Socialisme et réalité

Gérard Collomb

 Contribution générale au congrès national du Mans présentée par Gérard Collomb, sénateur-maire de Lyon (juillet 2005).

 
Le prochain congrès du Parti socialiste sera déterminant à bien des égards, sur le court comme sur le moyen terme. Même si les ambitions des uns et des autres sont légitimes, il ne saurait se réduire au seul choc des stratégies présidentielles. Car dans ce cas, l’agilité intellectuelle, la finesse tactique des uns et des autres feront peut être la joie des commentateurs, elles désespèreront tous les Français qui en ont aujourd’hui assez des candidats sans projet, des promesses aussi vite oubliées qu’elles ont été promptes à être mises en avant. Au jeu de la démagogie il n’y aura qu’un gagnant demain : Nicolas Sarkozy ! Alors que celles et ceux qui aspirent demain à diriger le pays fassent assaut d’esprit d’innovation plutôt que de démagogie. Qu’ils indiquent une nouvelle voie pour le pays ! C’est ce que les Français attendent ! Cela doit être le vrai, le seul objectif de notre congrès.

Dans quel sens aller ?

Le Parti socialiste doit être le parti de l’innovation et de l’action et non pas se complaire dans la seule incantation. Il ne peut pas rester statique dans une société en mouvement. Il doit correspondre à la société des années 2010, non à celle des Trente Glorieuses voire revenir aux discours datant de la première révolution industrielle. Rénover notre pensée ne veut pas dire quitter le discours d’hier pour reprendre ceux d’avant hier. C’est parce que les dirigeants de l’époque se sont figés dans le dogmatisme et la surenchère à gauche que le parti communiste a refusé, à la fin des années 1960, la ligne italienne qui en aurait fait sans nul doute alors le premier parti de la gauche. Car être de gauche, ce n’est pas vouloir préserver a tout prix le passé ; c’est être capable de déceler les mouvements de fond d’une société pour apporter des solutions aux problèmes qu’elle pose. Pour reprendre la formule de Feuerbach, il faut : « comprendre le monde pour pouvoir le transformer ».

Or, aujourd’hui notre société est en crise. Elle est confrontée à de nouveaux défis d’une ampleur peut-être sans précédent. Elle est perçue comme une société de tous les risques : risques économiques induits par la mondialisation ; risques sociaux avec une fracture sociale de plus en plus marquée et la montée consécutive des phénomènes de violence ; risques internationaux avec le fléau de terrorisme ; risques sanitaires avec l’apparition de nouvelles pandémies ; risques écologiques ; risques éthiques avec la capacité pour l’homme de transformer la nature même du vivant.

Comme le disait Gramsci, « la crise c’est quand le passé ne veut pas mourir et que l’avenir tarde à naître ». En fait, pour reprendre les termes de Karl Polanyi, nous sommes entrés dans une nouvelle « grande transformation ».

Cette « grande transformation » a pris corps sur les deux mutations technologiques majeures de notre époque : le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication et la révolution du vivant.

La première révolution, celle des NTIC, a eu deux effets majeurs :
 L’accélération du temps
 La réduction de l’espace

Il est devenu possible aujourd’hui, par le jeu d’internet, d’avoir accès à partir de tout ordinateur ordinaire à des données qui hier encore n’auraient pu être disponibles que dans les grands centres économiques. D’où la possibilité pour les entreprises de traiter des millions de données qui, hier, auraient nécessité des semaines, des mois et même des années de calcul. En même temps l’espace s’est raccourci, l’ensemble de la planète est, pour reprendre l’image de Mac Luhan, devenu un village global. Cela a évidemment totalement bouleversé l’ordre économique et politique qui régulait notre monde. Lors des vingt dernières années, les échanges mondiaux ont explosé du point de vue des marchandises mais plus encore au profit des marchés financiers. Un affaiblissement des Etats-nations qui ont vu leur rôle se réduire vers le haut au profit d’ensembles régionaux plus vastes (Union européenne, mais aussi ALENA, Mercosur, ASEAN ou APEC) mais aussi vers le bas, avec l’émergence des pouvoirs locaux : métropoles et régions qui de plus en plus ont des partenariats directs avec leurs homologues étrangers. C’est là que se situe l’un des problèmes auxquels sont confrontées les politiques menées aujourd’hui. Le cadre institutionnel restant, aujourd’hui le cadre national, les gouvernants continuent à faire comme s’ils avaient tout pouvoir alors que les marges de manœuvre de l’Etat dans son rôle régulateur, comme dans son rôle intégrateur, diminuent toujours un peu plus.

Une deuxième révolution est aujourd’hui à l’œuvre : elle concerne les sciences du vivant. Les découvertes qui ont été faites (en matière de clonage, de manipulation génétique) permettent en effet de transformer le vivant et même de le reproduire. Cela peut apporter des réponses dans le domaine de la santé à toute une série de maladies qu’on ne pouvait traiter jusqu’alors mais cela pose aussi une question éthique fondamentale : jusqu’où l’homme peut-il aller dans cette transformation du vivant ?

C’est à ce monde en mouvement rapide que nous devons apporter des réponses, pas à celui de la première révolution industrielle, pas à celui du fordisme !

Il nous faut donc reprendre l’ensemble de nos analyses et inventer les termes d’un futur qui puisse concilier à nouveau croissance économique et progrès social mais aussi désormais croissance économique et prise en compte des problèmes de développement durable comme des problèmes éthiques.

Pour inventer ce futur, il me semble que l’expérience de la gestion des milliers d’élus et de militants qui se trouvent directement ou indirectement associés à la responsabilité du pouvoir dans nos régions, nos départements ou nos villes peut être un bon point de départ. Car eux ne peuvent se payer de mots face à nos concitoyens. Ils ont obligation de réussite pour dépasser les contradictions d’une société dont ils perçoivent de manière aiguë la complexité des facettes. Partir de leur expérience de terrain pour définir notre projet pourrait ne pas se révéler inutile surtout que, praticiens, obligés de prendre en compte avec pragmatisme les réalités de notre société, ils n’en sont pas pour autant dépourvus de toute aptitude de théoriser leur pratique et sont donc au premier rang pour être des défricheurs de l’avenir.



1 – Affronter la mondialisation économique

 
Nous parlons souvent de la mondialisation économique en termes abstraits dans nos congrès. Pour les élus et responsables locaux, elle est une réalité de tous les jours à laquelle il leur faut apporter des réponses d’appréhension du problème en terme de délocalisations, comme en terme d’investissements nouveaux, d’investissement directs étrangers en particulier. Nous voyons bien les défis auxquels nous sommes confrontés :
     Surpuissance d’une économie américaine dopée à la fois par sa capacité d’innovation et - paradoxalement dans le pays du libéralisme triomphant - par l’importance d’un déficit extérieur qui lui permet de bénéficier d’un très fort multiplicateur keynésien.
     Rétablissement d’une économie japonaise dont on devrait examiner de plus près la capacité à avoir rétabli sa compétitivité alors même qu’elle a été la première à faire face au choc des pays environnants à faible niveau de salaires.
     Emergence des pays nouveaux : Chine, Inde et demain Brésil qui sont pour nous des concurrents redoutables et qui menacent des pans entiers de notre tissu économique.

a) Renouveler le modèle de compétitivité de l’entreprise

    Dans un tel contexte, la solution est-elle celle du repli et du protectionnisme ? Nous ne le pensons pas ! L’exemple de l’écroulement de l’Union soviétique abritée derrière les frontières de son empire et finalement terrassée de l’intérieur du fait du retard pris dans son niveau de compétitivité est là pour nous le rappeler.

