues. Il nous faut faire de cet objectif une priorité nationale, l’un des premiers budgets de la nation ! Enfin, c’est aujourd’hui le capitalisme qui transforme la société. Et nous sommes contraints de passer des mors d’ordre : la lutte contre l’ordre social à la lutte contre le désordre social. Ces quelques exemples pour dire que nous avons un important travail de reformulation à produire, pour donner sens à notre République moderne. Ceci doit être la base de la redéfinition d’une politique en milieu populaire. Mais s’en tenir à cela serait idéologique ou insuffisant. Nous devons proposer de nouvelles formes d’intervention militante reposant sur le volontariat social. Chaque section du Parti socialiste devra recenser les structures, dispositifs ou associations intervenant dans les domaines du développement social existant sur les territoires de la géographie prioritaires de la Politique la Ville et constituer ainsi une véritable plate forme du volontariat. Elle devra être en mesure d’orienter les militants intéressés auprès de ces structures pour qu’ils puissent s’engager
dans des actions de solidarité : accompagnement scolaire, aide aux chômeurs, comités de locataires… Les sections concernées pourront proposer des modules de formation adaptés aux problématiques rencontrées sur ces territoires. Le contenu de ces modules devra permettre de faire le lien entre la nature de l’intervention militante et les objectifs généraux de notre formation politique (notre identité, explication des politiques publiques mises en oeuvre, de celles à mettre en place demain …). Les sections pourront réfléchir à créer elles-mêmes des associations pour répondre à des besoins et donner la possibilité à des militants d’intervenir sur la réalité sociale. Des campagnes de portes à portes seront régulièrement organisées. Une telle expérimentation aura par ailleurs l’intérêt de créer des liens d’une nature nouvelle entre le parti socialiste et les acteurs du mouvement social. Il nous semble indispensable que, dans cette logique, le parti socialiste affiche sa volonté d’un grand plan de développement de l’éducation populaire dans ces quartiers. Au-delà de cette volonté militante, nous souhaitons que soient ouverts quatre chantiers pour le développement local dans ces quartiers. Tout d’abord l’éducationAvec la création des ZEP, la gauche a voulu créer les conditions d’une véritable égalité des chances pour les enfants des milieux populaires. Force est de constater que les inégalités restent majeures en termes de réussite scolaire. La droite aujourd’hui propose, à partir du constat d’une démocratisation en panne de revenir sur l’objectif de 80 % d’une classe d’âge au
baccalauréat, de remettre la logique du collège unique, qui est de permettre à tous l’acquisition d’un socle de connaissances générales solides. Il ne s’agit pas d’être figé sur des débats théologiques pour ou contre le collège unique, mais de maintenir absolument l’objectif d’une réussite du plus grand nombre, de ne pas
admettre qu’il y aurait les voies d’élite pour certains et la sortie rapide du collège
pour les autres. Au-delà de cette volonté générale, nous voudrions faire deux
propositions. Nous savons que les conditions de logement influent fortement sur
la réussite scolaire. Comme le rappelle E Maurin : “ plus de 60 % des adolescents
grandissant dans des logements où les enfants sont à plusieurs par chambre
sont en retard au collège, soit une proportion de plus de vingt points plus élevé que
les autres adolescents. Plus du tiers des personnes qui ne disposaient pas d’une
pièce pour faire leurs devoirs au calme quand ils avaient onze ans est sorti du
système scolaire sans diplôme. Le taux de sans diplôme est près de deux fois
moins élevé chez les personnes ayant pu disposer d’une pièce pour faire leurs
devoirs au calme durant l’enfance ". Nous savons que nous ne résoudrons pas la
crise du logement du jour au lendemain, mais nous ne pouvons admettre que des
enfants échouent simplement parce qu’ils n’ont pas d’endroits ou faire leurs
devoirs. Nous proposons que le parti socialiste se prononce pour un plan de développement de locaux afin de permettre à chaque enfant de faire ses devoirs dans de bonnes conditions. Pour les enfants des milieux populaires, l’orientation vers la filière professionnelle rime souvent avec échec. Il ne suffira pas de proclamer l’égale dignité entre la filière générale et la filière professionnelle pour surmonter cette réalité. Il nous semble qu’il faut d’une part développer les possibilités de passerelles entre l ‘enseignement technologique et l’enseignement professionnelle par la poursuite de la transformation des LP en lycée polyvalents regroupant en leur sein ces deux filières, d’autre part ouvrir des BTS dans les LP des quartiers populaires afin d’avoir ainsi des filières d’excellence pour les jeunes qui auront la possibilité de poursuivre après le bac pro. Ensuite le logementcette question est essentielle tant les conditions de logement
ont une incidence sur le reste de la vie. On l’a vu sur la réussite scolaire, mais on
pourrait évoquer la santé et les conditions d’hygiène, les relations sociales avec
ses amis… Cette question doit être au coeur des préoccupations des socialistes
avec l’institution d’un véritable droit au logement. La demande réitérée de
