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Le Parti socialiste doit impérativement bouleverser son fonctionnement interne pour construire un projet de société.

par Patrick Bloche, Christophe Caresche, députés de Paris et Gaëtan Gorce, député de la Nièvre

Point de vue paru dans le quotidien Libération daté du 24 septembre 2002



Patrick
Bloche



Christophe
Caresche



Gaëtan
Gorce




A l'évidence, ce n'est pas le bilan qui a fait défaut, c'est le projet. Malgré des efforts louables pour redonner un « deuxième souffle » à son action, Lionel Jospin et sa majorité n'ont pas été capables de bâtir, dès 1999, une nouvelle perspective. L'inspiration de 1997 s'est progressivement épuisée sans qu'un nouvel élan ne la remplace ou même ne la prolonge. Satisfaits de la manière dont la gauche avait gouverné, les Français l'ont pourtant vu partir sans regret, comme s'ils considéraient qu'une époque s'achevait. Nulle volonté de sanction comme en 1993, mais le désir de tourner la page d'une histoire momentanément à bout de course. C'est bien d'une panne de projet que la gauche a été victime. Et c'est bien à la reconstruction de ce projet qu'elle doit s'atteler aujourd'hui, avant même toute considération de stratégie ou d'alliance.

L'illusion serait de croire que cet exercice est plus facile dans l'opposition qu'au pouvoir. Il suppose en effet que la gauche et sa principale composante, le Parti socialiste, retrouvent le chemin du débat, de l'élaboration collective et s'ouvrent à tous ceux qui veulent contribuer à cette reconstruction.
On ne peut que déplorer, une nouvelle fois, la faiblesse dans laquelle une expérience gouvernementale pourtant réussie laisse le Parti socialiste. A peine plus de militants aujourd'hui qu'hier, des pratiques internes trop souvent obscures, voire claniques, un manque de délibération collective, une articulation insuffisante avec les forces sociales et intellectuelles du pays...
L'enjeu pour le Parti socialiste consiste donc à définir les modalités d'un fonctionnement qui lui permette de mener un véritable travail de refondation. Le risque est pour lui de s'enfermer dans un jeu de rôles avec les éternels experts en combinaisons d'appareil. Déjà, sur les décombres encore fumants de la gauche plurielle, certains, bardés de certitudes d'autant plus affirmées qu'ils ont participé de près au désastre, tentent par des slogans hâtifs de préempter le débat pour mieux le contrôler.

L'urgence n'est-elle pas, au contraire, de rompre avec certaines pratiques afin de favoriser l'émergence d'une gauche capable de rassembler les citoyens autour d'un projet novateur ?

Dans cet esprit, nous devons d'abord réfléchir sur la contradiction qui traverse notre société : nos concitoyens ont conscience à la fois de l'affaiblissement des liens de solidarité, de la montée de l'individualisme et de l'inefficacité des remèdes que seraient soit le retour de l'autorité et de la tradition comme le propose la droite, soit les vieilles recettes du tout-Etat et de l'assistance généralisée.

En trente ans, la société a beaucoup changé. Les solidarités traditionnelles liées à la famille, à la religion, au travail, se sont affaiblies quand elles n'ont pas disparu, laissant place à une société atomisée. Parallèlement, le marché a envahi progressivement toutes les sphères de la société, l'argent devenant la mesure de chaque chose. C'est dans ce contexte qu'il faut repenser les formes d'intervention publique avec pour ambition de fonder solidement une société d'intégration dans laquelle chacun trouve sa place. On peut ainsi s'interroger sur la validité des politiques sociales qui révèlent leur incapacité croissante à faire obstacle à l'exclusion, tout en ignorant les questions urgentes que posent les conditions de travail, le développement de l'emploi précaire ou l'exigence de qualification. Ces politiques ne doivent-elles pas désormais reposer sur une dynamique de mobilisation et d'accompagnement, plutôt que sur le versement de prestations ? A l'assistance, ne faudrait-il pas préférer l'éducation, la formation tout au long de la vie, seuls gages d'une insertion réussie et durable ? En contrepartie, l'individu se verrait reconnaître la permanence de ses droits économiques et sociaux en cas d'interruption d'activité liée à la perte d'emploi.