    Il nous faut donc pour résister pouvoir faire la course en tête : dans le domaine des innovations technologiques, dans celle de l’excellence de notre système de formation, dans l’innovation des tendances (French Touch) comme dans celle des process.

    C’est pourquoi la politique gouvernementale fait fausse route en tentant de résorber le chômage par la réduction des coûts salariaux ce qui, nous l’avons dit, est évidemment aberrant compte tenu de l’écart de nos salaires par rapport à ceux des pays en développement (le salaire brut moyen de la France est de 28 068 euros par an contre un salaire brut moyen entre 300 et 400 euros pour la Chine).

    La seule bonne mesure prise par le gouvernement, l’appel à pôles de compétitivité qui recense 105 projets, suffit à prouver qu’il existe toujours en France les bases d’un tissu économique solide qui ne demande qu’à être stimulé pour reprendre toute sa place dans la compétition mondiale. L’excellence, comme le montre la diversité des projets, ne se réduit pas d’ailleurs aux seules industries high tech les plus pointues, elle peut exister dans les industries les plus traditionnelles à condition qu’elles soient revisitées à l’aune des technologies nouvelles et qu’elles puissent bénéficier de salariés solidement formés.

    Car l’un des paradoxes français est là en effet, y compris dans les secteurs relativement protégés : le fait de rencontrer en même temps un chômage important et une incapacité des entreprises à recruter. Pour ne prendre qu’un exemple, au moment même où nous connaissons une crise du logement particulièrement forte, combien d’appels d’offre publics ou privés restent infructueux parce que les entreprises ne fournissent aucune réponse faute de pouvoir recruter des salariés. Elle est loin, l’invasion du plombier polonais.

    Si les socialistes cessaient de n’évoquer l’entreprise qu’au travers de discours caricaturaux, ils pourraient avoir quelques mots justes à dire sur le modèle d’entreprise actuellement dominant. Lorsque les socialistes dénoncent la financiarisation des entreprises, le court termisme imposé par la bourse et la nécessité de dégager des taux de profit incompatibles avec la construction de tout projet industriel de long terme, ils pourraient rencontrer, y compris dans le monde de la production, l’assentiment de beaucoup qui, par exemple, ont vu dans le scandale Enron l’aboutissement d’une démarche entrepreneuriale totalement pervertie. Ils pourraient obtenir le même assentiment sur les processus actuels de fusion-acquisition, de rachat et de vente à la découpe des groupes industriels qui n’ont précisément aucune logique industrielle, détruisent un nombre considérable d’emplois et déstructurent souvent le tissu économique au profit d’un seul objectif : permettre d’atteindre les taux de rentabilité attendus par quelques grands fonds de pension. De ce point de vue, il faut répéter qu’aujourd’hui le financement par capitalisation de la retraite des ouvriers de l’automobile de Detroit passe la plupart du temps par la destruction de l’emploi des enfants des ouvriers de Detroit.

    Il nous faut donc renouer avec une autre forme d’entreprise qui retrouve la volonté de construire des projets de moyen et de long terme, ce qui suppose comme première mutation la prise en compte de la ressource humaine comme une ressource rare. Ce n’est peut-être pas tout à fait un hasard si, après les scandales créés par la révélation des salaires des patrons des grandes entreprises, des stock options, ou des golden parachutes, y compris pour ceux qui ont naufragé leurs entreprises ou leurs groupes, les entreprises sont aujourd’hui de plus en plus amenées, pour se redonner une légitimité, à mettre en avant leurs préoccupations environnementales ou sociétales. Les socialistes rencontreraient une certaine adhésion s’ils disaient que l’entreprise doit tout simplement retrouver une base éthique.

b) Les matrices du renouveau de l'entreprise

    La possibilité pour les pays développés de maintenir leur niveau salarial et leur niveau de protection sociale (avec souvent un handicap supplémentaire, le vieillissement démographique) suppose qu’ils mettent l’accent sur tous les facteurs susceptibles de restaurer leur avantage comparatif par rapport aux pays émergents :

    Qualité de la formation tant en termes quantitatifs qu’en termes qualitatifs. C’est une aberration qu’aujourd’hui une part importante de la population de notre pays reste à l'écart de l'activité économique :
       Jeunes sortant du système scolaire sans aucune formation ;
       Salariés ayant perdu leur emploi et qui, faute d’un véritable système de formation tout au long de la vie, se retrouvent souvent définitivement exclus du monde du travail ;
       Seniors qui, après 50 ans, sont réputés inaptes au travail alors même que l’on veut retarder l’âge de départ à la retraite.

    C’est donc un renouvellement complet de notre système de formation qu’il nous faut faire tant au niveau de la formation initiale que de la formation tout au long de la vie, en commençant par une première révolution culturelle : Il faut plutôt former les gens pour des métiers qui peuvent assurer des emplois que pour ceux dont on sait qu’ils conduisent ceux qui y postulent dans une impasse. Cela veut dire par exemple qu’il est urgent d’en finir une fois pour toutes avec l’image déqualifiée dont sont victimes les métiers manuels. Il peut exister des métiers d’excellence ailleurs que dans les technologies nouvelles, dans la finance ou le management, de même qu’on doit pouvoir rechercher une sécurité de l’emploi ailleurs que dans la fonction publique. Tout cela dépend de la réforme de notre système de formation, mais cela dépend aussi, il faut l’affirmer très fort, de la capacité des entreprises privées à présenter une image plus attractive, comme quoi la volonté sociale peut ne pas être étrangère à la capacité à forger des entreprises performantes.

c) Un investissement fort dans la recherche-développement

    La France dispose de compétences scientifiques indéniables, mais la recherche est aujourd’hui dans une situation précaire qui ne lui permet pas de pérenniser son action et de répondre aux nouveaux défis lancés par la société de l’information. Entre 2003 et 2005, le gouvernement a réduit les sources de financements propres de la recherche de plus de 900 millions d’euros, précarisant davantage un secteur stratégique qui a besoin, au contraire, d’un soutien sans failles des pouvoirs publics. Notre système de formation, donc notre futur, en pâtissent : faute de moyens, de crédits et de perspectives claires quant à leur avenir, de plus en plus de scientifiques et d’enseignant-chercheurs partent exercer dans le secteur privé ou à l’étranger, notamment au Etats-Unis. Cette situation reflète un problème beaucoup plus large stigmatisé par la Cour des Comptes dans son rapport sur le rôle du ministère de la recherche, publié en 2003 : « il est préoccupant d’observer que manquent les dispositifs assurant efficacement l’orientation des jeunes thésards ». Faute de moyens et de débouchés intéressants, les filières scientifiques n’attirent plus les étudiants, et il est de plus en plus difficile pour les organismes de recherche de jouer un rôle d’importance dans le nouvel espace scientifique mondial qui est en train de prendre forme. La situation budgétaire fragile de la recherche, imposée par le gouvernement, provoque une véritable crise de confiance. Les organismes préfèrent accumuler les réserves financières, hésitent à orienter leurs efforts vers les sciences émergentes, et recrutent de moins en moins.

    A titre comparatif, alors que nous réduisons dramatiquement nos investissements dans le domaine scientifique, les Etats-Unis déboursent sans compter. En 2003, les américains ont investi 70 milliards dans les NTIC, alors que l’Europe dans le même domaine ne dépensait que 28 milliards.

    Il est primordial pour notre avenir de retrouver, et d’améliorer, les valeurs qui faisaient autrefois notre force : un système de formation performant, en adéquation avec les changements de notre société, et une volonté politique forte d’accompagner en profondeur la recherche scientifique.

