Constitution européenne :
continuons !




Tribune signée par Joaquin Almunia, Massimo d'Alema, Martine Aubry, Dick Benschop, Josep Borrell, Bertrand Delanoë, Kemal Dervis, Piero Fassino, Poul Nyrup Rasmussen, Roumeliotis Panagiotis, Angelica Schwall Duren et Dominique Strauss-Kahn parue dans le quotidien Le Monde daté du 6 novembre 2003



Martine
Aubry


Bertrand
Delanoë


Dominique
Strauss-Kahn




L'année qui va s'ouvrir est un tournant dans l'histoire des peuples d'Europe. A la fin de 2004, l'Europe se sera élargie à dix nouveaux pays membres. Elle aura élu un nouveau Parlement européen, doté de pouvoirs accrus. Une nouvelle Commission, chargée de mettre en place d'importantes réformes des politiques communes de l'Union, sera installée.

Surtout, les Européens auront peut-être adopté leur première Constitution. Il s'agit là d'un enjeu historique. Une Constitution donne un sens politique à la grande Europe. Elle lui permettra de mieux exister dans le cœur de ses citoyens. Elle la dote des instruments l'autorisant à se faire entendre dans le monde. Notre choix est clair, c'est celui de l'ambition européenne. Une Constitution européenne, parce qu'elle est la condition de toute avancée politique, en est la clé.

La construction européenne a réussi en quelques décennies à écarter le spectre des guerres qui ont ensanglanté nos territoires avant de s'étendre à l'ensemble de la planète. Elle a réussi aussi à unifier un espace économique sans lequel il n'y a pas de prospérité possible. Et s'il subsiste un chômage massif et des inégalités criantes, nous ne doutons pas que, depuis un demi-siècle, l'Europe a été un puissant instrument d'incitation à la croissance et d'aide au rattrapage pour les pays ou les régions en difficulté. Pour dix nouvelles nations aujourd'hui, l'Union constitue à la fois un espoir d'affermissement de la démocratie et de développement économique.

Alors que les risques de la mondialisation libérale menacent, nous savons que la construction d'une Europe forte est indispensable pour permettre aux Européens de conserver la maîtrise de leur avenir et contribuer à définir les règles d'un monde équilibré pour demain.

C'est pourquoi toute consolidation de notre identité commune et toute amélioration de nos mécanismes de décision doivent être considérées avec attention, même si, évidemment, elles ne terminent pas l'édifice.

La Convention européenne a abouti. C'est là un important succès de méthode. Loin des négociations secrètes et parfois sordides des conférences diplomatiques, la Convention a travaillé dans le pluralisme et la transparence, sous le contrôle de l'opinion publique - en tout cas des médias, des partenaires sociaux, des intellectuels et de la société civile organisée. Il y a bien eu " un esprit de la Convention " , qui a permis un saut qualitatif et autorisé un compromis positif.

Sur le fond, le texte issu de la Convention comprend de nombreuses avancées. Son projet constitutionnel marque des progrès dans la simplification et le rapprochement de l'Union et des citoyens. L'Union européenne est dotée d'une personnalité juridique unique, les compétences sont plus clairement présentées, le nombre d'instruments et de procédures juridiques est réduit. La Convention permet en outre des avancées démocratiques notables. La Charte des droits fondamentaux de l'Union, qui consacre nos valeurs communes, est intégrée à la Constitution, dont elle devient le socle de principe. L'économie sociale de marché prend place pour la première fois dans un traité européen. Les pouvoirs du Parlement européen sont considérablement accrus, avec l'extension du vote à la majorité qualifiée et de la codécision à 40 nouveaux domaines.

On aurait pu rêver d'un compromis constitutionnel plus ambitieux, plus clair, marquant mieux l'essence fédérale de l'Europe unie. Mais le texte de la Convention s'inscrit bien dans la filiation de la " méthode communautaire " dessinée par les " pères fondateurs " de l'Europe. Chacun des éléments du " triangle institutionnel " est en effet renforcé. Avec la fin de la présidence tournante, le Conseil européen et le Conseil des ministres vont gagner en efficacité. La Commission, qui verra son rôle politique renforcé par la désignation de son président par le Parlement européen, va gagner en légitimité. Le Parlement européen, enfin, devient vraiment la première institution de l'Union, son autorité législative et budgétaire est accrue.

Tout cela n'est pas parfait, mais doit permettre à l'UE d'échapper au pouvoir exclusif des gouvernements et de demeurer, tout en devenant plus démocratique, la construction originale qui fait sa force.

