Pour en finir
avec la dyarchie

François Colcombet
François
Colcombet


Point de vue signé par Miguel Castaño, président de Rex nudus est (Association citoyenne pour un régime primo-ministériel) et François Colcombet, ancien député de l'Allier, président de la C6R (Convention pour une 6ème République), paru dans le quotidien Le Monde daté du 17 avril 2004


 
La France est aujourd'hui la seule " grande " démocratie dotée d'un exécutif bicéphale. L'image récente d'un chef de gouvernement désavoué par le chef de l'Etat, tout en étant reconduit par lui, doit nous faire réfléchir sur cette exception française, que certainement personne au monde ne nous envie.

Dans les nombreuses nations qui assument clairement leur nature parlementaire (toute l'Union européenne, la plupart des pays de l'Est, le Japon, l'Australie, le Canada, l'Inde, Israël) le chef d'Etat n'est qu'une relique inoffensive de la monarchie héréditaire, ou bien un honorable " notaire institutionnel ", même quand il est élu au suffrage universel direct (Irlande, Portugal, Autriche, pays de l'Est). Le premier ministre y est le seul chef reconnu de l'exécutif, désigné et respecté (car révocable) par la majorité parlementaire.

Dans les régimes parlementaires, la couleur politique du gouvernement est donc celle de la majorité de l'Assemblée. Car les deux pouvoirs ont une " existence liée " : le législatif peut renverser l'exécutif, et le gouvernement peut dissoudre le Parlement. Cette façon très logique de vivre la démocratie est symbolisée par l'ancien roi Siméon de Bulgarie, qui a préféré devenir premier ministre, et non pas président, de son pays.

A l'inverse, quelques rares pays ont un régime présidentiel, le plus emblématique (et le seul qui arrive à fonctionner comme tel) étant celui des Etats-Unis. La motion de censure et la dissolution n'y existent pas. La Chambre des représentants et le Sénat sont élus de leur côté, le chef de gouvernement (qui a le titre de " président ") de l'autre. On parle de régime à pouvoirs séparés, bien qu'ils soient en fait condamnés à un " fonctionnement lié " : les veto réciproques, tout comme l'inexistence d'une majorité présidentielle, nécessitent une négociation de tous les instants pour arriver à légiférer ou à valider les budgets.

Au vu de ce constat, la Vème République est clairement un régime parlementaire. Les spécialistes le savaient secrètement depuis longtemps, mais il a fallu trois cohabitations pour que tous les citoyens le comprennent. A part le libre droit de dissolution, et l'article 16 (lui permettant de s'octroyer des pleins pouvoirs), aujourd'hui inapplicable, le chef de l'Etat français n'a pas plus de pouvoirs exécutifs réels que son homologue grec ou portugais.

Les majorités de cohabitation ont fait des réformes opposées à la volonté de l'Elysée (privatisations en 1986, 35 heures en 2000). Car, contrairement à un mythe répandu, la cohabitation à la française n'est ni un conflit de pouvoirs (comme le dénoncent ses détracteurs) ni un équilibre des pouvoirs (comme l'affirment ses partisans), car elle n'est pas un partage des pouvoirs. C'est le premier ministre de la majorité, et lui seul, qui conduit alors les affaires de la nation. Même si, pour la forme (et surtout pour ne pas froisser le mythe " présidentialiste ".

A l'inverse, hors cohabitation, deux cas se présentent. Soit le premier ministre est un simple exécutant des désirs du président, y compris contre sa propre volonté (comme l'a illustré M. Raffarin lors de la réforme du mode de scrutin régional ou pour la deuxième baisse de l'impôt sur le revenu), et alors cette dyarchie est bénigne, bien que ridicule (" à l'un les lauriers, à l'autre les épines "). Soit il a une envergure politique incontestable ou une ambition toute personnelle, et le conflit des deux légitimités s'envenime (Debré contre de Gaulle, Chaban contre Pompidou, Rocard contre Mitterrand, et Chirac contre Giscard). Il y a là une véritable cohabitation, car il y a partage du pouvoir et de la popularité. C'est exactement ce qui se passerait aujourd'hui si l'UMP réussissait à placer M. Sarkozy à Matignon.

Comment sortir du cercle vicieux ? Comment supprimer la dyarchie à la française ? Certainement pas en passant au régime présidentiel de pouvoirs séparés, source permanente de blocages. Imaginons une seconde un gouvernement de droite et une Assemblée de gauche, ou vice-versa ! Ni, comme le proposent naïvement certains, en supprimant le poste de premier ministre sans rien toucher d'autre. Car qui gouvernerait en cas de cohabitation, toujours possible malgré le quinquennat ?

Non, la solution est dans le régime " primo-ministériel " (selon l'expression d'Olivier Duhamel), que l'Europe nous montre et auquel les cohabitations nous ont déjà amplement préparés. Le problème est de réussir à ce que nos leaders politiques se décident, comme partout ailleurs, à briguer surtout Matignon, et non pas l'Elysée.

Nous proposons donc deux modifications institutionnelles simples, inspirées de nos voisins européens, propices à un basculement salutaire :
    1 - Supprimer le droit de dissolution régalien, et le transférer au premier ministre ;
    2 - Faire élire le chef du gouvernement par l'Assemblée, au lieu qu'il soit désigné " royalement " par l'Elysée.
La campagne pour les législatives serait menée par le candidat à Matignon, et la présidentielle serait de fait marginalisée. On ne verrait plus de premiers ministres " fusibles ", car ils deviendraient, comme sous la cohabitation, de véritables " groupes électrogènes ". Qui s'en plaindrait ?

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