    Il faut, par ailleurs, que les entreprises privées fassent elles-mêmes un effort plus important que celui d’aujourd’hui et que puissent être mieux articulées recherche publique et recherche privée. C’est un des éléments qui fonde la politique de nombreuses régions aujourd’hui animées par les socialistes. Cette politique devra être reprise au niveau national lorsque les socialistes reviendront au pouvoir.

d) Une autre conception de l'entreprise

    Aujourd’hui les grands groupes se déploient dans le monde entier, les délocalisations se multiplient. Cela ne signifie pas que ces groupes soient totalement apatrides. Ils ont un pays d’origine, des racines. C’est à partir de ce pays qu’ils déploient leur stratégie. Nous ne pouvons l’oublier dans nos politiques. Il nous faut pour l’avenir préserver et valoriser les grandes entreprises françaises et européennes capables de rivaliser avec les entreprises américaines ou asiatiques. Dans ce travail de redéploiement de nos entreprises à travers le monde, le lien est évidemment nécessaire avec les pouvoirs en place qui peuvent donc faire passer à ces entreprises quelques messages forts : sur les modalités de gestion de la ressource humaine, sur l’impératif de formation continue, sur la nécessité d’en finir avec la ségrégation à l’embauche. C’est en ne tenant pas un discours anticapitaliste primaire mais en cherchant les voies d’un compromis au service du développement de notre pays et de l’Europe que nous aurons la capacité de renouveler le dialogue social à l’intérieur de l’entreprise.



2 – Faire de l’Europe un outil
pour faire face à la mondialisation

 
Alors que la mondialisation réduit les marges de l’Etat-nation, l’Union européenne reste plus que jamais le seul outil capable de promouvoir une économie compétitive, de préserver notre modèle social, de faire progresser l’idée d’une nouvelle régulation de l’économie mondiale.

Pourtant, le constat de la situation d’après référendum est rude à tirer. Après les référendums français et hollandais et sans vouloir porter d’appréciation sur le fond - chacun a la sienne - on peut au moins se mettre d’accord sur deux constats :
     L’Europe est en panne
     Tony Blair a aujourd’hui la main

a) Le constat

    L’Europe est en panne
    L’Europe connaît aujourd’hui une des crises les plus importantes depuis la signature du Traité de Rome en 1957. Cette crise peut au moins permettre une chose : Elle peut donner la capacité de rebattre les cartes des politiques européennes.

    Et de ce point de vue, il faut bien dire qu’au moment où la capacité pour des pays de se développer, de peser, de s’imposer dépend de la capacité à innover, à inventer ; la volonté française de donner priorité absolue à la défense de nos positions en matière agricole, n’est peut-être pas totalement avant-gardiste. D’autant plus que derrière cette défense de la PAC, ce n’est pas l’agriculture de manière globale qui est défendue mais une certaine forme d’agriculture, productiviste et souvent très polluante dont les socialistes français ont par le passé très souvent fait la critique.

    Et si, comme nous l’avons vu au référendum, une majorité du peuple français ne se sent pas vraiment en harmonie avec l’Europe, c’est peut-être aussi qu’elle se sent assez peu concernée par des politiques qui, hors fonds structurels, ne leur semblent guère correspondre à ce qui devrait être les priorités de l’avenir. Mais de ces choix là la France est largement comptable.
    Blair a la main
    C’est le paradoxe qui découle des résultats du référendum français mais aussi de la politique européenne menée par Jacques Chirac depuis des mois. La France a réussi à redonner en quelques mois à Tony Blair une position de leadership. La désignation de Londres pour les jeux olympiques n’est que l’illustration la plus claire de cet affaiblissement français et de la position aujourd’hui dominante du Premier ministre anglais. Que va faire Blair dans les six prochains mois ? Personne aujourd’hui ne peut le savoir. Une seule chose est sûre, il ne restera pas inactif et les Français, les socialistes français notamment, ont intérêt à définir fortement ce qu’ils souhaitent précisément pour l’avenir de l’Europe car autrement l’avenir de l’Europe sera blairiste. Faute d’avoir trouvé le plan B dans les tiroirs, essayons peut-être d’en inventer un avec nos camarades du parti socialiste européen, ce qui suppose que nous cessions de camper sur notre supériorité qui nous amène à penser qu’il ne saurait y avoir d’autre socialisme que le nôtre.

b) Un projet progressiste pour l'Europe

    Le débat sur le traité constitutionnel tel qu’il a été abordé par les Français était largement un jeu de dupes. Savoir si le traité permettait ou non de garantir une Europe sociale était une question totalement ubuesque. L’exemple français a montré à la fois la capacité d’adaptation mais aussi les limites de tout texte, fût il constitutionnel. Pour ce qui est des capacités d’adaptation, la constitution gaullienne de la Vème République servit de tremplin pour François Mitterrand qui en avait fait une critique sévère dans Le Coup d’Etat permanent mais n’avait jamais éprouvé le blocage d’un Mendès France refusant d’être candidat à la présidence de la République par refus des institutions.

    Pour ce qui est des limites, nous savons que la constitution française est l’une des seules constitutions européennes qui inscrit le droit à l’emploi dans son préambule - nous sommes également le pays qui dans les vingt dernières années a toujours eu structurellement le plus de chômeurs ; cette croyance en la garantie de l’écrit est typiquement française, la plupart des pays à travers le monde ayant une conception plus pragmatique des choses.
    L’originalité du modèle social européen
    Il existe effectivement une originalité du modèle européen. L’Europe, qui plonge ses racines dans des conceptions humanistes qui remontent au XVIème siècle, mais qui a connu aussi un mouvement ouvrier puissant, qui a vu au début du XXème siècle naître un catholicisme social ayant la volonté d’apporter lui aussi une réponse à la question sociale, s’est dotée d’un système de protection sociale fort qui a contribué à l’élaboration d’un modèle très différent du niveau américain, avec une volonté d’adoucir les risques de la vie. Aujourd’hui s’il existe chez les Français mais aussi dans bien d’autres pays de l’Union européenne, hors les nouveaux entrants, des inquiétudes sur l’évolution de ce modèle social européen, c’est qu’il est de plus en plus difficile de le financer. C’est là une des questions qu’on ne saurait éluder ! Or, il n’est qu’une façon de pouvoir défendre pour l’avenir ce modèle social européen, permettre à l’Europe de renouer avec la croissance et la compétitivité.
    Une politique d’innovation forte
    Pour cela il convient que l’Europe privilégie les politiques d’innovation, qu’elle incite ses membres à investir dans la formation et qu’elle même réserve une part importante de son budget à investir dans les politiques de recherche en mettant notamment l’accent sur les appuis forts à tout ce qui peut être projets communs entre pays européens. C’est en retrouvant en effet une capacité d’innovation technologique forte que l’Europe pourra développer les richesses susceptibles à la fois :

       De permettre aux anciens pays membres de maintenir leur pouvoir d’achat en même temps que leur niveau de protection sociale.