nombreux parlementaires de droite de revoir les principales dispositions de la
SRU indique qu’elle est la pente naturelle de la majorité actuelle. Ensuite la place des jeunes issus de l’immigrationSoyons clairs, ces jeunes ne
sont pas des étrangers dans notre pays, ils ont la nationalité française, ils ont les
pratiques culturelles des jeunes de leur age, la question n’est pas celle de
l’intégration, mais bien celle de la place qui leur est faite dans la société française
à tous les niveaux. Il faut au sein du parti socialiste une action forte pour leur promotion ; il faut sur le plan de l’emploi, de l’accès au logement, poursuivre la politique de lutte contre les discriminations. Ces jeunes sont victimes d’une double discrimination d’origine et de quartier qui les renvoie souvent à la réalité de leur bas d’immeuble. Il faudra ici prendre en compte la situation particulière des jeunes filles issues de l’immigration. Quand celui qui a réussi ces études a autant de mal que les autres à trouver un emploi en raison de la discrimination, on est loin de la promotion républicaine. Ensuite la santéDevant les problématiques de santé des populations des quartiers défavorisés, il y a urgence à prévenir un nouveau processus de relégation Une récente étude sur l’état de santé des enfants de 6 ans en ZEP, réalisée en 1999, montre que les problèmes d’obésité, dentaires, de vue, de
troubles du langage sont plus importants chez les enfants en ZEP que chez les autres. Notre système de santé, basé sur la réparation de l’individu, est inopérant à traiter les processus à l’œuvre dans l’interaction entre fragilisation sociale et dégradation de la santé. La solution est à rechercher plutôt dans l’incitation à la modification de comportements et le développement de la responsabilité personnelle et mutuelle. Bref, à mettre en œuvre ce que l’Organisation Mondiale de la Santé prône depuis 1986, à savoir la Promotion de la Santé. Il s’agit de confèrer aux populations les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et d’améliorer celle-ci. La promotion de la santé est ainsi mise en oeuvre par et avec les personnes. L’idée est de favoriser et de consolider le potentiel de bonne santé et pas seulement de combattre telle maladie ou tel problème de santé. . Il est aujourd’hui acquis que la Promotion de la Santé a une réelle efficacité et que les stratégies mises en oeuvre peuvent créer et modifier les modes de vie ainsi que les conditions sociales, économiques et de l’environnement qui déterminent la santé. Nous proposons de créer dans ces quartiers des Territoires Prioritaires en Promotion de la Santé dans le cadre d’un volontariat des communautés d’agglomérations ou des communes sous l’égide de la Politique de la Ville. Enfin la familleOn évoque beaucoup la responsabilité des familles dans les actes
de délinquance de certains jeunes, dans l’absence de suivi de la scolarité.
Sébastien Roche (in La délinquance des jeunes. Seuil. octobre 2001) montre
dans son enquête sur la délinquance des mineurs que la veille parentale (dire à
ses parents où l’on va, rentrer à l’heure fixée, sortir après minuit sans les
parents…) est fortement liée au fait de réaliser des dégradations, des vols, des
agressions. Et les relations statistiques sont probantes quelques soit l’origine
sociale. Pour les enfants d’ouvriers et d’employés, si l’on compare les situations
où la veille est forte à celle où elle est faible, on trouve que 26 % déclarent des
dégradations simples contre 53 %, pour les vols de cueillette 27 % contre 62 %,
les agressions (bagarres), 14 % contre 35 %. Chez les enfants de cadre et
d’intermédiaires, si l’on compare les situations où la veille est forte à celle où elle
est faible, on trouve que 22 % déclarent des dégradations simples contre 48 %,
pour les vols de cueillette 27 % contre 63 %, pour les agressions (bagarre), 8 %
contre 30 %. On voit à la lumière de ces chiffres l’importance de la cellule familiale. Nous proposons que des accueils de soutien et d’aide aux familles soient mis en place dans chaque quartier populaire. Ces accueils dans lesquels se trouveront des personnels pluridisciplinaires (psychologue, assistantes sociales, assistantes maternelles, éducateur…) permettront aux parents de trouver écoute et appui en cas de difficulté, mais aussi aux moments de choix importants (mode de garde pour la petite enfance, entrée à l’école, entrée au collège, passage de l’adolescence). Ces éléments de réflexion n’ont bien sur pas vocation à épuiser le sujet, mais simplement à dire notre conviction absolue que l’avenir de la gauche se joue là aussi. Il passe par une réévaluation de ce que nous entendons par couche populaire, une reformulation de nos valeurs, enfin la définition d’une pratique politique. Le tout porté par un nouveau secteur du Parti Socialiste, chargé de ces objectifs. |
Liste des signataires : |
Jean-Christophe Cambadélis Paris Bernard Auby Puy-de-Dôme Farida Boudaoud Rhône Jean-Emmanuel Boulay Finistère Laurent Duclot Isère Isabelle Escoffier Paris Jean-Henri Gontard Vaucluse Anne Korobelnik Nord Akli Mellouli Val-de-Marne Mao Peninou Paris Evelyne Ribes Puy-de-Dôme Badr Slassi Val-d'Oise Jérôme Sturla Rhône |
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