Faisons la VIème République

François Colcombet
François
Colcombet


Point de vue signé par François Colcombet, ancien député de l'Allier, président de la C6R (Convention pour une 6ème République), paru dans le quotidien Libération daté du 9 septembre 2004


 
Dans une tribune publiée dans les pages « Rebonds » de Libération le 31 août, le président de l'Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, en digne fils de son père, prend la plume pour défendre les mérites et vertus de la Constitution du 4 octobre 1958, victime, en cette rentrée politique, d'attaques nombreuses, notamment de la part des partisans d'un régime présidentiel.

M. Debré prend, dans son argumentaire, le parti de l'offensive, voulant redonner à notre vénérable loi fondamentale une seconde jeunesse.

M. Debré, une fois n'est pas coutume, nous vous donnons raison : la Vème République manque de souffle. Vous estimez qu'elle doit en trouver un nouveau. Nous estimons qu'elle est à l'agonie.

En effet, le vieil argument du « après la Vème le chaos » ne tient plus puisque ce chaos institutionnel tant redouté, et au nom duquel le général de Gaulle avait fondé la Vème République, ce chaos est là. Depuis plusieurs mois, en effet, le président de la République, rejeté par les urnes, bientôt supplanté dans son parti, ne tient plus le gouvernement. La cacophonie s'est installée : la guerre des barons fait rage et face à ce triste spectacle, le Parlement reste, dans le meilleur des cas, impuissant et, plus généralement, complice de la logique présidentialiste qui a gagné la vie politique française, y compris les partis de gauche. Alors M. Debré, vous vous inquiétez, et c'est tout à votre honneur, des projets de certains qui voudraient construire une VIème République de type présidentiel. Nous partageons vos inquiétudes de voir institutionnaliser l'impuissance si un président élu au suffrage universel se trouvait confronté à un Parlement qui serait assez puissant pour bloquer toute volonté de réforme. C'est régulièrement le cas aux Etats-Unis. Nous constatons comme vous que le régime présidentiel est à la mode, sans doute pour la plus mauvaise des raisons d'ailleurs : permettre à tous les présidentiables en puissance de nos partis politiques de caresser l'espoir de recevoir intuitu personae l'onction souveraine du suffrage universel direct.

Ce n'est pas la mode qui fera la VIème République, mais bel et bien la nécessité d'un renouvellement démocratique. Et ce renouvellement, seul un régime authentiquement parlementaire peut l'assurer.

Nos institutions sont malades pour deux raisons principales.

Premier mal : les contre-pouvoirs, dans la Constitution de la Vème République ­ principalement le Parlement et l'autorité judiciaire ­ sont affaiblis, infantilisés quand ils ne sont pas instrumentalisés, et ce malgré quelques réformes visant à rééquilibrer le régime, notamment l'élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel sous le septennat de Valéry Giscard d'Estaing et le renforcement de l'indépendance du Conseil supérieur de la magistrature à l'initiative de François Mitterrand. Or, un système politique sans véritables contre-pouvoirs voit les citoyens le bouder.

Second mal : le pouvoir exécutif, marqué par un bicéphalisme originel dont l'absurdité a été renforcée par le quinquennat et l'inversion du calendrier électoral, a perdu toute crédibilité du fait de la responsabilité à éclipses, tous les cinq ans, d'un monarque rééligible à l'occasion d'un « scrutin-carnaval » qui fait l'impasse sur tout vrai débat. Le pouvoir exécutif ne peut dès lors être à la hauteur de la demande de dialogue, de concertation et de démocratie qui se fait jour dans le pays.
Songez que l'actuel hôte de l'Elysée, refusant le désaveu cinglant des urnes à force de sophismes (« ces élections sont locales... » ; « ces élections sont européennes... » ; etc.), ne tient aucun compte des choix du peuple.
Songez à l'affaire Executive Life, où les amitiés et les intérêts particuliers ont supplanté l'intérêt général.
Songez aux nominations de complaisance.
Songez à la guerre feutrée, mais bien réelle et mobilisant les moyens de l'Etat, entre le président de la République et le no 2 de son gouvernement.
Songez au projet de chaîne d'information internationale francophone, imposé par l'Elysée sous une forme faisant l'unanimité contre elle au Palais-Bourbon, majorité comprise.
Songez au plan climat, priorité du quinquennat, vidé de son contenu après l'intervention d'industriels amis du prince.
Songez, songez... Telle est la réalité du pouvoir politique en France !

Alors ? Faut-il vraiment garder la Vème République ? Le fétichisme présidentiel et la nostalgie gaulliste ont une limite : l'intérêt de la France et des Français. Faisons la VIe République sans attendre, la seule VIème République qui redonne du souffle à la démocratie française, une VIème République parlementaire.

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