       De permettre aux nouveaux de progresser et de rejoindre petit à petit le niveau de pouvoir d’achat des anciens membres, renouant ainsi avec le cercle vertueux qu’avait enclenché l’adhésion à l’Europe de l’Espagne et du Portugal.
    Un investissement dans les grands projets
    L’Europe est à la peine aujourd’hui. Un investissement fort dans les grandes infrastructures permettrait de relancer la croissance. Le groupe d’experts de haut niveau Van de Miert a proposé à la Commission qui les a retenu trente projets de grandes infrastructures européennes dans le domaine ferré, autoroutier, fluvial, aéroportuaire et des nouvelles technologies, dont le début de réalisation devrait se situer avant 2010 ; cela devrait doper la croissance européenne mais cela nécessitera sans doute de reposer le problème du budget car on ne cumulera pas l’ensemble de ces politiques en maintenant à 1 % du PIB le budget européen. Il est sans doute possible de négocier, y compris avec le gouvernement britannique, un dépassement de ce taux, si celui-ci est persuadé qu’on investit dans les politiques de l’avenir.

c) Faire de l'Europe un fer de lance pour une nouvelle régulation mondiale

    Si l’économie mondiale connaît les difficultés actuelles, c’est qu’il n’existe plus aujourd’hui de capacité de régulation de cette économie. Lorsque l’économie se déployait essentiellement dans un cadre national, l’Etat en assurait la régulation. Aujourd’hui qu’elle s’est mondialisée, il n’existe plus d’institutions capables d’assurer cette régulation. Force est en effet de constater que les institutions qui sont investies de cette mission de régulation n’ont pas obtenu de résultats suffisamment probants, qu’il s’agisse du Fonds monétaire international ou de la Banque mondiale. En effet, les programmes d’ajustement structurels que le FMI a imposé à nombre de pays n’ont guère produit les effets escomptés. Quant à la Banque mondiale, il est euphémistique d’affirmer qu’elle a échoué à juguler la pauvreté dans le monde. De surcroît, le FMI comme la Banque mondiale sont des institutions nettement dominées par le club des pays industrialisés. C’est moins le cas pour l’Organisation Mondiale du Commerce qui, en dépit de tout le mal qu’on peut en penser, constitue un forum au sein duquel les Etats-parties négocient sur un relatif pied d’égalité. Ajoutons que l’OMC est dotée d’un organe de règlement des différends efficace. Cette institution semble s’affirmer comme un des vecteurs de la régulation de l’économie internationale. Mais il faut aller plus loin, si l’Europe veut pouvoir peser pour imposer de telles régulations au niveau mondial, elle doit impérativement emprunter les chemins de l’union.



3 – Résorber les fractures de notre société

 
Si notre économie n’a plus guère à voir avec l’économie des Trente Glorieuses, le paysage social se trouve lui aussi radicalement transformé.

Il semble loin le temps où l’on pouvait vraiment parler de classe ouvrière, voire de nouvelle classe ouvrière, voire de front de classe comme le faisait encore le PS à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Certes il existe toujours des ouvriers, un salariat modeste. Mais les transformations de l’appareil productif (éclatement des grands groupes industriels, externalisation d’un certain nombre de tâches pour se concentrer sur le métier de l’entreprise) ont largement contribué à distendre les statuts des différentes catégories de salariés. De même, l’instabilité actuelle des postes de travail qui, en rupture avec la période fordiste, fait qu’aujourd’hui un salarié a toutes les chances de changer de travail et même de type de travail plusieurs fois dans sa vie, rompt le rapport ancien qui existait vis-à-vis du travail.

Or, comme le sait tout marxiste débutant, l’appartenance à une classe n’est rien sans développement d’une conscience de classe. Dans la mesure où le travail cesse d’être un identifiant principal, d’autres facteurs (style de vie, références culturelles voire ethniques) comptent aujourd’hui tout autant sinon davantage pour définir une appartenance au groupe. Pour reprendre les analyses de Michel Maffesoli « nous vivons le temps des tribus » où les hommes et les femmes se regroupent par affinités autour de modes de vie et de pratique qui leurs sont propres avec chacun un style de vêtements, un style de pratique sportive ou culturelle. La sexualité est devenue, elle aussi un identifiant fort. Et l’homosexualité, désormais révélée au grand jour, a ses quartiers, ses boutiques, ses restaurants, ses clubs…

C’est cette société là que les socialistes ont à prendre en compte et elle diffère sensiblement de la société que pouvaient avoir sous les yeux un Marx, un Jaurès ou un Blum. C’est dire que la manière de s’adresser à nos concitoyens change fondamentalement par rapport à celle dont on pouvait le faire trente ou quarante ans en arrière.

Mais, nous dira-t-on, toutes ces différences là sont secondaires, le problème déterminant reste celui des inégalités sociales qui vient transcender tous les autres clivages. Certes ! Mais là encore, il faut y regarder de plus près. Est-on sûr que les aspirations des travailleurs pauvres soient si complémentaires des intérêts des Rmistes ? Ne sont elles pas au contraire vécues comme parfaitement contradictoires ?

De la même manière, dans les banlieues, croit on que le salarié pauvre d’origine européenne pense sa condition en parfaite harmonie avec celui des travailleurs d’origine étrangère ? Si tel était le cas, le vote extrémiste qui se nourrit justement de toutes ces contradictions serait moins important.

Nous avons aujourd’hui une société fractionnée et c’est dans l’espace que ce fractionnement est le plus visible. Nos villes en sont évidemment le miroir qui voient les fractures sociales s’inscrire dans une véritable fracture spatiale. La ville est désormais coupée en trois :
     Une ville centre réservée de plus en plus aux couches sociales aisées : ancienne bourgeoisie dans les quartiers riches traditionnels mais aussi nouveaux « bobos », nombreux à goûter au renouveau des villes, reconquérant et transformant une partie même des quartiers populaires anciens.

     La première couronne qui correspond aux quartiers HLM des années 1960. On sait qu’en 40 ans cette première couronne s’est radicalement transformée. Les couches moyennes qui habitaient hier ces lieux perçus comme des havres de confort, de bien-être, de liberté par rapport aux logements vétustes des centre-ville, les ont progressivement abandonné au fur et à mesure que ces quartiers se dégradaient. Elles ont été remplacées par des habitants plus pauvres, par tous ceux qui n’avaient pas les moyens d’habiter dans un autre quartier et évidemment parmi ceux-là par un nombre important de populations immigrées.

     Une troisième partie de la ville constituée des banlieues pavillonnaires des deuxième et troisième couronnes, se trouvent, elles, habitée par tous ceux qui ont fui la première couronne, mais n’ont pu trouver des appartements dans un centre désormais devenu trop cher pour eux.
C’est là le modèle de la ville éclatée : une ville centre marquée par les phénomènes de gentrification, une première couronne paupérisée et largement ghettoïsée, une deuxième et troisième couronne où se retrouvent des couches intermédiaires tentées par le repli sur soi et la crainte d’extension d’une ville qu’ils viennent précisément de quitter.

Cette situation là est intenable sur le long terme :
     D’abord parce qu’en terme d’aménagement du territoire elle est profondément contre-productive (en terme d’occupation de l’espace, de nécessité de création de nouveaux équipements publics alors même que ceux de la première couronne se dégradent, en terme de déplacements, car si on habite dans le péri-urbain on continue à travailler dans une ville qui est de plus en plus difficilement accessible chaque année).

     Ensuite parce qu’en terme d’équilibre social, cette coupure, en particulier entre la ville centre et la première couronne est tout à fait explosive. C’est en effet dans ces banlieues que se développent les territoires désertés par la République :
       avec des écoles qui n’accueillent plus que des enfants d’immigrés qu’elles condamnent donc le plus souvent à l’échec
       avec une difficulté énorme à accéder à l’emploi et au total des taux de chômage particulièrement élevés.



4 – Des politiques d’intégration
aux politiques d’égalité des chances

 
Le modèle français d’intégration avait fait ses preuves depuis plus d’un siècle et demi ; il avait permis jusque là d’intégrer au sein de la société française toutes les vagues d’immigration. Et les français, la gauche en particulier, étaient fiers d’un modèle républicain qui se targuait de ne pas faire de différence entre les lieux d’origine, entre les différentes confessions : ce modèle laïque et républicain prétendait ne reconnaître que le mérite et se flattait de pouvoir faire émerger les meilleurs quel que soit leur statut social.

