En finir avec
la « politique de la ville »
pour mieux répondre aux défis de la société urbaine

Yves Dauge

 Contribution thématique au congrès national de Dijon présentée par Yves Dauge, sénateur de l'Indre-et-Loire.
18 janvier 2003

 
Le vote et le non-vote des quartiers populaires ont pesé lourdement sur le résultat des dernières élections   et pas en faveur de la gauche, malgré tout ce qui a été fait par le gouvernement de Lionel Jospin. Il faut en comprendre les raisons et tenter d'élaborer des réponses adaptées à ce qui constitue un problème de société majeur.

Cette contribution veut simplement ouvrir un espace de débat.

Un problème politique majeur

 
Il y a actuellement 751 Zones Urbaines Sensibles (Z.U.S) réparties sur 490 communes et 87 départements (cf. INSEE – n°835 – mars 2002 – Etude de J. L Le Toqueux et J. Moreau).
En 1999, 4,67 millions de personnes vivaient dans ces Z.U.S, soit près de 13,8% de la population des unités urbaines.
Entre 1990 et 1999, malgré la baisse sensible de la population résidante, le chômage y a fortement progressé passant de 400 000 à près de 500 000, et se situant à un niveau de près du double de celle de l’ensemble de la France métropolitaine (25,4 % contre 12,8 %). De plus, lorsqu’ils travaillent, les habitants des Z.U.S occupent plus que les autres des emplois précaires.
La part des chômeurs parmi les jeunes actifs résidant en Z.U.S s’est fortement accrue passant de 28,5 % en 1990 à 38,6 %.
Sur les 717 Z.U.S métropolitaines 177 ont connu une évolution du chômage inférieure à celle de leur zone d’emploi, mais 540 - de taille moyenne plus élevée - ont connu une évolution supérieure.

On pourrait multiplier les chiffres, ils vont tous dans le même sens. Il existe dans notre pays un nombre important de territoires qui décrochent et qui connaissent de plus en plus de difficultés économiques et sociales. On sait qu’ils abritent une proportion forte de jeunes de faible qualification, d’étrangers (le double que dans les unités urbaines) ou d’origine étrangère, etc.

L’impact de ce phénomène n’est pas mesurable, mais on sent bien qu’il dépasse de très loin le cadre des Z.U.S et qu’il touche l’ensemble de la société urbaine :
Communautarisme en progrès, marquage négatif des territoires et de ceux qui y vivent, montée des incivilités et du sentiment d’insécurité, effritement des valeurs républicaines et de la citoyenneté,...

Et pourtant, depuis 20 ans, la « politique de la ville » inventée par la gauche et poursuivie par la droite s’est considérablement développée : Habitat et Vie Sociale, Développement Social Urbain, Banlieues 89, Pacte de Relance pour la Ville, Renouvellement Urbain, …, en attendant une prochaine appellation.

On ne saurait dire que la volonté politique a manqué, que les moyens financiers ont été mesurés, que la France est une exception en Europe au regard de ces problèmes,...

Alors, comment expliquer cet échec bien camouflé sous l’affirmation incontestable : « Si on n’avait rien fait, la situation aurait été pire » ?

Cet échec, qu’on peut qualifier de politique, se traduit par des effets graves touchant le racisme, le repli sur soi, la création d’enfants en révolte qui ne se reconnaissent plus dans la société actuelle, l’appauvrissement collectif, la fragmentation sociale. Il profite indiscutablement à la droite et interpelle gravement la gauche. Il semble enfin que, face à ce constat que presque personne ne conteste, la classe politique nationale et locale manifeste un certain désarroi.

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Un diagnostic à préciser

 
Toutes ces années de travail, toutes ces énergies mobilisées ont permis en tout cas de porter sur ces problèmes un regard plus assuré et sans doute par-là, de développer des politiques publiques moins incertaines :
     Il n’y a pas d’urbanisme pathogène, même si des améliorations importantes restent à faire sur le cadre de vie. L’espace, néanmoins, demeure un bon révélateur des malaises sociaux.

