Les raisons d’un tsunami

Jean-Christophe Cambadélis
Point de vue signé par Jean-Christophe Cambadélis, député de la 20e circonscription de Paris (30 mai 2005)


 
Dans un climat très années 30 où la critique du libéralisme est faussement entre nostalgie nationale et utopie sociale, la division du PS libéra la colère noire française. Lors du référendum de Maastricht, ce fut la division du RPR qui le permit ; c’est aujourd’hui au tour du PS. Il faut pour autant analyser les raisons de ce mécontentement structurel français et, pour tout dire, européen. Les peuples de l’Europe manifestent leur désarroi, leur mécontentement devant ce qu’ils estiment une incapacité des élites à maîtriser la mondialisation. Nous vivons sous l’empire de la démocratie punitive. Les opposants sont le vecteur du ressentiment. De ce point de vue, la potion libérale de Jacques Chirac, Sarkozy, Raffarin, dans un rapport de force électoral artificiel dû à 2001, est la principale source du rejet. Le refus du Président de la République de changer Raffarin pour Sarkozy a fait monter la réprobation à des niveaux inégalés. Le problème de la durabilité, c’est-à-dire du contrat entre les peuples et leur représentation, devient la question démocratique.

Enfin, devant les risques et les coups de la mondialisation, une partie de la France a envie de rentrer à la maison.

Les trois phénomènes étaient déjà à l’œuvre lors du 21 avril. C’est la raison pour laquelle nous avions pronostiqué, il y a un an, le risque d’un piège interne et externe pour le PS. On a voulu l’instrumentaliser et l’on n’est pas récompensé.

Quelles sont les conséquences ?

L’Europe est aujourd’hui en panne, sans compromis praticable. Au-delà des regrets et de l’agitation consternée, la voie pour trouver un chemin à la politisation de l’Europe est momentanément bouchée. L’Europe restera pour quelques années un grand marché. C’est la deuxième fois que la France, après l’échec de la Communauté Européenne de Défense, barre la route à l’Europe politique. Il n’y a rien d’étonnant. Nous avons toujours pensé que l’Etat Nation français renâclerait à des mutualisations de souveraineté.

La France entre, elle, dans une phase de délégitimation Européenne et de décomposition politique. La constitution, la France en avait fait la demande. Une communauté de destin à l’Europe était le dessein politique de la France. La France ne sera pas moteur mais au mieux contrepoids en Europe. Mais, en France, la critique rongeuse des faits démontrera que le NON ne stoppe ni les délocalisations, ni le chômage, ni le dumping social. La dépression française due à sa fragmentation va s’accentuer devant l’amertume qui suit l’espoir fallacieux. Heureusement que Jean-Marie Le Pen a 20 ans de trop... Jacques Chirac lui, peut être tenté de laisser la situation aller, voir l’accélérer par une dissolution, pour en être le seul point fixe. Mais n’a-t-il pas aussi pour ce faire quelques années de trop... A la désespérance sociale se combine l’évanescence politique entre conflit Chiraco-Sarkozien qui frise le vaudeville et une gauche qui à chaque occasion se mutile.

La gauche est en état de sécession :
    a) La majorité du PS a subi une défaite et son premier secrétaire un échec.

    b) La crise du leadership combinée à la crise programmatique et stratégique entrave la recomposition d’une offre durablement praticable.

    c) La gauche de contestation a gagné la seule et peut-être la dernière bataille qu’elle pouvait emporter : un référendum. Voilà qui ne plaidait pas, encore une fois, pour cette démarche. Mais elle le fait sur l’idéologie d’un astre mort. Celle du PCF... La victoire posthume de Georges Marchais sur François Mitterrand, « l’Etat Nation plus protecteur et la démagogie sociale comme seul vecteur ». Dans une France qui souffre face à l’incroyable « octroi » salarial des patrons et des élites, c’est un mélange éphémère mais performant. Ni l’Européisme sceptique de Fabius, ni l’internationalisme tonique de Besancenot, ni l’altermondialisme de Nikonof n’ont coalisé le « non » de gauche. C’est le PCF qui a fait le lien à gauche. Quant à la victoire, si la gauche de la gauche a cartonné dans les médias, si elle a entraîné grâce à un certain éclat, c’est aussi parce que Le Pen s’est fait discret. Lui l’anti-communiste de toujours peut se mélanger dans une élection à l’ennemi pour mieux triompher de la gauche. Décidément les mois de mai ne se ressemblent pas.

    d) Il reste donc un PS défait et une gauche de contestation qui croit à son méfait.
Où allons-nous ?

L’avenir de l’Europe est incertain, celui de la France ne l’est pas moins. Quant à la gauche, elle est à la croisée des chemins.

Le PS doit refonder ses pratiques collectives et fonder son ancrage réformiste. La gauche du « non » doit forger son union et, au-delà de la contestation, promouvoir des propositions. Si ces deux destins sont accomplis, un compromis durable peut être construit. Sinon, la gauche ne sera pas une alternative et celle-ci a toutes les chances de se produire à droite. Dire que le PS doit abdiquer son réformisme pour pratiquer une union de circonstances, c’est provoquer la défiance du camp de la réforme et la méfiance du camp de la contestation. Parier sur le rejet pour unir des gauches, son projet c’est laisser un champ à l’alternative dans la droite, et paver, avec de bonnes intentions, la route de la débâcle lors des élections suivantes.

Le PS va-t-il exploser ? Laurent Fabius va-t-il l’emporter ?

Le référendum interne a défait Laurent Fabius. Le référendum dans le pays va entraver François Hollande.
Laurent Fabius va être encensé comme François Hollande fut élu l’homme de l’année 2004. Pourtant chacun peut comprendre : il est toujours difficile de se faire épouser par un parti que l’on a volé. Pourtant la renégociation sociale du traité a été imprudemment mise au centre.
Elle sera au cœur de la présidentielle : la tromper, c’est donner un espace critique aux contestations. L’endosser, c’est affoler l’espace public. La gauche critique peut vivre sur son succès. Le centre gauche veut faire payer son rêve brisé. Pourtant, rien ne dit que, confronté à la pédagogie des faits, la France ne cherche pas un homme ou une femme capable de la réconcilier avec l’Europe. Pourtant, chacun sait qu’il n’existe pas de majorité dans un PS trop cartellisé pour son projet.

La volonté de sanctionner va être très forte. Elle est légitime, mais il vaudrait mieux que l’exigence de clarifier l’emporte. Ce qui fut difficile à Dijon est maintenant une nécessité. Une majorité avec François Hollande a toutes les chances de l’emporter. Si elle affirme clairement son dessein et ne fait pas de la direction du Parti socialiste la réunion obligée d’un destin. En conclusion, dans ce moment de l’Histoire où se noue l’avenir de l’Europe, le présent de la France, et la nature de la gauche, il faut faire nôtre la formule de Dominique Strauss Kahn : « En rien se précipiter, paniquer ou laisser porter mais vérifier, clarifier et rassembler » !


Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]