A la fin des années 1960, Pierre Bourdieu avait déjà écorné le modèle en soulignant qu’il n’était pas si fortement avéré et que, pour les fils d’ouvriers par exemple, il n’avait permis qu’à la marge l’émergence de quelques éléments. Pour le reste il aboutissait davantage à un système de reproduction des classes sociales et de leurs inégalités qu’à la promotion forte des jeunes issus des couches populaires. C’est ce modèle qui se trouve aujourd’hui très fortement contesté par son incapacité à avoir pu fournir une réponse d’intégration forte à la venue massive d’immigrés en provenance d’Afrique du nord ou d’Afrique noire arrivés en France pour répondre aux besoins de main d’œuvre suscités par la reconstruction du pays puis par les Trente Glorieuses.

Il faut dire que cette immigration allait largement se percuter avec la crise économique née du premier choc pétrolier. Au moment même où Valéry Giscard d’Estaing permet le regroupement familial et où, les immigrés font souche en France avec des enfants qui, du fait du code de la nationalité, sont appelés à devenir français, le système économique entre en crise et beaucoup d’immigrés se retrouvent au chômage. Ce mouvement va se trouver renforcé par l’évolution de notre système productif, la fermeture des grands secteurs où travaillaient ces immigrés (mines, sidérurgie) ou leur reconversion vers des modes de production plus technologisés (usines d’automobile).

Face à ce choc économique dont ils avaient mal analysé les causes et prévu l’ampleur, les socialistes, après être arrivés au pouvoir et avoir échoué dans leur politique de relance par la consommation, vont inventer des politiques sociales du chômage dont l’outil le plus sophistiqué va être le RMI.

Les populations issues de l’immigration vont en être parmi les principales bénéficiaires. Mais ces mesures ont une double face : d’un côté indispensable pour permettre un minimum de ressources, elles deviennent très vite des trappes à pauvreté dont il est difficile de sortir. Les banlieues vont alors de plus en plus accueillir des populations vivant essentiellement de prestations sociales, elles vont voir leur population issue de l’immigration croître fortement jusqu’à devenir majoritaires, elles vont apparaître aux yeux de leurs propres habitants mais surtout aux yeux des autres habitants de la ville comme de véritables lieux de relégation.

La victoire socialiste de 1981 avait pourtant suscité une grande espérance chez les Français issus de l’immigration et la marche des beurs qui veut interpeller les politiques sur l’égalité est encore très largement une marche d’espoir. Les jeunes français issus de l’immigration qui demandent l’égalité revendiquent pleinement leur citoyenneté française. Ils font appel à l’idéal républicain pour être porteur de cette égalité dans une citoyenneté qui leur soit enfin pleinement ouverte.

Dans les mêmes années va apparaître SOS Racisme, aujourd’hui quelque fois dénoncé pour n’avoir été que le faux nez du PS et pour ne s’être attaqué qu’aux problèmes de la mixité des cultures non à une véritable intégration par le logement, l’école et le travail. On oublie que SOS Racisme fut un acteur considérable pour faire sortir les jeunes immigrés du ghetto.

Vingt ans après, le panorama s’est profondément modifié. Une partie des jeunes français issue de l’immigration a, malgré tous les obstacles, réussi. Elle a souvent quitté les banlieues qui n’ont donc bénéficié qu’à la marge d’un apport intellectuel et professionnel qui aurait pu féconder leur quotidien et être un support fort de leur revitalisation (selon le schéma des communities anglo-saxonnes).

Vingt ans après, certains de ces Français issus de l’immigration sont désormais avocats, journalistes, médecins. Le PS qui aurait dû être au premier rang pour accompagner cette promotion sociale est largement passé à côté et y a perdu quelques appuis.

En revanche, la plus grande partie de la population issue de l’immigration vit toujours dans les mêmes banlieues et est en proie aux mêmes problèmes :
     Sentiment de marginalisation par rapport au reste de la ville : on n’est pas dans la ville mais en marge comme pouvait l’être à la fin du 19ème siècle à Paris la classe ouvrière derrière les fortins à une époque où l’on parlait déjà des classes dangereuses ;

     Problème de réussite scolaire ; malgré l’abnégation souvent admirable des instituteurs, le sort des enfants de ces quartiers est scellé dès leur plus jeune âge car il est évident qu’on n’a pas la même chance quand on commence sa scolarité dans un ghetto ou bien dans un quartier aisé de la ville, pour ne pas parler même de l’école privée souvent lieu de refuge pour tous ceux qui mènent des stratégies d’évitement scolaire.

     Problème de marquage social induit par les banlieues : habiter dans tel ou tel quartier c’est bien souvent être marqué socialement, se trouver dans l’impossibilité d’obtenir un stage lorsqu’on est encore à l’école et bien évidemment une vraie embauche à l’âge adulte même lorsqu’on a atteint un niveau Bac +6.
Un tel ratage social n’est évidemment pas sans conséquences :
     Conséquence politique dans la mesure où une partie de cette population s’est détournée d’une gauche accusée de ne pas avoir su résoudre ses problèmes pour se tourner vers une droite qui, essayant de faire oublier la loi Méhaignerie sur la nationalité, son opposition systématique au droit de vote des étrangers, s’est appropriée sans vergogne un certain nombre de mesures mises en place par la gauche (cf la création du CFCM qui découle de l’action de Jean-Pierre Chevénement) et tente aujourd’hui, avec un certain succès d’ailleurs, de conquérir l’électorat beur en compensant sa politique fortement répressive du côté des jeunes issus de l’immigration par des mesures à la charge symbolique forte : suppression de la double peine, nomination de personnalités issues de l’immigration à certains hauts postes de l’administration (cf le préfet Aïssa Dermouche) et au gouvernement ;

     Mais aussi et surtout, risque de voir les banlieues passées sous influence des idées islamistes (cf ce que nous avons vu dans l’agglomération lyonnaise depuis 10 ans, de l’affaire Kelkal aux fils de l’imam de Vénissieux emprisonnés à Guantanamo). Il paraît presque bénin le temps où les banlieues étaient victimes des incivilités et de la seule violence urbaine, quand on a peur d’y déceler demain si ce n’est aujourd’hui les bases de futures dérives terroristes.
L’enjeu des banlieues est donc fondamental. De notre capacité à y répondre ou non dépend l’avenir de la France et la possibilité d’une cohabitation harmonieuse des Français de toutes origines. Si les socialistes veulent pouvoir offrir une réponse à ce défi, ils doivent développer dans leurs projets une vision politique forte de la ville du futur. Car demain la césure entre ville centre et banlieues ne doit plus exister. Ces dernières doivent devenir un élément à part entière de la ville, avec un urbanisme, une architecture, des transports en commun, des espaces publics qui soient de la même qualité que dans les centres villes.

Pour cela, il convient de mettre en place sur l’ensemble des territoires de nos villes une politique urbaine volontariste permettant d’inclure des logements sociaux comme d’ailleurs des logements intermédiaires au cœur de la ville centre et dans les banlieues résidentielles - ce qui suppose, nous le signalons au passage, que les socialistes se ressaisissent dans leur analyse des problèmes de propriété foncière.

Il convient aussi de procéder à une redynamisation de la première couronne en y ramenant des fonctions économiques fortes, en menant une politique de reconstruction urbaine (là où se trouvent aujourd’hui encore des barres et des tours doit enfin naître une ville), en y construisant massivement des logements pour l’accession à la propriété destinée aux couches moyennes de l’agglomération.

Bref, il faut construire une ville de la mixité sociale où la rencontre de l’autre, dans un rapport équilibré, fera tomber les préventions et fera apparaître l’autre non comme un élément perturbant voire menaçant mais au contraire comme une source d’enrichissement commune.

Cette révolution de la ville ne résoudra évidemment pas tous les problèmes des Français issus de l’immigration. Et l’on doit penser à des politiques ayant pour axe fort la formation qui, de manière volontariste comme ce fut le cas pour Sciences Po Paris ou l’ESSEC, puissent permettre à des jeunes de milieux populaires de préparer dans les meilleures conditions l’ensemble des concours de la fonction publique.