     La question principale reste celle d’une concentration sur des territoires résidentiels d’un certain nombre de difficultés présentes dans toute la société urbaine, mais de manière plus diffuse. Citons notamment sans être exhaustif :
       le chômage, la précarité, l’échec scolaire, des structures familiales désorientées, l’insécurité, la perte de repères culturels, les troubles de voisinage, et la diminution des revenus les plus bas.

     Le fait que les phénomènes aggravants pèsent plus lourd dans la plupart des Z.U.S que les remèdes apportés traduit aussi d’indéniables difficultés de mise en œuvre des politiques publiques :
       Les politiques de peuplement dans le logement social conduisent toujours à concentrer les populations en difficulté ;
       Les anciens réseaux de solidarité urbaine (associations, clubs, usagers d’équipements publics) fonctionnent mal ;
       L’action économique est trop articulée sur les effets d’aubaine fiscale ;
       Les travailleurs sociaux sont désorientés devant les problèmes à traiter ;
       Les processus d’une véritable démocratie participative sont très faiblement développés.

     La mise en œuvre administrative des politiques publiques s’est traduite par :
       Une certaine focalisation vers ce qui est le plus usuel à traiter, à savoir l’urbanisme et l’habitat ;
       Des structures ministérielles peu propices à la transversalité ;
       Une administration centrale de mission au positionnement ambigu (la DIV) ;
       Des circuits financiers d’une lourdeur incommensurable ;
       Une articulation délicate entre l’Etat et les collectivités ;
       L’absence de mobilisation du secteur privé et plus généralement de la société civile au profit de « spécialistes de la politique de la ville ».
Les inadéquations terminologiques rémanentes traduisent bien la confusion des esprits :
     la politique de la ville, désigne la politique de la ville malade ;
     on parle des problèmes des banlieues : or, il n’y a pas de Z.U.S que dans les banlieues, et il y a des banlieues résidentielles qui se portent fort bien ;
     le terme de renouvellement urbain, désigne avant tout de fait la destruction spectaculaire du logement social pour tenter - sans grand succès - de diluer les problèmes dans l’agglomération ;
     etc.
De manière plus récente, c’est-à-dire depuis 1995, les voies choisies pour tenter de régler, ou tout au moins de réguler ces problèmes de la société urbaine ont révélé leurs limites :
     La « discrimination positive » n’est pas une politique, c’est un moyen parmi d’autres au service d’une politique ;
     Lorsqu’on évoque le fait que si on s’attaque aux problèmes structurels de l’emploi, de l’éducation, de l’habitat, de la sécurité,... , on aura réglé le problème des quartiers difficiles, on néglige gravement la force négative de la concentration territoriale à laquelle on est parvenu ;
     La destruction de cités d’habitat social - même avec l’accélération que veut lui donner l’actuel ministre grâce à une efficacité administrative et financière nouvell - se révèle vécue comme un traumatisme dans l’inconscient collectif et se réduit trop souvent à des solutions en terme d’urbanisme et d’habitat envisagées comme remèdes à une société malade : comment d’ailleurs imposer la mixité à un corps social qui, aujourd’hui, n’en veut pas, ou a été quasi conditionné pour ne pas en vouloir ?

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Quelle politique alternative ?

 
Cette politique vise à une « mise en société urbaine », à recréer des réseaux de solidarité, à resserrer des liens distendus, à responsabiliser l’ensemble des habitants-citoyens, et pas seulement ceux des « quartiers en difficulté », pour « un mieux vivre ensemble » en ville. Elle repose avant tout sur la capacité d’initiative des citoyens - trop souvent sous estimée - ainsi que sur une vraie responsabilisation des élus locaux.

Elle n’est pas novatrice par le biais de telle ou telle mesure miracle qui ne serait qu’un gadget ; elle l’est par le fait que, tant dans le contenu que dans la méthode de mise en œuvre, on s’efforce effectivement - et pas seulement par le discours - de mieux tenir compte des acquis (et même des erreurs) du passé.