Nous sommes conscients, bien entendu, des insuffisances du projet constitutionnel sur le terrain des politiques communes. Nous saluons le premier pas que constitue la création d'un ministre des affaires étrangères de l'Europe, au service d'une véritable politique étrangère commune : mais il aura besoin, pour pouvoir agir, de décisions à la majorité qualifiée.

Nous nous réjouissons des progrès faits en matière de sécurité et de défense, même s'ils devront être considérablement amplifiés.

Mais nous sommes inquiets des lacunes du texte en matière économique et sociale. Certes, la reconnaissance de l'Eurogroupe, celle de la diversité culturelle, la représentation extérieure unifiée de la zone euro, l'obtention d'une base juridique pour les services publics vont dans le bon sens. Mais cela reste timide, beaucoup trop timide. L'Europe doit se donner les moyens d'une politique ambitieuse en faveur de la croissance et de l'emploi, c'est-à-dire d'une vraie coordination des politiques économiques, de décisions à la majorité qualifiée en matière sociale et fiscale, d'une capacité d'investir dans l'avenir.

Le moment de la décision finale n'est pas venu. C'est à l'issue des travaux de la Conférence intergouvernementale (CIG), et non maintenant, qu'il faudra répondre par " oui " ou par " non " à la ratification de la Constitution européenne. Nous devons donc rester mobilisés, vigilants et exigeants afin que la CIG ne marque aucun recul par rapport au texte de la Convention, et qu'elle autorise de nouveaux progrès dans la gouvernance économique et sociale, de nouvelles avancées vers l'Europe que nous voulons, une Europe tournée vers le plein emploi.

Mais, d'ores et déjà, nous nous engageons. Le projet de la Convention peut évidemment être amélioré. Nous voulons toutefois le saluer et le prendre comme point d'appui. Ne sous-estimons pas l'enjeu. Dans le monde désordonné où nous vivons, livré aux seules forces du marché, déstabilisé par les dégâts de l'unilatéralisme américain et menacé par la montée des nationalismes, l'Europe unie est la forme la plus aboutie de régulation dont nous disposons. Elle est notre premier levier pour peser dans la mondialisation.

Si les chefs d'Etat et de gouvernement réunis au sein de la CIG faisaient échouer le processus engagé par la Convention, l'Europe aurait peut-être manqué sa dernière chance pour se réformer et se relancer. L'élargissement ne pourrait réussir, le statu quo qui en résulterait serait le triomphe de tous ceux qui refusent une Europe puissance et veulent affaiblir les progrès sociaux permis par le modèle original de la construction européenne.

En 1875, la République a été instituée en France par une seule voix de majorité. Imaginons ce qui serait advenu si, au nom d'un quelconque maximalisme, cette voix avait manqué, entraînant une nouvelle Restauration ! Nous n'oublions pas cette leçon historique. Le moment venu, nous souhaitons pouvoir apporter nos voix à une constitution de l'Europe unie. C'est dans ce sens que nous travaillerons et nous exprimerons dans les temps qui viennent. C'est dans cet esprit que nous appelons à un grand débat politique et social, au niveau des gouvernements et des Parlements, des partis et de la société civile, et que nous entendons y participer.

    Joaquin Almunia (Espagne) est député, ancien secrétaire général du PSOE, ancien ministre du travail et des affaires sociales.
    Massimo d'Alema (Italie) est député, président du parti des démocrates de gauche (PDS), ancien président du conseil.
    Martine Aubry (France) est maire (PS) de Lille, ancienne ministre.
    Dick Benschop (Pays-Bas) est député, ancien ministre des affaires étrangères.
    Josep Borrell (Espagne) est député, ancien secrétaire général du PSOE, ancien ministre de l'industrie et de l'environnement.
    Bertrand Delanoë (France) est maire (PS) de Paris.
    Kemal Dervis (Turquie) est député, ancien ministre de l'économie.
    Piero Fassino (Italie) est député, secrétaire général du PDS, ancien ministre de la justice.
    Poul Nyrup Rasmussen (Danemark) est président du forum progressiste mondial, ancien premier ministre.
    Roumeliotis Panagiotis (Grèce) est ancien ministre de l'économie
    Angelica Schwall Duren (Allemagne) est députée, vice- présidente de la fraction SPD au bundestag
    Dominique Strauss-Kahn (France) est député (PS), ancien ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
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