Un coup de barre à gauche du PS serait une erreur

Gérard Collomb



Entretien avec Gérard Collomb, maire de Lyon, paru dans le quotidien Le Figaro daté du jeudi 17 avril 2003
Propos recueillis par Sophie Huet et Pascale Sauvage
 

Le congrès du Parti socialiste s'annonce difficile. Quel rôle comptez-vous y jouer ?
J'ai été un des premiers à appeler au rassemblement, dès le mois de décembre, derrière le premier secrétaire. François Hollande incarne la légitimité et l'unité dont le PS a besoin. Il a mené avec courage la bataille des législatives, après le départ de Lionel Jospin.

Quelle est votre analyse de la défaite de la gauche ?
Lionel Jospin a été battu sur des erreurs tactiques et par la sous-estimation des problèmes de sécurité. Il a mené une politique profondément réformiste que le temps, je crois, permettra de réapprécier. Mais le discours du candidat est très souvent resté prisonnier d'un Parti socialiste qui n'a pas perdu ses glorieuses références au passé. Le verbe du PS est souvent en décalage total avec sa pratique, qui consiste à transformer la société. On ne peut pas être un parti « fixiste », les partis fixistes meurent, en témoigne le sort du Parti communiste. C'est aussi ce qui peut arriver au PS si celui-ci ne se renouvelle pas.

Une partie du PS, conduite par Henri Emmanuelli et Jean-Luc Mélenchon, réclame un coup de barre à gauche, au-delà du « réformisme » prôné par François Hollande et par vous-même.
Cela ne correspond à aucune analyse de la société française. On a perdu de l'électorat chez tout le monde, pas seulement parmi les catégories les plus modestes. On a perdu chez les jeunes créateurs économiques, qui ne sentaient plus dans le PS un parti d'innovation ; on a perdu dans les couches moyennes, qui n'ont tiré aucun bénéfice de notre politique alors qu'elles fournissent l'essentiel des prélèvements obligatoires ; on a perdu chez les Français issus de l'immigration, car là encore on avait l'impression que celui qui déraillait était mieux pris en compte que celui qui fournissait un effort.

Je pense pour ma part que le PS sera forcément pluriel dans les contours des couches sociales à fédérer. Ce serait un tort, au nom d'un coup de barre à gauche, de se priver de ceux qui innovent et qui créent. Les couches moyennes, il faut les retrouver en leur redonnant accès à la promotion sociale, un rôle que ne remplit plus l'école. Vis-à-vis des plus faibles, il faut introduire un filet social face aux risques induits par la mobilité sociale plutôt que de refuser celle-ci ; quant à l'écologie et au développement durable, c'est au PS qu'on y réfléchit le moins. Ce coup de barre à gauche mythologique, parce que symbole du Front populaire, je pense que nous pouvons en garder les valeurs, mais nous n'en restituerons pas les instants.

Croyez-vous à un parti unique de la gauche ?
C'est inéluctable, mais, sur le court terme, cela me semble impossible. En revanche, qu'on multiplie les passerelles pour constituer à terme un rassemblement plus fort qu'une simple juxtaposition de partis me semble souhaitable. Si le PS ne se caricature pas en allant vers des positions gauchistes et sectaires, s'il fixe de nouvelles perspectives et amorce un nouveau cycle, il créera le dynamisme indispensable à l'unité de la gauche, face à une UMP dont on va voir très vite les limites.

Pensez-vous que la gauche puisse gagner la région Rhône-Alpes en 2004 ?
J'imagine mal la constitution d'une seule liste de droite. Si la gauche parvient à être rassemblée, la région Rhône-Alpes est gagnable.

Que pense le maire de Lyon de la réforme de la décentralisation ?
Je pense que le premier ministre s'est trompé d'époque. Dans la réforme de la décentralisation, les villes ne sont pas prises en considération. Or les habitants de l'Europe ne connaissent les différents pays que par les noms de quelques grandes villes. Ils savent à peine les régions dans lesquelles ces villes se situent. Et on ne sait même pas si l'échelon départemental correspond à quelque chose en Pologne ou en République tchèque. Une réforme de la décentralisation qui se ferait sans le concours des maires serait vouée à l'échec.

Vous donnez le sentiment d'être un maire de gauche qui fait une politique de droite. Est-ce une stratégie nécessaire, dans la ville plutôt bourgeoise qu'est Lyon ?
Je mène une politique centrale. Dans le domaine de la sécurité, du développement économique et urbanistique, c'est plutôt une politique de droite. Mais toute mon action en faveur du rééquilibrage social entre les quartiers, de l'intégration des jeunes Maghrébins de la troisième génération, ou du développement durable, c'est plutôt une politique de gauche. Mon idée est d'intégrer toute la richesse du passé de Lyon, pour préparer le futur. J'emprunte beaucoup à l'histoire lyonnaise et à mes prédécesseurs, Edouard Herriot, Michel Noir, Raymond Barre, puis j'essaie de faire mon miel, pour offrir aux Lyonnais une politique modernisée et pragmatique.

Une politique qui a provoqué des remous au sein de votre équipe municipale, quand vous avez pris des arrêtés antimendicité et antiprostitution...
Aucun maire de grande ville ne peut faire abstraction des problèmes de sécurité et de tranquillité publique. Nous avons été confrontés à Lyon à deux phénomènes : une arrivée massive de prostituées en provenance d'Europe de l'Est et de la Sierra Leone, « importées » par des cercles mafieux dans des conditions abominables, violées et menacées sans arrêt ; et une arrivée tout aussi massive de mendiants handicapés physiques, eux aussi « importés » par des mafias d'Europe de l'Est. Je ne pouvais pas rester sans réagir. Mon obsession n'est pas de mener une politique sécuritaire, mais d'assurer la tranquillité publique.

Au départ, mon équipe n'avait pas l'habitude de l'exercice du pouvoir. Mais tous mes adjoints ont compris que les Lyonnais demandaient du concret, et pas seulement des discours. Mon équipe a trouvé son équilibre, il n'y a plus l'ombre d'un désaccord entre nous. Si les Lyonnais me font confiance, ce n'est sans doute pas parce qu'ils partagent mes idées politiques, mais parce que nous menons des politiques sérieuses.

Pourtant, on vous a beaucoup accusé d'immobilisme...
C'était l'accusation des premiers mois. Mais, pour lancer des grands chantiers, comme celui de la transformation des berges du Rhône en espaces verts, il y a toute une période de procédure. Aujourd'hui, les grues sont là !

Vous avez été élu grâce aux divisions de la droite lyonnaise. Cette situation perdure-t-elle ?
La droite lyonnaise n'a pas réussi à reconstruire son unité. Elle est encore profondément divisée, elle ne sait pas si elle veut promouvoir des leaders locaux ou faire venir des dirigeants nationaux, ministres ou anciens ministres. Tout cela manque singulièrement de lisibilité.

© Copyright Le Figaro


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