De la même manière, il faudra continuer à mettre en place une politique volontariste de lutte contre les discriminations avec par exemple un renforcement des pouvoirs de la Haute Autorité de Lutte contre les discriminations.

Enfin, si le principe de laïcité n’est évidemment pas négociable, nous ne pouvons pas éluder le problème de la construction des mosquées permettant d’en finir avec l’islam des caves et de la formation d’imams pratiquant un islam ouvert et tolérant.



5 – Remettre le fait urbain
au cœur d’une vraie décentralisation

 
Au travers de l’ensemble des thèmes que nous avons évoqués (qu’ils soient économiques ou sociaux) se retrouve un acteur majeur : la ville.

Or, il est vrai que nous vivons un nouveau temps des villes semblables à celui de la renaissance où la ville concentrait à la fois la création de richesse économique, intellectuelle, culturelle, artistique.

Nous sommes à nouveau entrés dans une époque où le fait urbain s’impose. C’est vrai à l’échelle du monde où des métropoles comme Tokyo avec ses 35,3 millions d’habitants, Mexico (19,2 millions), New York (18,5 millions), Sao Paulo (18,3 millions), ou Bombay (18,3 millions) ont une puissance tant démographique qu’économique sans commune mesure avec nombre de petits Etats qui pourtant siègent dans les différentes institutions internationales. Le phénomène est particulièrement affirmé en Europe, le continent le plus urbanisé du monde.

Dans le monde globalisé qui est le nôtre, les villes sont devenues des acteurs essentiels de la croissance économique, elles sont les lieux du rayonnement intellectuel et culturel, mais elles concentrent aussi la plupart des problèmes inhérents à notre société. Le phénomène urbain devrait donc être au cœur de nos institutions comme il l’est dans la réalité socio-économique. L’ancienne opposition ville-campagne tend elle-même à disparaître dans la mesure où - et c’est l’un de ses problèmes - la ville tend à s’étendre de plus en plus loin dans la campagne (phénomène de rurbanisation) et où elle est source d’enrichissement et de développement pour les territoires avoisinants. A contrario, là où il n’y a pas de ville assez forte, c’est tout le territoire qui tend à s’étioler et à se dépeupler. Le fait urbain est donc prégnant dans notre société.

Or, si l’existence du fait urbain avait été au cœur des lois sur l’intercommunalité de Jean-Pierre Chevènement avec la création des communautés de communes et communautés d’agglomérations.

Mais avec le gouvernement Raffarin, la réflexion a régressé et les lois de décentralisation récentes constituent, d’une certaine manière, un recul par rapport aux problèmes posés par la métropolisation de nos villes.

Les dernières lois de décentralisation ont en effet totalement oublié la ville si ce n’est sur le logement social dont la gestion a été transférée aux EPCI.
Mais pour le reste aucun des problèmes posés par les phénomènes de métropolisation n’a été posé. Comment assurer la gouvernance d’ensembles urbains qui dépassent aujourd’hui les frontières institutionnelles anciennes ?
Comment faire coïncider à nouveau réalité socio-économique et réalité institutionnelle ? Ce problème de gouvernance global est évidemment posé en Ile de France. Il est posé pour toutes les grandes agglomérations qui sont souvent à cheval sur plusieurs départements.

Il dépasse même quelque fois le problème des frontières dans la mesure où des agglomérations comme Lille, comme Strasbourg, comme Mulhouse, comme Annemasse sont aujourd’hui en train de se construire de manière transfrontalière.

Au travers de ce problème de la reconnaissance des villes se posent des enjeux déterminants comme la lutte contre l’insécurité - avec ses volets essentiels de la prévention et de la réinsertion, comme le développement économique où les villes par leur proximité avec les mondes de l’entreprise, de la formation, de la recherche peuvent fertiliser des projets communs. On a vu enfin que le problème de la réinsertion des banlieues était un enjeu majeur et qu’il conditionnait fortement l’avenir de toute notre société. Comme on l’a dit, le couple ville/campagne est même désormais entièrement lié. Cela veut dire que dans leur projet les socialistes doivent fortement repenser le projet urbain et traduire leurs analyses en futures lois complémentaires de décentralisation. Nous sommes là aussi au cœur de la vitalité, de la compétitivité et de la recomposition sociale de notre pays.



6 – Refuser le choc des civilisations
en inventant un monde solidaire

 
Les attentats de Londres sont venus rappeler à nos concitoyens l’omniprésence de la menace terroriste. Après l’apocalypse du 11 septembre, cet événement démontre une fois encore la fragilité de nos sociétés face au fanatisme, il montre combien notre quotidien peut très vite basculer dans cet Enfer décrit par Dante.

Il faut bien évidemment condamner le terrorisme. Il faut que le gouvernement participe pleinement à toutes les actions de lutte antiterroriste menées au niveau international.

Mais, pour réagir, il faut comprendre : comprendre quelles sont les racines de ce terrorisme et quel est aussi son moteur. Car contrairement à ce que l’on avait pu croire après la chute du mur de Berlin, nous ne sommes pas devant un monde plus simple (la fin de l’histoire selon Fukuyama) mais au contraire devant un monde beaucoup plus complexe.

Hier, le monde s’organisait autour d’un seul affrontement Est/Ouest, capitalisme/communisme. Ce conflit dominait tous les autres, il les articulait tous autour d’un même prisme réducteur. Même si la cause de tel ou tel conflit local pouvait avoir d’autres origines, ces origines restaient pour ainsi dire masquées. C’est ainsi par exemple que les Etats-Unis avait pu utiliser Oussama Ben Laden et les Talibans dans leur conflit contre Moscou. La volonté qui poussait les Talibans et Ben Laden à s’opposer à Moscou était évidemment très différente de celle qui animait les Etats-Unis - la suite l’a montré - mais alors le Jihad de ceux-ci était récupéré par ceux-là comme l’un des fronts du grand combat Est/Ouest. Aujourd’hui que ce combat central a pris fin, d’autres conflits se nouent autour d’une réapparition des nationalismes (conflit des Balkans) ou des identités ethniques (Afrique de l’Ouest).

Mais un conflit tend aujourd’hui à devenir majeur : celui que les pays et les groupes islamistes ont ouvert contre les pays industrialisés et qu’ils voudraient transformer en un conflit entre le monde musulman et le monde occidental voire élargir à un conflit Nord/Sud.

De ce point de vue, les cibles d’Oussama Ben Laden sont les pays occidentaux, condamnés comme véhiculant des valeurs matérialistes et athées, mais aussi la quasi totalité des régimes en place dans le monde arabe, accusés d’être corrompus et de ne pratiquer qu’un islam de façade destiné à cacher aux yeux de leurs populations leur pervertissement par la société occidentale. La récente élection iranienne est de ce point de vue éclairant en montrant combien était grande l’adhésion des couches populaires iraniennes aux valeurs d’un islamisme fondé sur un rigorisme moral fort opposé à la tentation occidentale de dirigeants « réformateurs ».

Le pire pour nous serait bien évidemment de donner le sentiment que le « choc des civilisations » a quelques réelles raisons d’exister.

C’est pourquoi, les pays occidentaux, mais aussi l’Europe, mais aussi les villes européennes et en particulier les villes socialistes doivent s’engager profondément derrière tous ceux qui cherchent à susciter des perspectives de paix pour le conflit israélo-palestinien, ce qu’a fait par exemple Lyon le 6 décembre dernier en donnant un prolongement au processus de Genève en organisant autour de Yossi Beilin et Yasser Abed Rabbo une rencontre d’une quinzaine de maires israéliens et palestiniens. C’est pourquoi aussi nous devons être au premier rang de la coopération Nord-Sud en faisant que, tant du point de vue de l’Etat que de la coopération décentralisée entre les villes, nous réussissions à faire que ceux qui croient en la coopération entre les peuples du monde puissent, dans chaque pays, se trouver renforcés.