Le changement de vocabulaire et de communication sur la ville fait intégralement partie de la nouvelle politique proposée.

C’est une politique qui s’applique à l’ensemble du territoire de la République, tout en prenant en compte de manière décentralisée les spécificités de chaque sous-ensemble territorial (le plus souvent sous forme d’unité urbaine, les territoires ruraux ayant également des problèmes sérieux, mais relevant en large partie d’une logique différente).

Elle se traduit dans l’ensemble des unités urbaines par des programmes décentralisés qu’on appellera provisoirement « programmes pour le droit à la ville ». Ces programmes reposent sur des actions élaborées à l’échelon local à partir des principes directeurs suivants qui constitueront, après un débat national, une Charte pour le droit à la ville (on pourrait les dénommer aussi « pactes urbains » dans la mesure où ils résultent d’engagements collectifs).

    1. Les mesures élaborées touchent simultanément le social, l’économie, le spatial et le culturel, et s’efforcent d’établir des synergies entre ces domaines ;

    2. Elles se situent sur plusieurs échelles de territoires (de l’agglomération au quartier, voire à l’îlot) et de temps (du quotidien au prospectif) ;

    3. Elles couvrent dans la ville tous les territoires concernés par des concentrations d’handicaps et risquant de faire ségrégation ; Une hiérarchie sera établie en fonction des problèmes rencontrés. Mais c’est bien l’ensemble de l’unité urbaine qui est concernée ;

    4. Elles reposent avant tout sur une responsabilisation des habitants citoyens et sur une mobilisation des forces économiques et sociales ;

    5. La priorité consiste à mettre en œuvre tous les moyens possibles permettant de casser les concentrations et d’améliorer les conditions de vie en ville ;
    Ces moyens peuvent concerner la construction de logements, la recomposition urbaine, l’amélioration des transports en commun, le développement local, l’éducation, l’amélioration des services aux entreprises et aux personnes, l’aide sociale aux catégories de personnes qui en expriment le besoin, etc.
    Il est évident que chaque programme est établi librement à partir d’une mobilisation collective, et avec l’appui des outils techniques existants ou nouveaux. Il n’y a aucun cadre pré-déterminé à cet effet ;

    6. L’Etat est chargé :
       de faire jouer la solidarité nationale par des injections de moyens financiers compensant les inégalités entre territoires et permettant de financier en partie ces programmes,
       d’évaluer les résultats obtenus,
       de s’articuler sur les politiques européennes concernées, dans leur diversité.

    7. Dans le contexte de la décentralisation (incluant la liberté fiscale), les collectivités territoriales conduisent cette politique en fonction de leurs compétences. Il est désigné localement pour chaque programme un « primus inter pares » pour le piloter politiquement. Cette désignation s’opère en fonction de l’organisation territoriale (EPCI et Communes) et de l’échelle des problèmes rencontrés. L’organisation politique est variable ; elle est du ressort des élus locaux qui en rendent compte aux citoyens. Les formes de démocratie participative mises en œuvre font partie de cette organisation politique ;

    8. Dans chaque région, un programme de formation des élus, des professionnels et des habitants volontés, pour diffuser les acquis, est défini et mis en œuvre ;

    9. Pour les unités urbaines qui le souhaiteraient, le cadre d’un nouveau type d’opérateur d’intégration urbaine est défini (Etablissement Public Local ou S.E.M). Cet opérateur susceptible d’intervenir sur l’ensemble de l’unité urbaine pour mettre en oeuvre le programme avec une capacité d’intégration des moyens techniques et financiers et avec des modes d’intervention dérogatoires, notamment en matière d’habitat, d’urbanisme, et d’action économique.

JUSQU'A QUAND LAISSERONS NOUS LE CHAMP LIBRE A LA DROITE
SUR UN TERRAIN QUI DEVRAIT ÊTRE NOTRE TERRAIN PRIVILEGIÉ,
NON SEULEMENT DE PROPOSITIONS,
MAIS AUSSI D’ACTIONS IMMÉDIATES
DANS LES MUNICIPALITÉS DE GAUCHE ?



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