Un juste partage de l'espace public

Point de vue de Bertrand Delanoë, maire de Paris, paru dans le quotidien Le Monde daté du 6 janvier 2006



 
La politique des déplacements menée à Paris depuis 2001 a suscité récemment les commentaires parfois acerbes de certains éditorialistes. Ainsi, Le Monde 2 (24 décembre) évoque un " rapport préparé par deux universitaires " qui viendrait " confirmer ce que l'on sentait confusément ", à savoir une pollution intacte, la circulation des bus en stagnation, pis, l'invasion de la voirie par le béton via des couloirs de bus conspués. Deux jours auparavant, c'est le Monde qui stigmatisait une offre de transports collectifs inadaptée, l'usager de l'autobus pouvant " avoir l'impression " que les délais d'attente s'allongent.

Loin de ces considérations largement " intuitives " rappelons nos objectifs. A l'instar d'autres métropoles étrangères (Londres, Rome, Athènes...), nous avons pour ambition de mieux partager l'espace public, rompant ainsi avec la logique ancienne du "tout automobile". L'enjeu sanitaire est au coeur de cette démarche, la pollution affecte en particulier les nourrissons, les personnes âgées et celles qui souffrent d'insuffisances cardio-vasculaires. Au-delà, il s'agit de prendre en considération le légitime besoin de liberté et de mobilité que chacun éprouve dans la cité.

Cette exigence ne date pas d'hier. Ainsi, dans une étude réalisée par la Sofres en octobre 1996, 76 % des Français estimaient déjà indispensable de développer les transports collectifs au détriment de la voiture. Cela ne signifie pas qu'il faille la faire disparaître du paysage urbain. Telle n'est d'ailleurs pas notre volonté. Par erreur, Le Monde (29 novembre) nous avait attribué l'objectif d'une diminution de 50 % de la circulation d'ici à 2008. Nous nous contenterions de 20 % en une mandature, ce qui serait déjà très significatif ! Car en 2001, quand cette nouvelle majorité a été élue, 94 % de la chaussée étaient dédiés à des aménagements routiers, contre seulement 5 % aux bus et 2 % aux vélos. Autrement dit, les 75 % de Parisiens qui effectuaient déjà leurs déplacements en transports en commun ne disposaient à cet effet que de 6 % de l'espace public ! Dès lors, était-il superflu de favoriser une nouvelle donne ? Nous nous y employons, à travers des actes concrets : par exemple, la baisse drastique des tarifs du stationnement résidentiel (passés de 15 francs par jour en 2001 à 0,5 euro actuellement) ou la conversion progressive des véhicules municipaux aux énergies propres (qui représentent aujourd'hui 45 % de notre parc). S'y ajoutent des aménagements de voirie : couloirs protégés pour les bus, taxis et véhicules prioritaires, espaces cyclables, quartiers verts, trottoirs élargis pour les piétons et les poussettes, et, bien entendu, le tramway, qui entrera en service à la fin de cette année, ouvrant Paris sur son agglomération grâce aux nombreuses liaisons prévues avec d'autres lignes interurbaines. Autant de projets lourds qui génèrent des travaux importants, sources de nuisances dont j'ai parfaitement conscience. D'autres avant nous (Strasbourg, Bordeaux...) ont affronté cette période incontournable au cours de laquelle une ville se reconfigure, mettant en oeuvre des chantiers qui apportent des progrès bénéfiques à tous. Sur le boulevard des Maréchaux, par exemple, 100 000 personnes seront quotidiennement transportées par le tram, contre 55 000 actuellement via le bus PC.

Mais, d'ores et déjà, les premiers résultats de cette politique sont perceptibles : depuis avril 2001, le volume de la circulation a diminué de 15 % à Paris. Parallèlement, les chiffres de la RATP - seule autorité compétente en la matière - confirment que l'offre de transports collectifs a augmenté : de plus de 6 % pour le métro et de 8 % pour les bus, même si l'on souhaite une intensification de cet effort. Sur les lignes aménagées, la RATP prévoit, entre chaque passage, un intervalle inférieur à dix minutes. De plus, avec notre concours, un nouveau réseau nocturne baptisé Noctilien a été mis en place le 21 septembre 2005. Autre paramètre, rarement pris en compte : depuis 2001, le nombre de personnes tuées dans un accident de la circulation à Paris a baissé de plus de 50 %.

Quant à l'efficacité de toute lutte contre la pollution, elle doit se mesurer à l'aune de nombreux paramètres, dont plusieurs sur lesquels nous n'avons pas de prise directe : les conditions météorologiques, la propagation des polluants qui ignorent les frontières, et les progrès technologiques apportés aux véhicules. Raison de plus pour que, dans le champ qui la concerne, la Ville de Paris mobilise les moyens les plus volontaristes. Les mesures effectuées par Airparif (association indépendante qui regroupe notamment l'Etat, la région, les départements franciliens et plusieurs associations) révèlent d'ailleurs une baisse globale des polluants émis par le trafic routier, en particulier des niveaux de benzène, de monoxyde de carbone et des oxydes d'azote. Une étude qu'elle a réalisée en 2002 confirmait également une diminution des polluants sur les premiers axes équipés de couloirs protégés. Pour autant, le haut niveau de dioxyde d'azote enregistré sur les grands axes routiers justifie des efforts accrus. Renoncer face à la grogne, aussi compréhensible soit-elle, serait donc aussi absurde que contre-productif, surtout à l'heure où les dérèglements climatiques invitent à toujours plus de vigilance face aux émissions de gaz à effet de serre. Et ce n'est pas un rapport isolé (présenté dans les locaux mêmes de l'Automobile Club...) qui devrait nous décourager. Ses auteurs, Rémy Prud'homme et Pierre Kopp, ne sont pas des spécialistes des questions d'environnement et encore moins de santé publique. Leur méthodologie est d'autant plus contestable qu'ils s'appuient sur des appréciations totalement subjectives en matière de vitesse de circulation.

Dès lors la question se pose : agir, certes, mais pourquoi pas autrement ? Certains encensent le péage londonien. J'imagine pourtant ce qu'ils auraient écrit si nous avions adopté un système consistant à faire payer les habitants de banlieue désireux de circuler dans la capitale ! L'exemple de Londres ne nous semble donc pas adaptable à Paris. D'autant, ironie du sort, qu'un rapport concluait au début de 2005 à l'échec économique de ce dispositif. Son auteur ? Rémy Prud'homme...

Aux antipodes d'une telle logique, nous avons choisi la coopération avec les autres communes. C'est précisément à l'échelle de l'agglomération que nous élaborons le futur Plan de déplacement de Paris (PDP). Un questionnaire est diffusé jusqu'à la fin de ce mois, destiné y compris aux habitants des cités limitrophes. Ses résultats seront rendus publics. Chacun pourra ainsi influer sur les différents aspects en jeu : accessibilité, stationnement, politique des deux-roues, déplacements et vitalité économique... Ainsi, nous souhaitons avancer ensemble, en mêlant détermination et esprit de concertation. Pour dépasser, vraiment, l'absurdité d'un système qui inspirait ces lignes à la journaliste Andrée Mazzolini : " Paris s'engorge. Paris étouffe. Paris explose. Les heures perdues dans les embouteillages se comptent en milliards, l'argent paumé par la collectivité aussi. " C'était dans L'Evénement du jeudi. En octobre 1989.
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