Nous devons être présents dans tous les domaines qui intéressent les pays du Sud : Recherche et valorisation de l’eau, opération d’aménagement des réseaux urbains (assainissement, gestion des déchets, électricité), lutte contre les pandémies (Sida), lutte contre la fracture numérique.

Mais il ne s’agit pas seulement de porter assistance, il faut aussi permettre le développement. C’est pourquoi il est fondamental que les pays occidentaux, les pays européens, et pour être clair la France en particulier, n’apparaissent pas comme étant ceux qui bloquent leur développement en protégeant leur propre production.

Car ce serait le pire que sous un internationalisme de façade nous soyons suspectés, à cause de tirades trop caricaturales sur les délocalisations, de vouloir empêcher le développement du Sud.

C’est bien lorsque les socialistes sont à Porto Alegre, c’est encore mieux lorsqu’ils considèrent que le Brésil peut être un partenaire économique qui puisse valoriser ses propres atouts. On ne peut aimer les pays du Sud que lorsqu’ils se cantonnent des productions artisanales, un peu moins déjà quand ils s’attaquent aux productions textiles et plus du tout quand ils deviennent des concurrents (des partenaires ?) industriels. Ce mouvement est de toute façon inexorable, il demande à ce que nous mêmes soyons sur d’autres segments de la production et que nous imposions au niveau mondial une nouvelle régulation de l’économie.



7 – Relever le pari du développement durable et répondre aux questions éthiques posées par les technologies du futur

 
Au travers du développement des sciences et des techniques, il nous est sans doute possible de pouvoir parvenir, grâce à une volonté politique forte, à un développement juste de l’ensemble des pays de la planète. Mais cette capacité là elle-même nous pose le problème des limites de notre action.

C’est que notre planète est un ensemble fini. Hier, l’homme, parce qu’il n’était qu’un élément parmi d’autres de l’écosystème, pouvait se comporter en prédateur des ressources et de la vie de la planète.

Aujourd’hui, la question qui nous est posée est claire : Notre action n’hypothèque-t-elle pas le monde que nous laissons à nos enfants ? On connaît le très beau mot de Saint-Exupéry : « Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous empruntons la terre à nos enfants ».

Le problème de la durabilité de notre croissance est donc aujourd’hui posé. Il est encore de l’ordre du choix, demain, il nous sera imposé dans l’urgence, si ce n’est dans le chaos. Les défis sont clairement identifiés : réchauffement climatique aux conséquences de plus en plus catastrophiques (montée des eaux et disparition programmée d’îles entières et de zones littorales fortement peuplées) ; épuisement des ressources non renouvelables (pétrole, uranium…) et crise énergétique à l’horizon de ces prochaines décennies ; problèmes aigus de pollution de « biens publics » mondiaux tels que l’air et l’eau ; fragmentation des espaces due à un étalement urbain incontrôlé  déséquilibres des écosystèmes accompagnés d’une extinction massive d’espèces et de la marginalisation des populations qui y étaient traditionnellement attachés... Aujourd’hui, il nous appartient de répondre sans tarder à ces défis.
    Le défi du développement durable
     C’est tout le débat sur l’acceptation par tous les Etats et en particulier par les Etats-Unis du protocole de Kyoto.

     Mais c’est aussi celui de la définition de nos propres choix de politique nationale. On ne peut pas se contenter de grandes déclarations (« La planète brûle » nous dit Chirac) et en même temps être assez peu actif dans les politiques nationales. La diminution du budget de l’Ademe est là pour nous indiquer les contradictions entre les bonnes intentions affichées et la réalité des politiques menées.
On sait pourtant quelles sont aujourd’hui les politiques qui seraient efficaces :
     Action sur la fiscalité pour encourager le recours aux énergies nouvelles et pénaliser (bonus/malus) les voitures en fonction de leur indice de pollution.

     Incitation de l’Etat à l’investissement dans les politiques permettant des économies d’énergie :
       Energies renouvelables
       Transports (du fret maritime aux Transports en commun urbains, en passant par le ferroutage)
       Construction
       Gestion de l’eau
       Traitement des déchets
       Agriculture maîtrisée

     Incitation au développement de politiques HQE.

     Obligation pour l’ensemble des villes de plus de 20 000 habitants de mettre en œuvre un agenda 21.

     Un institut d’évaluation indépendant devrait, pour dépasser les simples intentions et inciter à passer à l’action, juger des politiques réellement mises en place par l’Etat, les grandes entreprises et les collectivités locales.
    Le défi des sciences du vivant
    A ce défi du développement durable s'en ajoute un deuxième. Il concerne les sciences du vivant.

    Aujourd'hui, avec les techniques de procréation artificielle ou médicalement assistée, la médecine, qui depuis son origine avait pour finalité de soigner, intervient dans le processus même de la vie. Depuis la naissance de Louis Brown (premier bébé éprouvette) en 1978, puis la création de la brebis Dolly en 1997, notre espèce sait qu'elle n'est plus à l'abri d'éventuelles manipulations génétiques nous conduisant à une forme de post-humanité, telle que prophétisée dans Le meilleur des mondes d'Huxley, et, plus proche de nous, par Francis Fukuyama dans son ouvrage : La fin de l'homme. Les conséquences de la révolution bioéthique.

    L'auteur, après avoir prédit la fin de l'histoire, envisage l'hypothèse selon laquelle les biotechnologies, les neurosciences et le progrès des sciences biologiques en général en viendraient à transformer si profondément la nature humaine qu'on ne pourrait plus vraiment parler d'humanité.

    Cela peut paraître excessif, mais le clonage animal, les études cherchant à valider les théories de l'hérédité de l'intelligence, l'essor déjà bien ancré de la neuropharmacologie pour assurer un contrôle social des comportements par divers type de psychotropes, montrent suffisamment combien les forces sont à l'œuvre pour s'emparer de l'intimité du vivant et le modifier, ce qui n'est pas autre chose que le retour d'un eugénisme qui ne dit pas son nom.

    Sans céder à aucune forme de " biocatastrophisme " (selon l'expression du Professeur Dominique Lecourt, Président du Comité d'Ethique de l'Institut de recherche pour le développement-IRD) - la technique et la science ne sont ni bonnes, ni mauvaises en soi - en revanche, l'intervention du progrès technique dans la vie humaine impliquant toujours plus de puissance et de précision, il est nécessaire d'une part, d'avoir une conscience claire des nouveaux enjeux que font naître les évolutions des sciences du vivant et d'autre part, d'avoir l'audace de penser au nom de quelles valeurs la technique est utilisée.

    Prenons la question des manipulations génétiques, quatre types d'enjeux se dessinent :

       Enjeux écologiques

    La sélection génétique accroissant le phénomène de sélection naturelle cher à Darwin, peut entraîner de forts risques de réduction de la biodiversité. Rien encore ne garantit, dans le cas des OGM contre toute forme de pollution écologique par pollinisation (en milieu naturel le pollen d'une plante transgénique peut aller féconder une plante qui ne l'est pas et ainsi transférer potentiellement sur une grande échelle les nouveaux gènes dont l'innocuité et les mutations sont mal évaluées). Comment anticiper les dérèglements de l'écosystème ? On peut par exemple transformer une mauvaise herbe en plante résistante à tous les herbicides connus.

