Pour un congrès du Parti socialiste utile aux Français

Point de vue de Bertrand Delanoë, maire de Paris, paru dans le quotidien Le Monde daté du 28 juin 2005



 
2002, 2004, puis 2005. Pour les socialistes, les scrutins se suivent, mais ne se ressemblent pas. Faudrait-il en déduire que l'électorat est devenu définitivement fluctuant ? Pas si sûr. Car ces rendez-vous successifs présentent au contraire une similitude forte : ils traduisent, à chaque fois, une volonté de rejet de l'exécutif qui l'emporte sur tout réflexe d'adhésion.

Ainsi, à la présidentielle de 2002, c'est un exécutif " à deux têtes " qui est désavoué au premier tour. Puis la droite, aux élections cantonales et aux régionales de 2004. Pourtant, celle-ci choisit de traiter par le mépris l'avertissement limpide des électeurs. En démocratie, cela se paie.

On l'a vu le 29 mai. Le même logiciel a opéré : la sanction du pouvoir, national mais aussi européen, s'est de nouveau manifestée. Interpréter ce vote comme le réveil civique du " peuple de gauche " serait donc un peu rapide.

D'abord, l'abstention - autour de 30 % - reste constante par rapport au référendum sur Maastricht. Surtout, on doit se rappeler que dès 2004, c'est dans les communes ouvrières que le FN a enregistré ses meilleurs scores. Preuve, nullement démentie un an plus tard, qu'une partie importante de l'électorat populaire s'est malheureusement détournée de la gauche française, au bénéfice de la droite populiste ou de l'extrême droite.

Loin d'un grand soir insurrectionnel, le 29 mai marque en fait la conjonction de préoccupations très diverses - et parfois contradictoires - qui nourrissent le non.

S'expriment l'angoisse du déclassement social et du chômage, la perte de confiance dans notre démocratie, dans notre système de représentation, ainsi que dans la justice et l'efficacité des politiques publiques. L'un des leviers du scrutin - même si Paris fait ici figure d'exception - réside d'ailleurs dans le vote des classes moyennes, qui " basculent " du oui à Maastricht au non à cette Constitution.

C'est dans ce contexte que les socialistes vont entamer la préparation de leur congrès. D'entrée, disons-le : les appels - légitimes - au rassemblement et au " respect des militants " ne suffiront pas, même quand ils émanent de ceux qui ne les ont pas vraiment respectés. Tout aussi inopérante la logique qui consisterait à installer le clivage oui/non comme préalable à toute réflexion collective. Car nul ne peut prétendre imposer aujourd'hui une lecture sans nuance : ni les battus du 29 mai - dont je suis - ni les " vainqueurs ", dont la virtualité désormais avérée du " plan B " devrait les inciter à assumer un débat ouvert. Inspiré d'abord par la vie des Français.

C'est la condition première d'un projet novateur, opérationnel, " radicalement progressiste " et s'inscrivant (quelle audace !) dans une économie de marché.

Or, sans un PS en phase avec les citoyens, mais aussi avec sa propre identité, il n'y a pas de changement possible : pour produire des résultats utiles, la transformation sociale a besoin de s'appuyer sur une volonté gestionnaire assumée. Entre l'incantation démagogique et une prudence extrême, il y a la voie de l'exigence idéologique. C'est par la politique, au sens noble du terme, que nous ferons vivre ce congrès, que nous lui donnerons un sens, que nous construirons notre unité. En nous appuyant sur les succès objectifs que nous avons remportés lorsque nous étions en responsabilité, ce dont les Français prennent acte à l'heure où 10 % de la population est au chômage.

En reconnaissant aussi nos échecs, dont le dernier en date : notre incapacité à expliquer et à convaincre sur un projet européen qui présentait pourtant des avancées réelles. En réaffirmant, enfin, le rôle de notre formation dans le jeu démocratique, en écho à l'entreprise de " délégitimation " à laquelle certains se sont malheureusement livrés, " au nom du peuple " bien entendu...

Donc, place aux idées. Il nous faudra arrêter des priorités. Car agir en politique, c'est d'abord choisir un nombre identifié de thèmes moteurs.

Qu'il me soit donc permis d'en distinguer cinq, qui pourraient structurer une ambition à la fois sociale, démocratique, environnementale, sociétale et européenne.

D'abord le social : il nous faut comprendre les nouvelles inégalités et promouvoir des politiques innovantes pour y faire face. Il s'agit d'encourager l'autonomie de chaque individu, en garantissant à tous des droits équivalents. Cette logique devra s'appliquer en particulier à notre système éducatif.

