Les sept travaux
du Parti socialiste


par Jean-Christophe Cambadélis et Pierre Moscovici.
Point de vue paru dans le quotidien Le Monde daté du 21 octobre 1993.




Jean-Christophe
Cambadélis



Pierre
Moscovici



A quoi sert la gauche ? Comment faire émerger une nouvelle donne ? Pour répondre à ces questions légitimes, sept travaux attendent le Parti socialiste.

Penser un nouveau modèle pour l'emploi

Le chômage et le creusement des inégalités sont aujourd'hui les problèmes centraux de la société française et de l'Europe. Les remèdes orthodoxes que nous avons appliqués au pouvoir, la politique de flexibilité salariale de la droite ne sont pas adaptés à la crise actuelle de l'économie européenne, où la récession coexiste avec la déflation.

Il s'agit donc désormais de penser un nouveau modèle. Nous devons nous acheminer vers une autre conception de la société, faite de fluidité sociale face à la société duale, d'économie de partage face au chômage. Il ne s'agit pas d'une gestion de la pénurie, mais d'une croissance d'un type nouveau, d'une nouvelle sociabilité. Cela suppose de remettre l'emploi au cœur de la politique économique et sociale, et pour cela d'explorer toutes les pistes, sans tabou. Chacun sait que la réduction du temps de travail sera au centre de cette recherche, même si ses modalités font débat. Les maîtres mots en la matière seront diversité, négociation et redistribution. Initiative européenne de croissance, mais aux moyens décuplés ; création massive d'emplois dans les services ; transformation des dépenses consacrées à l'indemnisation du chômage en dépenses pour l'emploi ; recherche d'une croissance durable, respectueuse de l'écosystème. Il faudra avancer dans toutes ces directions, tout en sachant que la recherche de ce nouveau modèle se heurte au pessimisme des idées et à la perception par nos concitoyens d'une politique désormais impuissante.

Promouvoir un nouvel internationalisme

Peut-il exister un nouvel ordre international dans le désordre mondial que nous vivons ? Partout les signes de décomposition s'accumulent. L'Europe subit avec la crise monétaire son échec le plus rude, et est menacée de parcourir l'Histoire à l'envers. Le conflit commercial avec les Etats-Unis témoigne de la crise du libre-échange en période de récession. A l'Est, la guerre civile, hier rampante, est devenue ouverte en Russie. Comme l'a dit Bronislav Geremek après les élections en Pologne, les limites du modèle libéral en période de décommunisation se vérifient là. Au Sud, la démocratie est toujours aussi fragile.

Pourtant, il nous faut inventer de nouveaux ensembles, basés sur le droit, la démocratie, l'échange et l'égalité. C'est possible, comme nous le montrent Israël et l'OLP. Et une Europe forte peut contribuer à porter ce message, même si elle est contestée par les opinions et se trouve confrontée à la montée des nationalismes.

Refaire l'Europe

L'idée européenne est menacée. La droite libérale, en France et dans tous les autres pays européens, met aujourd'hui l'accent davantage sur la dérégulation que sur la construction européenne. Les thèses nationalistes, défendues à droite par Philippe Séguin, à gauche par Max Gallo, progressent dans une opinion de plus en plus encline à opposer l'Europe et le social. Pourtant, l'alternative politique, celle du partage, celle d'un nouveau modèle de société, est européenne. La croissance et l'action publique en un seul pays sont devenues impossibles. Sans monnaie européenne, le système monétaire international, déjà fragilisé, implosera. Faire l'Europe est aussi un impératif démocratique : comme le dit Jacques Julliard, le nationalisme est une idée déshonorée.

Le traité de Maastricht, qui postulait la convergence des économies, a sans doute vécu. C'est un dépassement que nous préconisons. L'Europe que nous voulons n'est pas européiste : c'est une Europe sociale, une Europe protectrice, une Europe militante. Nous croyons à la nécessité de la relance européenne, même si nous savons qu'un nombre croissant de français identifient l'Europe à la récession et au chômage.

