Les habits neufs | |
par Jean-Christophe Cambadélis, député (PS) de la 20e circonscription de Paris. |
Plus de 800 000 chômeurs de moins en trois ans et demi, soit la plus forte baisse du chômage que notre pays ait connue depuis vingt-cinq ans. Voilà qui est peut-être la plus grande réforme qu'a réalisée le gouvernement de Lionel Jospin. Le gouvernement de la gauche plurielle n'a pas encore changé la France ; il l'a déjà transformée. C'est pourquoi, au-delà des inévitables aléas de la conjoncture, le lien qu'entretiennent les Français avec le gouvernement est et devrait rester solide. En dépit de l'euro et de la multiplication des grandes concentrations économiques et financières qui s'opèrent à l'échelle du monde, les Français ont le sentiment que les choix politiques qui sont faits (conciliation du marché et de l'Etat, de l'efficacité économique et de la justice sociale, de l'ouverture et de l'identité) sont le fruit d'une recherche permanente, par le gouvernement, d'un équilibre entre la reconnaissance des aspirations des citoyens et la nécessité de maîtriser les rythmes du changement. Encore fallait-il, pour que la gauche plurielle au pouvoir réussisse à concilier la fidélité aux engagements pris et le souci de l'intérêt du pays, que l'ensemble de ses composantes parviennent, sans fracture ni reniement, à mettre en œuvre dans la cohérence et la durée les réformes proposées. C'est ce à quoi nous avons travaillé, mois après mois, année après année, chacun dans nos formations politiques. C'est ce à quoi s'emploie, depuis juin 1997, le gouvernement de Lionel Jospin. Si bien qu'aujourd'hui, et pour la première fois dans son histoire, la totalité de la gauche est en passe de gouverner la totalité d'une législature. Cette situation inédite, et qui appelle l'avenir, est d'abord le produit non de circonstances électorales mais d'un pari stratégique agréé par la gauche alors en miettes, au lendemain de la défaite écrasante subie aux élections législatives de 1993. La gauche, qui assure tout le poids de l'action depuis maintenant trois ans et demi, n'est pas contrainte, cette fois, de faire une « pause » ou de négocier je ne sais quel « tournant ». D'abord parce que la gauche plurielle est, au départ, le fruit d'une convergence démocratique sur des objectifs maîtrisables de transformation sociale. Mais aussi, comme l'analyse le premier ministre, parce que, « à l'expérience des responsabilités partagées, chacune des forces de gauche, en participant à l'action gouvernementale et aux changements de société, se change elle-même ». Bien entendu, il existe entre communistes, Verts, radicaux et membres du MDC des analyses et des approches qui peuvent rester divergentes. Mais, au contraire de l'union de la gauche, où les protagonistes de l'époque peinaient à dégager de fragiles compromis, la synthèse politique nouvelle qu'incarne aujourd'hui la gauche plurielle témoigne, comme l'a indiqué Lionel Jospin dans son discours de La Rochelle, en août 1998,« d'une volonté commune de ses composantes en mutation à vouloir, dans le même temps et en un même mouvement, à la fois redéfinir leur identité et transformer la société ». A partir du moment où le clivage entre réformisme et révolution a perdu sa pertinence, où la dichotomie entre croissance et qualité de la vie s'est estompée, où preuve est faite qu'on peut gouverner à gauche à l'heure de la mondialisation, et où la gauche française, rassemblée, a réaffirmé le primat du politique sur le centrisme gestionnaire d'un Tony Blair, il est plausible de soutenir que la gauche plurielle évolue désormais dans un cadre de pensée convergent. Au sein de la gauche plurielle, les divergences sont devenues plus techniques que stratégiques ; la concurrence entre ses différents acteurs ne relève plus d'une compétition entre lignes alternatives mais d'une discussion sur le choix des moyens à mettre en œuvre à partir d'objectifs communs : transformer la société, refuser la société de marché, promouvoir une modernité partagée. Il paraît donc possible de confédérer durablement la gauche plurielle. La société française est en mutation rapide. La gauche plurielle aussi, qui est passée d'une culture de l'identité faite de clivages à une culture de coalition faite de compromis majoritaires librement consentis. Le temps me semble venu d'ouvrir un nouveau cycle d'élaboration politique entre toutes les composantes de la gauche plurielle : celui d'une coalition durable. L'objectif de la période à venir est, à mes yeux, de favoriser une alliance entre des groupes sociaux différents qui, s'ils ont des intérêts spécifiques, voire divergents, se retrouvent sur des préoccupations communes : réduction du chômage, recul de la précarité, amélioration du système éducatif, consolidation de la protection sociale, rénovation du milieu urbain… Le temps où nos formations politiques visaient principalement à la défense des intérêts de classes sociales caractérisées, dont elles se disputaient d'ailleurs la représentation, est aujourd'hui révolu. Elles cherchent maintenant, chacune selon ses différences et ses nuances, à être en phase avec une base sociale dont les intérêts sont bien plus larges que ceux de telle ou telle catégorie. C'est dans cette perspective que la visée de la gauche plurielle est de trouver des compromis entre ce qui est bon à la fois pour la société dans son ensemble et pour les différents groupes sociaux dans leurs spécificités relatives. Elle est, en vue des échéances politiques à venir, d'élaborer un projet qui s'appuie davantage sur un pragmatisme éclairé par des principes que sur une doctrine ficelée de bout en bout. Déjà, à l'occasion des élections régionales de 1998, la gauche plurielle, assise sur des programmes communs régionaux, a conquis, en listes d'union, sept nouvelles régions et renforcé aussi la représentation de chacune de ses composantes. La gauche est de même invitée à adopter une démarche similaire aux élections municipales de 2001, conformément à la tradition d'unité qui est la sienne à ce scrutin. Comment envisager de manière cohérente et efficace les élections législatives de 2002 ? On pourrait difficilement comprendre qu'après avoir été unis sur l'essentiel pendant cinq ans les gauches et les écologistes s'affrontent pour s'unir à nouveau au lendemain de celles-ci. Il n'est pas plus soutenable, actuellement, que, membres de formations différentes, nous présentions une unité organique électorale sur un programme commun. Le PCF ne le souhaite pas, les écologistes revendiquent leur autonomie, les radicaux et le MDC tiennent à leur physionomie. Pourtant, il n'est pas plus opérant d'imaginer reproduire une alliance à la carte dont le PS serait le seul dénominateur commun. Ce serait pour nos partenaires une façon paradoxale d'entériner une prétendue hégémonie du PS qu'ils nous disent refuser. Le simple accord électoral de second tour n'a pas plus de sens : il ajouterait la confusion à la désunion. Alors, il nous faut combiner continuité, convergence et autonomie. Il ne me paraît pas hors de notre portée de travailler à un programme minimum, un contrat d'avenir qui soit un socle d'engagements communs. La gauche plurielle indiquerait ainsi la base de son unité tout en laissant à chaque formation « le choix des armes » pour manifester son autonomie. Configuration politique moderne, jalousée à droite, réputée en Europe et au-delà comme un possible modèle politique où chacun apporte à l'autre et réciproquement, elle est notre socle commun et notre bien le plus précieux. |
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