Il nous faudra donc réorienter progressivement à la fois notre dispositif d'éducation, pour promouvoir une véritable égalité de chances, et de formation, pour permettre à chacun de s'adapter au fil de sa vie professionnelle.

Car il ne s'agit plus de remplir des stages pour " occuper " la personne ou faire disparaître certains chômeurs des statistiques. Il s'agit au contraire d'optimiser les parcours nécessaires afin de trouver ou de retrouver un emploi. La mise en place de " plates-formes régionales de validation " favoriserait une meilleure orientation de chacun, sur la base d'un bilan de compétences individualisé. Le tout en synergie avec les entreprises locales. Les moyens financiers existent. Il faut les dépenser mieux. Au service d'une formation source de véritables perspectives.

La question du pouvoir d'achat désigne une autre priorité, influant directement sur cet " ascenseur social " aujourd'hui en panne. Depuis 2002, en effet, le pouvoir d'achat du salaire par tête a diminué en France. La répartition de la richesse produite s'est faite largement en faveur de l'actionnariat, et aux dépens du salariat. Raviver la croissance implique donc de relancer le pouvoir d'achat, ce qui nécessite un rééquilibrage dans ce partage. Ambition qui appelle notamment une réforme fiscale d'envergure.

Il faudra en particulier remettre en question une situation qui voit les classes moyennes supporter majoritairement la charge légitime de la solidarité. Illustration de ce nécessaire renouveau fiscal : le gouvernement a décentralisé le RMI, sans prendre la peine d'une réforme de fond. Or ce minimum social, bien qu'insuffisant pour vivre décemment, s'est peu à peu substitué à l'assurance-chômage. Désormais, celle-ci protège moins de la moitié des chômeurs ! Il faut donc lui redonner son rôle dans le cadre d'un service public de l'emploi renforcé.

D'ailleurs, au lieu de désigner les chômeurs comme des " coupables " en puissance, il serait plus productif de développer les formules de cumul entre leur allocation et un emploi passerelle, afin de créer les conditions d'une vraie réinsertion professionnelle. A l'heure où le gouvernement invite les Français à travailler plus, et plus longtemps, affirmons pour notre part notre volonté de " travailler plus nombreux ". Disant cela, je pense aux jeunes, mais aussi aux plus de 55 ans, qui devront faire l'objet d'un traitement spécifique. Et, là, aucune piste ne doit être négligée.

L'époque, par exemple, est à la promotion du modèle danois. Nous avons en effet à apprendre des autres. Sans oublier, dans l'exemple évoqué, que le corollaire de la flexibilité est la revalorisation des salaires et une protection sociale de haut niveau. Car pour nous l'entreprise n'est pas " l'ennemie ". Mais, contrairement à la droite ultralibérale, ses objectifs - légitimes - ne peuvent être érigés au rang de projet de société.

L'ambition de restaurer la confiance des citoyens dans la performance des politiques publiques devra s'accompagner d'une dimension éthique. Car notre modèle collectif n'apparaît pas seulement grippé, il est ressenti aussi comme " amoral ". La réponse passe sans doute par une réforme de nos institutions : harmonisation de tous les mandats électoraux à cinq ans, transparence accrue de notre vie publique, limitation stricte du cumul pour les fonctions exécutives (y compris dans le temps) et renforcement des pouvoirs du Parlement.

Cela dit, je doute que l'enjeu se résume à une question institutionnelle. Le défi est plus large. L'idée est bien de renouveler notre pratique démocratique.

La vitalité de la vie associative et l'essor du bénévolat, pourtant peu aidés dans le système français, offrent des perspectives considérables. Dans une France largement urbaine, les différentes formes de la démocratie participative doivent donc être encouragées. Mais, au-delà, l'enjeu est d'adapter à l'échelle nationale un état d'esprit ainsi que des pratiques qui font leurs preuves aujourd'hui au niveau local. Ces formes d'engagement civique ne s'opposent aucunement à la démocratie représentative. Au contraire. Elles peuvent l'enrichir et redonner confiance en l'action politique, dont elles démultiplient les moyens.

De même, refonder la démocratie sociale est sans doute le préalable à toute réforme ambitieuse. Nous devrons donc réfléchir aux moyens qui permettraient aux partenaires sociaux de jouer leur rôle, en amont de tout changement.