    Ainsi, les transformations de la vie animale et végétale, par les incertitudes dont sont entourées leurs conséquences (trop peu d'évaluation dans le temps pour juger des répercussions médicales et sanitaires des OGM sur l'organisme), appellent-elles l'émergence d'une éthique de la responsabilité fondée prioritairement sur le respect du principe de précaution.

       Enjeux économiques

    Les gènes sont la nouvelle matière première du XXIèmme siècle et constituent déjà un marché gigantesque.

    La compétition aujourd'hui entre laboratoires se porte sur l'obtention de brevets portant sur des segments de gènes afin d'attribuer à leur « inventeur » un droit exclusif pour l'exploitation commerciale de tous les produits biotechnologiques dérivés. La nouvelle conquête est celle du gène rare (plantes, virus, animaux, et même humains sont concernés). On assiste ainsi à une entreprise de privatisation et de commercialisation du patrimoine génétique de la planète.

    Un des problèmes majeurs est que le génie génétique devient un outil de domination économique renforçant les inégalités Nord/Sud.

    En effet, la biodiversité est principalement concentrée dans les pays du Sud, les technologies dans le Nord et on assiste à une véritable piraterie biologique. Ainsi, malgré la création de banques d'espèces (où sont conservés des semences de millions d'espèces différentes) dans les pays en développement, ces derniers n'ont pas les moyens de financer la recherche agronomique et ne peuvent se procurer les variétés obtenues grâce à des croisements avec leurs variétés locales (le coût et la protection des brevets sur le vivant sont très dissuasifs). Les pays se retrouvent ainsi spoliés des semences d'espèces indigènes en voie d'extinction.

    Comment rétablir une équité au bénéficie de tous ? Comment préserver une biodiversité à l'état naturel ?

       Enjeux métaphysiques

    Le processus à l'œuvre dans la révolution biotechnologique touche la nature même des relations que nous entretenons avec la vie : devons nous lui reconnaître une valeur intrinsèque ou accepter qu'elle ait une valeur marchande ?

    Nous vivions avant sur le modèle darwinien de l'évolution des espèces (lente, puisque sur des milliards d'années, procédant par différenciation, spécialisation et hyper-adaptation).

    Aujourd'hui, nous mettons la nature à notre portée en maîtrisant et en accélérant le processus de l'évolution et, partant, nous nous réapproprions la création.

    Nous devenons véritablement coauteurs du vivant selon l'expression de Michel Serres dans L'Incandescent.

    S'il est exclu de remettre en question les avancées de la science génétique, il reste que l'utilisation technologique, industrielle, commerciale qui en est faite a des répercussions individuelles, politiques et sociales sans commune mesure avec une autre science (hormis peut-être la science de l'atome, mais si cette dernière a des conséquences politiques et sociales, elle ne remet pas en cause le sujet, l'identité de la personne humaine individuellement mais collectivement).

    L'heure est à la responsabilité et à la prudence. Aucune évolution n'est inéluctable, toute la question est de savoir si les hommes auront suffisamment de sagesse (et c'est la thèse et le pari de Francis Fukuyama dans La fin de l'homme) pour parvenir à tenir en équilibre les forces économiques du marché génétique et le respect de la personne humaine.

       Enjeux éthiques

    On le voit, nos pouvoirs actuels (ou ceux d'un futur proche) fragilisent potentiellement le monde naturel et rendent vulnérables les générations futures. Il devient impérieux de promouvoir, collectivement et individuellement, une éthique de la responsabilité en référence au principe responsabilité conçu par Hans Jonas.

    Il nous faut passer de la notion de dignité de la personne humaine, qui régit les droits de l'Homme, à celle de l'espèce humaine et des générations à venir. Nous vivons un véritable saut qualitatif de la morale qui n'est plus le rapport d'un individu à son prochain, à l'humanité en tant que concept (le genre humain, l'ensemble des humains ici et maintenant), mais à une humanité potentielle, les générations futures, nos successeurs, les enfants de nos enfants.

       La question de la brevetabilité du Vivant

    En ce sens, la question de la brevetabilité du vivant condense tous les problèmes, notamment métaphysiques, posés par la maîtrise technique du vivant et par son insertion dans une logique marchande. Un brevet est un droit d’exploiter industriellement une invention.

    Il faut bien reconnaître que le développement génétique rend de plus en plus malaisée la distinction traditionnelle de l’être vivant et du procédé de fabrication d’une nouvelle variété, dans la mesure où un vivant techniquement manipulé devient lui-même un produit de l’ingéniosité humaine.

    L’Europe, d’abord réticente, en a pris progressivement acte. L’Office européen des brevets a ainsi admis le principe de brevetabilité d’un animal génétiquement modifié en 1990. Le problème se complique lorsque l’être humain est concerné, un interdit juridique et éthique s’opposant à la commercialisation du corps humain. Toutefois, là encore, la techno-science bouscule les clivages traditionnels. A l’ère de la biologie moléculaire, la différence ontologique entre une séquence génique d’origine humaine et une séquence génique d’origine animale n’est pas évidente.

    Aussi, le problème s’est il déplacé, comme le montre la Directive relative à la protection des inventions biotechnologiques adoptée par l’Union européenne en 1998. Le problème est désormais de savoir ce qui, de l’homme, est brevetable.  Un élément isolé du corps humain - fait valoir la directive - y compris la séquence d’un gène, peut constituer une invention brevetable. » Cette position ne fait pas l’unanimité, la désacralisation du corps humain qu’elle entérine faisant, selon certains, le lit d’un capitalisme sauvage.

    Faut-il pourtant assimiler l’essence humaine au génome humain pour mieux stigmatiser les entreprises multinationales? Le génome n’est pas sacré, et la directive européenne s’inscrit dans l’effort pour édifier un bio-droit, seul moyen de codifier une bio-économie en plein essor.

    La question bioéthique est, et restera, celle de cette régulation et du consensus sur la question de la dignité humaine sur la base d'un dialogue entre sciences de la vie, sciences humaines, philosophies, traditions religieuses, éthique et droit.

    Nous rappellerons que l'expression de "dignité humaine" bien avant Kant, avait été employée par Pic de la Mirandole pour signifier que l'homme est cet être qui ne se satisfait jamais de la place qu'il occupe et qui, toujours, avance sur le chemin de la connaissance et de l'ingéniosité.

    Ce chemin se doit d'être dressé entre la limite de l'impératif catégorique de traiter toujours la personne comme une fin et jamais comme un moyen, et celle récente d'agir toujours de telle sorte que nous ne préparions pas, selon l'expression d'Axel Kahn dans Société et révolution biologique. Pour une éthique de la responsabilité, un cadre de vie pour nos successeurs que nous refuserions pour nous-mêmes, quand bien même nos sociétés présentes n'en pâtiraient pas.



 
Au final, quel est le fil conducteur de cette contribution ? Il est de montrer que s’ils veulent être pertinents face à la société d’aujourd’hui et de demain les socialistes mais aussi la gauche dans son ensemble ne sauraient rester figés sur des analyses anciennes car les partis qui se fossilisent dans une pensée ancienne sont des partis qui disparaissent. Ils peuvent mourir lentement. Mais faute de se régénérer ils finissent par disparaître inexorablement. Les problèmes d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier et les réponses à apporter doivent être nouvelles aussi.

C’est pourquoi il est urgent pour le parti socialiste de revisiter son analyse et sa pensée. Cette contribution veut appeler à un congrès de réflexion qui nous permette demain de développer notre action au service d’un réformisme vrai parce que adapté aux problématiques de la société d’aujourd’hui. C’est sur cette base en effet que nous aurons demain un candidat capable d’affronter la présidentielle avec succès et surtout un candidat qui puisse après son élection mettre en œuvre notre projet avec succès.





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