Quel avenir pour la région parisienne ?
Pas de ville à deux vitesses

Point de vue d'Yves Dauge, paru dans les pages " Horizons " du quotidien Le Monde daté du 12 Avril 1990

 
L'Île-de-France peut croire à son avenir. Paris et sa région ont tous les atouts d'une des métropoles les plus fortes de l'Europe et du monde. Sa puissance économique, son potentiel de recherche et de formation de haut niveau, son patrimoine culturel et artistique, son emplacement stratégique (à la jonction de l'Europe du Nord et du Sud) en font un pôle attractif. Mais cet avenir ne peut être assuré qu'au prix d'une politique d'aménagement volontariste et cohérente, indispensable pour assurer le mieux-vivre du quotidien des dix millions de Franciliens et corriger les disparités géographiques et sociales les plus flagrantes.

Les conditions de vie n'ont cessé de se dégrader : escalade des loyers, envolée des prix de l'immobilier, congestion du trafic, allongement des trajets entre le domicile et le travail. Jusqu'à ce que le gouvernement décide, en octobre dernier, de porter un coup d'arrêt en lançant un programme d'actions immédiates. Objectif essentiel : accroître l'offre de logements, aujourd'hui très insuffisante, tout spécialement pour les catégories intermédiaires et les plus démunis.

Une action foncière très forte est à l'œuvre. Elle vise tout à la fois à mobiliser les emprises publiques susceptibles d'être urbanisées à court et à moyen terme, à accélérer l'offre privée, à reconstituer les stocks de terrains à bâtir dans les villes nouvelles, et à constituer des réserves dans les secteurs de la grande couronne, où l'urbanisation est appelée à se développer. Il faut en effet maîtriser la spéculation et éviter de la nourrir en corrigeant les excès par des subventions publiques. Cela permettra de réaliser les logements sociaux indispensables.

Car le marché foncier évolue vite : l'Ile-de-France connaît une forte accélération du prix des terrains, qui renforce singulièrement sa spécificité par rapport aux agglomérations de province. On sait à quelles extrémités peuvent conduire ces processus de valorisation spéculatifs, rapidement incontrôlables. Le cas de Tokyo est effarant. La valeur cumulée des sols de son agglomération dépasse celle des terrains couvrant la totalité du territoire des Etats-Unis !

Quartiers en détresse

A l'inverse, des processus de dévalorisation s'accélèrent dans de nombreuses banlieues de l'agglomération parisienne. Les disparités sociales et économiques s'accentuent, certains quartiers se paupérisent et se dégradent de plus en plus vite. La présence de ces îlots sensibles - près d'une centaine en région parisienne - constitue un double défi d'équité et d'efficacité qu'il est essentiel de relever.

La croissance économique ne peut y suffire. Sans le contrepoids d'une volonté politique, elle contribuera au contraire à concentrer davantage les populations moins bien pourvues et à repousser les activités économiques les plus modestes comme l'artisanat ou le petit commerce. Le grand risque réside dans l'apparition brutale - comme dans les grandes agglomérations des Etats-Unis, voire de Grande-Bretagne - de phénomènes de rupture sociale et dans la constitution de ghettos.

L'agglomération parisienne ne doit pas devenir une ville à deux vitesses. Une politique active de développement social urbain à laquelle concourent l'Etat et la région est mise dès maintenant en oeuvre sur cinquante quartiers où sont observées les difficultés les plus fortes et qui abritent les populations les plus défavorisées. Ces quartiers connaissent généralement une proportion importante de populations étrangères, ou d'origine étrangère, qu'il est pourtant essentiel d'intégrer.

Cette politique de développement social urbain est indispensable. Elle vise non seulement à améliorer, par une approche globalisée partenariale et contractualisée des problèmes locaux, la situation de ces quartiers en détresse, mais aussi à prévenir l'apparition des mêmes problèmes dans d'autres zones. Elle implique une maîtrise publique plus forte, à l'échelle de l'agglomération tout entière, des politiques de peuplement et de qualification professionnelle en vue d'une meilleure insertion économique. Elle appelle, en outre, une plus juste péréquation des ressources fiscales entre les collectivités constitutives de l'agglomération et le dépassement de certains égoïsmes communaux.

Trois " contrats de ville " sont depuis quelques mois en cours d'élaboration en Seine-Saint-Denis et dans les agglomérations de Mantes et de Creil. Ils doivent associer l'Etat et les collectivités locales concernées autour d'un projet d'agglomération à moyen terme prenant en compte les exigences de la solidarité.

La politique de développement social urbain se traduit ainsi par des programmes à moyen terme (conventions de quartier, contrats de ville) qui assureront la transition entre le programme d'actions immédiates engagé par le gouvernement et le nouveau schéma directeur à long terme, dont la publication du Livre blanc vient de marquer la mise en chantier.

Étendre la réflexion

La réflexion collective sur ce schéma directeur gagnerait sans doute à se développer non pas à l'échelle de la région tout entière, mais plutôt à celle de sous-ensembles urbains de un ou deux millions d'habitants présentant une solidarité de fait et réunissant riches et pauvres autour d'un pôle de développement. La conception du schéma directeur en serait profondément renouvelée. Des dynamiques se créeraient, dissipant les pesanteurs d'aujourd'hui. On aboutirait naturellement, par une démarche ascendante partant des perspectives de développement propres à chacune des entités urbaines considérées, à un schéma d'ensemble.

Il paraît en outre indispensable que la réflexion sur l'organisation spatiale de la région Ile-de-France s'accompagne, comme le suggère d'ailleurs le Livre blanc, d'une réflexion à l'échelle de l'ensemble du grand Bassin parisien.

L'amélioration des moyens de communication, l'extension du réseau TGV vont profondément modifier la géographie de ce Bassin, en mettant, par exemple, Lille et Tours à une heure ; Metz, Nancy, Angers et Bruxelles, à une heure trente de la capitale.

Ainsi va être créée une immense zone de solidarité. L'Etat et les régions concernées doivent donc s'entendre pour rechercher et organiser les complémentarités, par exemple en matière de grands équipements tertiaires et d'universités, dans un réseau de villes, coopératif et interactif.

Ainsi seront favorisés les échanges au bénéfice de tous, tout en conjurant les menaces d'urbanisation en tache d'huile autour de l'agglomération parisienne. Car le petit nombre des gares d'arrêt du TGV, leur éloignement relatif de la grande couronne, la raréfaction des dessertes par trains ordinaires contribueront en effet à restructurer profondément les lieux de résidence des quelque deux cent cinquante mille personnes qui travaillent en Ile-de-France et habitent à l'extérieur de la région.

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