Autre exemple de la nécessité d'instaurer un nouveau rapport entre l'individu, la société et l'Etat : la lutte contre la délinquance. L'accroissement des moyens répressifs de l'Etat comme seule réponse à la délinquance ne peut aboutir à de véritables résultats, car il n'incite pas à la responsabilisation de chaque citoyen et de la société elle-même. Or nous savons que l'efficacité dans ce domaine repose essentiellement sur la mobilisation de la société tout entière, en développant un partenariat avec les élus locaux et les éducateurs, mais aussi avec les habitants des quartiers, les espaces sociaux, commerciaux, les territoires. Notre société ne peut trouver son équilibre que si chacun possède une conscience claire de ses droits mais aussi de ses responsabilités. Cela suppose que l'Etat ne se substitue pas en permanence à l'individu et aux collectivités intermédiaires.

Favoriser une société d'intégration implique aussi une réforme en profondeur de nos institutions, qui suscitent aujourd'hui plus de défiance que d'adhésion. Au-delà du débat sur l'avenir de la Ve République, c'est une véritable modification de notre mode de délibération politique qui doit être engagée, dans une société informée et éduquée qui n'accepte plus l'argument d'autorité mais demande en permanence que la pertinence des choix publics lui soit démontrée. Il faut dès lors prendre en compte des évolutions devenues inéluctables.
Une décentralisation radicale permettant de prendre des décisions plus près des citoyens par le renforcement, par exemple, de la procédure de consultation démocratique à l'échelon local n'est-elle pas devenue nécessaire ?
Ne faut-il pas construire les outils d'une évaluation systématique des résultats de l'action publique et confier ce rôle au Parlement ?
Comment développer une pédagogie de l'action publique qui admettrait le droit à l'expérimentation comme celui à l'erreur et romprait avec toute forme de messianisme ou de volontarisme trompeur en confrontant sans cesse les ambitions avec les contraintes auxquelles celles-ci se heurtent ?

Plus généralement, la gauche doit se poser la question de sa méthode de transformation de la société. La réussite et les échecs de la réduction du temps de travail attestent que l'efficacité d'une politique sociale est, en réalité, largement conditionnée par l'intensité et la qualité du système de relation sociale. Efficace là où les syndicats étaient présents et actifs, la réduction du temps de travail a laissé un goût d'amertume dans les secteurs traditionnellement privés d'une représentation syndicale et d'une tradition de négociation. Il n'y a pas d'ambition plus importante pour la gauche que de moderniser notre démocratie sociale. Cela passe par une concertation réelle et approfondie avant toute initiative législative, une délégation la plus large possible aux partenaires sociaux quant aux moyens à mettre en œuvre, une refonte des règles de représentativité syndicale et surtout de validité des accords, le renforcement de la présence syndicale, en particulier dans les PMI-PME.

La recherche de l'intégration civique et sociale doit, enfin, permettre à la gauche d'assumer la mondialisation, c'est-à-dire de refuser clairement toutes les tentations protectionnistes ou de repli national. Cela signifie que les dérives du libre-échangisme doivent être maîtrisées dans un cadre européen, en privilégiant la recherche de solutions concrètes.
La gauche doit avoir pour objectif de créer à ces niveaux un nouveau rapport de forces. Pour y parvenir, elle doit résolument se saisir de l'outil européen et se doter d'un projet transnational. N'est-il pas temps que le Parti socialiste européen devienne un véritable parti intégré et que les élections européennes se déroulent dans un cadre européen ?
Face à la mondialisation qui déstabilise les Etats autant que les forces politiques qui les animent, la gauche doit conserver un point de vue contestataire, critique par rapport au capitalisme et à sa prétention à diriger le monde sur la base des seuls critères de la rentabilité financière. A la différence des décennies précédentes, cette contestation n'est pas portée par la proposition d'un système alternatif mais par la volonté démocratique, celle des peuples et des citoyens organisés de ne pas perdre la maîtrise de leur destin.

C'est bien en renouvelant profondément son approche de la société et du monde que la gauche pourra à nouveau mobiliser autour d'elle. Elle doit le faire dans une libre confrontation ouverte à tous les horizons de la société et sans crainte excessive pour sa cohésion, en refusant a priori les faux clivages (modernes contre anciens, rénovateurs contre conservateurs...) qui n'ont pour objet que de préempter le débat. Ce n'est qu'à l'issue de celui-ci qu'apparaîtront les véritables lignes de partage.

Reproduit avec l'aimable autorisation du quotidien
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