Le traité de Bruxelles menace directement la République

Michel Charasse
Entretien avec Michel Charasse, sénateur du Puy-de-Dôme, paru dans le quotidien Le Figaro daté du 20 octobre 2004.
Propos recueillis par Judith Waintraub


 

Qu'allez-vous voter au référendum l'an prochain ?
Non ! Pour les raisons d'ordre économique et social avancées par plusieurs de mes amis du PS, mais aussi et surtout parce que le traité menace directement la République et ses principes les plus sacrés.

En quoi la menace-t-il ?
Le Conseil constitutionnel, que Jacques Chirac saisira après la signature du traité, fera le tri entre ce qui est compatible ou pas avec notre régime républicain - sachant que l'article 89 de notre Constitution interdit la révision de la République. Tenons-nous en à la seule charte des droits fondamentaux, introduite dans la seconde partie du traité. Simplement «proclamée» à Nice en 2000, elle n'avait qu'une valeur indicative. Cela n'a pas empêché le tribunal de Luxembourg, juge du droit européen, de s'y référer déjà près d'une dizaine de fois depuis 2002. La charte, c'est d'abord le « gouvernement des juges » !

En quoi l'adoption du traité aggraverait-elle la situation ?
Parce que tous les articles de la charte seront applicables, y compris les plus scélérats pour la République. Ainsi, le préambule place le citoyen, et non la société, au coeur de tout, contrairement à la Déclaration des droits de 1789. C'est l'égoïsme et l'individualisme contre l'intérêt général !

Quelles sont les conséquences, concrètement ?
L'article II-70 du traité autorise les citoyens à manifester leur religion ou leurs convictions, individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, les pratiques et l'accomplissement des rites. En clair, plus de loi sur le voile ! Un fonctionnaire, à la poste par exemple, pourra subitement prier derrière son guichet face aux usagers, un élève pourra étaler en classe et sans crier gare un tapis de prière pour accomplir son rite, etc. Comme en Angleterre, le pire communautarisme devient un droit absolu pour toutes les sectes et organisations violentes, religieuses ou non, avec tous les dangers qui en résultent, surtout à notre époque.
Avec l'article II-75, toute personne pourra exercer n'importe quelle profession même s'il y a un risque grave pour l'ordre public ou les intérêts supérieurs de la nation.
L'article II-78 étend indéfiniment le droit d'asile, au-delà du cas des persécutés visés par le préambule de 1946. Les enfants auront la liberté d'expression grâce à l'article II-84, et on imagine la suite... Je pourrais poursuivre, mais ces exemples suffisent à montrer que le traité remet en question la neutralité et la laïcité de l'Etat, garanties de la tolérance et de la paix civile, les grands principes de la République et la souveraineté de l'Etat républicain.

Mais seulement dans les domaines visés par le traité...
Oui, mais plusieurs articles de la charte figurent déjà dans la convention européenne des droits de l'homme, qui couvre tous les domaines. Les juges de Strasbourg, qui l'appliquent, ont été plutôt prudents jusqu'à présent. Mais ils seront fatalement entraînés par les tribunaux de Luxembourg, qui iront beaucoup plus loin qu'eux. Ce sera une course-poursuite permanente entre les juges de Luxembourg et ceux de Strasbourg. En réalité, les Anglo-Saxons et les démocrates-chrétiens d'Europe centrale ont gagné la bataille des religions : en compensation de l'absence de référence aux valeurs religieuses dans le préambule du traité, ils ont obtenu le communautarisme, la fin de la laïcité et, au bout du compte, la mort programmée de la République française.

Que répondez-vous à vos camarades du PS qui invoquent Mitterrand pour prôner le « oui » ?
Depuis sa mort, il ne peut plus rectifier lui-même toutes les âneries qu'on lui prête ! Pour avoir très souvent parlé de l'Europe avec lui, parfois devant témoins, je suis formel au moins sur trois points : il était contre l'élargissement de l'Europe avant 2020-2025. Il savait que toute précipitation serait fatale à l'Europe. Il était contre la rupture de l'égalité France-Allemagne. Hélas, c'est fait depuis Nice, et confirmé par le traité. Il voulait que l'indépendance de la banque européenne disparaisse une fois l'euro installé. Or le traité confirme le pouvoir des banquiers contre la souveraineté des peuples. Enfin, François Mitterrand aurait-il signé un traité dans lequel le mot « paix » est employé vingt fois moins souvent que le mot « concurrence » ?

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