Proposer une nouvelle offre politique à gauche

En France, l'urgence est de proposer une nouvelle offre politique, à gauche. Le gouvernement d'Edouard Balladur connaît aujourd'hui une popularité remarquable. Pourtant, que d'erreurs. Erreurs économiques, avec une politique axée sur l'offre des entreprises, alors que c'est la demande des ménages qui fait défaut. Erreurs sociales, avec les ponctions répétées sur les salariés, la fragilisation du contrat de travail, la détérioration des retraites. Erreurs politiques, avec la recherche de boucs émissaires, étrangers de préférence, plutôt que celle de solutions de fond aux problèmes de la sécurité, de la drogue, de la vie en ville. Les apparences sont trompeuses : cette expérience court à l'échec, et la déception risque d'être aussi vive qu'est aujourd'hui forte l'illusion. S'il n'y a pas, très vite, élaboration d'une nouvelle offre politique, d'une nouvelle gauche, le populisme qui partout progresse risque de l'emporter, débouchant sur une crise non seulement du système politique, mais de la démocratie elle-même.

La gauche doit construire cette offre politique en indiquant clairement son droit d'inventaire dans le bilan, en marquant les ruptures qui s'imposent. Cela bien que nous soyons conscients que les socialistes et la gauche, durement touchés lors des élections législatives, ont perdu le rapport de force d'avant 1981.

Refonder toute la gauche

Chacun s'accorde désormais à dire qu'il n'existe pas de mécanisme d'allocation des ressources alternatif au marché, tout en estimant que le capitalisme, naturellement producteur d'inégalités, n'est pas la fin de l'Histoire. La nécessité d'un Etat fort mais svelte est aujourd'hui reconnue par tous. Face aux défis écologiques majeurs, la volonté de respecter la planète et de garantir les conditions de vie des générations futures est un impératif qui ne connaît pas de frontières : n'oublions pas Tchernobyl ! Les bases d'une recomposition politique de la gauche, sur un nouveau modèle de croissance, sont désormais posées. La refondation d'un parti de toute la gauche est notre perspective historique, même si elle suppose un processus dont nous savons qu'il sera long, difficile, qu'il n'ira pas sans heurts ni à-coups, tant la mémoire et ses blessures, les différences de culture et de tradition militante, les problèmes de fond aussi, viennent perturber cette trajectoire.

Bâtir un nouveau compromis générationnel

La jeunesse, la communauté de génération, n'ont jamais été une donnée objective, ni un argument en soi : mais le renouveau est, dans la période qui s'ouvre, un atout et une nécessité. Par-delà les anciens courants, l'unité des socialistes est un impératif. Cela suppose d'ignorer les enjeux de pouvoir, pour trouver un compromis générationnel sur un nouveau projet. Injustement pour la plupart, justement parfois, ceux qui ont porté, dans toutes les familles de gauche, le projet des années 70 et 80 sont atteints dans l'opinion ; mais, sans les meilleurs d'entre eux, la gauche est sans voix. L'équilibre entre les temps de la politique - passé, présent, avenir - et entre ceux qui les incarnent permettra un nouvel élan.

Gagner l'élection présidentielle

Allons, là aussi, au-delà des apparences. Aujourd'hui, la gauche est au plus bas dans l'opinion, son message n'est pas entendu, et nul ne donne une chance sérieuse à son candidat à l'élection présidentielle, quel qu'il soit. En vérité, la crise est à droite. Car la politique d'évitement des difficultés conduite par Edouard Balladur ne dupera pas longtemps les Français. Et la confrontation des candidats à la candidature, au sein du RPR entre Balladur et Chirac, entre le RPR et l'UDF avec la perspective d'un tragique remake Giscard-Chirac, si ce dernier survit, laissera des traces. La gauche doit faire de l'aphorisme de Kant " faire comme si la chose qui ne sera peut-être pas devait être " son principe premier. C'est de la refondation de la gauche que dépend l'éventuel succès, aujourd'hui si difficile, à l'élection présidentielle. La droite va vite souffrir d'un trop plein. La gauche, elle, n'a pas le choix : elle doit opposer à la concurrence des ambitions les convergences d'un projet.

A quoi sert la gauche, en effet ? Elle sert à modifier l'issue de cette période, d'abord en France ; mais la France est au coeur de l'Europe. Personne d'autre qu'elle ne peut faire face aux nationalismes, inventer la société du temps choisi et imposer une nouvelle sociabilité. La gauche est la seule à pouvoir, par sa présence dans la société et sa volonté de la transformer, engager un sursaut populaire pour sauver l'Europe - mais une Europe dans laquelle la gauche se retrouve. Ainsi, modifiant l'avenir, nous en serons les héritiers.


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