UE : le piège du référendum

Jean-Christophe Cambadélis

Tribune signée par Jean-Christophe Cambadélis, député de la 20e circonscription de Paris, parue dans le quotidien Libération daté du mardi 27 avril 2004
 
Droite gauche... Gauche droite.... De tous les points de l'échiquier une invraisemblable union nationale monte pour le référendum. L'argument a l'air de bon sens, et il se drape dans la démocratie. Nul ne saurait se dérober à la nécessité de consulter le peuple, cela va de soi. Pourtant, la tournure du débat sur la ratification du traité constitutionnel européen est en train de prendre une dimension pour le moins surréaliste. Chacun joue à la roulette russe en ayant pris soin de charger la totalité du barillet.

Certes, depuis le revirement brutal de Tony Blair sur la question, trois pays ­ outre le Royaume-Uni ­ ont fait le choix du référendum. Il s'agit de l'Irlande et du Danemark, où la Constitution nationale oblige à soumettre au peuple tous nouveaux traités européens, et du Luxembourg qui organisera son premier scrutin de ce type depuis 1936.

En France, une étrange urticaire référendaire démange la société politique alors que cette dernière a constitutionnellement le choix des armes. Les tenants de droite à l'opposition au projet de traité, Le Pen, Pasqua, de Villiers auxquels il faut ajouter le séguiniste Dupont-Aignan, exigent un référendum au nom de la « souveraineté populaire ». Le Parti communiste, les extrêmes gauches, Jean-Pierre Chevènement veulent aussi un référendum pour dire non à l'Europe libérale que le traité codifierait.

Franchement, les eurosceptiques emportés par leur élan prennent pour eux-mêmes un risque invraisemblable au regard de la nature d'un texte qu'ils mystifient. En effet, on ne voit pas pourquoi les partisans d'un souverainisme national ou républicain prendraient le risque de voir plébisciter le traité. Car cela lui conférerait une légitimité populaire qui pour le coup poserait un problème difficilement surmontable pour les dits partisans de la souveraineté nationale.

Evidemment, on imagine parfaitement qu'il s'agit là seulement d'un propagandisme démocratique visant à démasquer les tenants de la Constitution, tout en pensant que ces derniers n'oseront pas passer par la voie référendaire. Car, si l'idée est de bloquer toute avancée institutionnelle, on ne voit pas ce qu'il y aurait à gagner ­ de leur propre point de vue ­ à une Europe marché. En quoi la souveraineté ou la République gagnerait-elle dans la défaite d'une avancée politique et dans la codification en creux, et pour longtemps, du seul grand marché, lui-même renforcé par l'élargissement ? Si on comprend bien cette tactique, soit les souverainistes sont battus et c'est l'Europe en pire, soit ils gagnent et c'est l'Europe libérale pour longtemps.

Quant à la gauche ! Les partisans de la Constitution enfourchent, dès qu'ils le peuvent, la thématique du référendum. Indépendamment du fait que ce dernier n'est pas tout à fait dans les canons de la gauche, il y a, on le comprend, l'idée de faire porter à Jacques Chirac la responsabilité d'entériner un texte jugé peu porteur dans les couches populaires. Bien, mais admettons que Jacques Chirac organise le référendum et le perde. Non point au regard du texte lui-même, mais du rejet dont il fait l'objet. Brillante manoeuvre que celle qui conduirait les partisans à gauche de la Constitution à bloquer celle-ci à travers un référendum incertain. Comme quoi un trop plein de tactique européiste peut conduire à une dépression européenne. Mais ne nous arrêtons pas là. Imaginons une campagne référendaire, où d'un côté les partisans du non de droite et ceux de gauche se retrouveraient politiquement bras dessus, bras dessous... Bonjour la confusion. Et de l'autre, le PS, les radicaux, les Verts traîneraient les pieds pour le oui à la remorque de Chirac et de Raffarin. Bonjour l'image des tréteaux partagés avec Sarkozy et Barnier ! A moins que le PS ne choisisse l'abstention après avoir revendiqué le référendum. Bonjour le parcours !

Et je n'ose même pas envisager le parti que Jacques Chirac tirerait d'un référendum gagné. Alors, si on comprend bien la gauche européiste, soit ils sont battus et c'est l'Europe en panne, soit le référendum triomphe et c'est Jacques Chirac qui gagne.

Voilà pourquoi, au lieu d'agiter le référendum, les partis de gauche s'honoreraient à se battre ensemble pour un nouveau cours européen. Mieux, il est temps, il est possible que le PSE propose aux écologistes là où ils existent, aux Partis communistes là où ils le souhaitent un programme commun européen et social.

Pour le reste, gardons à ce texte sa véritable nature, celle d'un traité. Les socialistes, pour leur part, se prononceront de façon interne là-dessus. Face à un rapport de force libéral dénoncé sur tous les tons, ce traité peut paraître acceptable. Laissons aux parlementaires européens le soin de porter à Strasbourg et Bruxelles ce que serait une vraie Constitution. Pointons la campagne à relents xénophobes de de Villiers en attendant celle de Le Pen. Elle qui, sous couvert de combattre l'entrée de la Turquie dans l'Europe, tente de capter un sentiment prétendument anti-islamiste. Il est d'ailleurs dommageable que le président de l'UMP, Alain Juppé, ait osé mettre ses pas dans cette forfaiture. Refusons d'alimenter le faux clivage démocrates-européistes contre républicains-souverainistes. Les socialistes, les Verts n'ont pas la même conception de l'Europe que les libéraux. Les communistes et les extrêmes gauches n'ont rien à voir avec de Villiers ou d'autres. Le problème du jour n'est pas d'agiter un référendum qui ne dépend pas de nous mais de crédibiliser le cours nouveau qui se dessine en Europe au moment où la «troisième voie» blairiste qui a dominé à gauche depuis une décennie semble reculer.

Après la victoire du PSOE en Espagne, le résultat des régionales en France, la nécessité en Grèce devant la défaite annoncée de Simitis d'en appeler à Papandréou, on note un changement d'attitude dans le PSE, une tentation sociale nouvelle. La majorité en Europe des gauches et des écologistes où les tenants d'une politique centriste céderaient le pas aux « socios » a plus de sens et serait plus productive qu'un débat frelaté autour d'un référendum piégé.

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