Ainsi, l'investissement des organisations syndicales sera incontournable dans l'élaboration des réponses à certaines des interrogations aujourd'hui majeures : comment créer de nouveaux acquis sociaux en réformant ceux qui s'avèrent moins pertinents, voire inéquitables ? Comment prendre en compte les intérêts des personnes exclues de la représentation, comme les chômeurs ou les salariés des très petites entreprises ? Autant d'enjeux essentiels au renouvellement de notre dialogue social.

Ce dernier point conduit naturellement à réfléchir au rôle même de l'Etat. Celui-ci ne peut être omnipotent, ce qui ne doit pas l'empêcher d'être volontariste et efficace. Régulation économique, redistribution, performance des services publics, défense des valeurs républicaines face à la montée du racisme, de l'antisémitisme et des discriminations, désignent autant de missions qui sont de son ressort.

La situation actuelle du logement, par exemple, désigne une injustice grandissante qui impliquerait une intervention énergique de la puissance publique autour de trois axes : développer les moyens de financement public du logement social, mieux encadrer l'évolution des loyers et accélérer les opérations de renouvellement urbain.

La remarque s'applique aussi aux politiques en faveur de la petite enfance. Les lacunes françaises en la matière sont criantes. Elles fragilisent la situation des parents, et singulièrement des femmes, devant l'emploi, mais aussi celle des enfants devant l'école. Ensemble, nous devrons réfléchir aux modalités d'un mode de garde collectif garanti à chaque famille, et financièrement adapté à leurs ressources.

La vérité, précisément, oblige à reconnaître que la gauche au pouvoir a failli sur le thème environnemental. Notre mode de consommation, notre rapport à la nature, mais aussi notre organisation sociale doivent être repensés. L'écologie doit devenir une composante de notre identité de socialistes. Et l'un des ingrédients de l'ambition française, au-delà même des objectifs de Kyoto.

En ayant à l'esprit les potentialités qu'offre un tel investissement au service d'activités nouvelles. Et en n'hésitant pas à assumer un débat fécond sur la diversification de nos sources énergétiques.

De même, qui remettra au cœur d'un projet politique des évolutions sociétales devenues taboues : le droit de vote des étrangers non communautaires aux élections locales - en disant comment nous procéderons compte tenu des contraintes constitutionnelles -, les moyens réels de la parité, les valeurs de la laïcité face au risque communautariste, l'égalité de chacun devant l'accès aux soins, la reconnaissance de l'homoparentalité ou un débat national sur la bioéthique ?

Quelques exemples qui exigent là encore un souci de vérité et de courage. Aux antipodes de ce populisme ambiant qui, à force de vouloir tout " nettoyer ", menace surtout l'identité même de notre vie collective, et même la réputation de la France hors de ses frontières.

Internationaliste, le socialisme réclame plus que jamais d'être conçu à l'échelle du monde et fondamentalement de l'Europe. Le besoin d'une Europe plus démocratique, plus sociale, plus politique s'est exprimé. Le progrès social qu'elle peut générer désigne un objectif que nous ne pourrons atteindre qu'en construisant l'alternative à la situation actuelle avec ceux qui partagent une telle ambition : les partis progressistes et les syndicats européens. Non pas en prétendant leur imposer un " diktat ", mais en favorisant une dynamique collective au service d'un nouveau dessein européen. L'Europe comme laboratoire d'un modèle démocratique dynamisé. Avec pour symbole une recherche traduisant à la fois notre confiance dans l'intelligence, notre degré de civilisation et notre volonté de trouver des moyens nouveaux pour créer la richesse de demain.

L'Europe, enfin, comme acteur majeur d'une solidarité Nord-Sud qui doit rester au fondement de notre engagement. La paix et le progrès sont à ce prix.

La recherche de réponses à l'ensemble de ces interrogations représentera, je l'espère, le cœur de notre prochain congrès. Dans un esprit de rassemblement qui devra s'adresser à toute la gauche. Car un PS divisé, c'est la gauche dans son ensemble qui serait réduite à une fonction strictement contestataire. Loin de tout esprit hégémonique, mais sans renier ce que nous sommes, affirmons notre souci de dialogue et même d'élaboration avec tous les électeurs de la gauche française. Chacun attend des réponses crédibles, intégrant d'ailleurs cette part de relativité propre à toute action humaine. Œuvrons, dès à présent, au service de cette " profonde réforme intellectuelle et morale " que Léon Blum appelait déjà de ses vœux.
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