Défendre la laïcité
est essentiel


Entretien accordé par Bertrand Delanoë, maire de Paris, au quotidien Le Parisien daté du 22 janvier 2004
Propos recueillis par Dominique de Montvalon et Nathalie Segaunes

 

De quoi êtes-vous le plus fier à la mi-mandat ?
D'abord, rien ne doit justifier l'autosatisfaction. Mais plusieurs dossiers ont pris un bon rythme : les crèches, les écoles, le logement, les transports. L'essentiel à mi-mandat est donc de ne pas relâcher ce rythme, de porter la même attention à la gestion du temps, de l'argent public et aux aspirations des Parisiens.

Avez-vous des regrets ?
Notre effort en faveur de la solidarité est considérable avec, cette année, une hausse de 10 % du budget. Mais comment être satisfait quand la situation sociale se dégrade en raison des mesures gouvernementales récentes ? Par ailleurs, mon adjoint Yves Contassot et moi partageons la même insatisfaction sur la propreté. Là aussi, le budget a augmenté de 16 % depuis 2000 et 373 agents ont été recrutés. Mais les résultats sont insuffisants. Je souhaite donc - et le préfet de police le sait - que 2004 soit l'année d'une répression effective des incivilités en matière de propreté, mais aussi de circulation et de stationnement. L'égoïsme et l'incivisme sont insupportables.

N'est-ce pas tomber d'un excès à l'autre ?
Non. On ne peut pas se contenter de résultats sur la route ou sur le périphérique. Le besoin de civisme concerne tous les comportements de la vie collective.

Quel bilan faites-vous de votre politique de circulation ?
C'est un enjeu de santé publique ! Je ne suis pas contre les automobilistes mais contre la pollution, qui nous concerne tous. Il est donc légitime que, dans la ville du XXIe siècle, les modes de déplacement soient diversifiés : c'est le sens de notre politique. En 2004, 20 km de couloirs de bus protégés seront réalisés. Nous poursuivrons également la création de pistes cyclables et nous veillerons à ce que les travaux du tramway avancent au bon rythme. De plus, dès cette année, nous voulons améliorer l'offre de stationnement résidentiel, dont nous avons fait baisser le coût de 80 %. Cette approche porte ses fruits : la circulation a diminué de 3 % en 2002, 3 % en 2003 et la tendance est à - 5 % pour 2004.

Pourquoi vous êtes-vous engagé à 100 % auprès de Jean-Paul Huchon ?
Je n'ai pas l'habitude d'être indifférent aux rendez-vous démocratiques, surtout quand la France est confrontée à un mal-être à la fois social et démocratique. Ensuite, Paris est très concerné par la politique du conseil régional. Or, avec Jean-Paul Huchon, nous avons déjà beaucoup travaillé en faveur du logement, des lycées, de la formation, des transports ou de la solidarité. Pendant trois ans, j'ai pu éprouver ses qualités : Jean-Paul est vraiment un excellent président de région. Entre nous, il n'y a ni dépendance ni domination, mais un partenariat actif. Et je crois que cette complémentarité sert totalement l'intérêt des Parisiens.

Vos alliés communistes ont choisi de faire liste à part...
Quand on a géré ensemble, il vaut toujours mieux rendre des comptes et proposer ensemble. Mais je respecte leur décision. Je nous souhaite surtout de nous retrouver unis au second tour, pour que cette région poursuive la mise en œuvre d'un projet progressiste.

L'annonce par Nicolas Sarkozy que son épouse Cécilia ne serait pas candidate vous a-t-elle surpris ?
Cela ne change rien à la vie quotidienne des Franciliens...

Beaucoup de présidents de conseils généraux sont en colère depuis qu'ils doivent prendre en charge le RMI...
Tous sont vent debout, qu'ils soient de droite ou de gauche. Et je partage totalement leurs soucis sur cette manoeuvre. Le RMI est un instrument de solidarité nationale. Or, le gouvernement en confie la gestion aux conseils généraux, mais il prévoit de compenser son coût sur la base des chiffres de 2003 : il feint d'oublier que sa décision récente de réduire la durée d'indemnisation des chômeurs va provoquer mécaniquement l'inscription de 180 000 érémistes supplémentaires en France, dont 6 000 à 10 000 à Paris ! D'après nos calculs, le surcoût pour notre collectivité s'élève à 53 millions d'euros. De nombreuses collectivités n'ont d'autre choix que d'augmenter la fiscalité locale : en fait le gouvernement « décentralise » des hausses d'impôts qu'il n'ose pas assumer. Et bien, comptez sur moi pour rappeler ses engagements à l'Etat (inscrits dans la Constitution) et lui demander, à 1 euro près, le remboursement de la surcharge qu'il nous impose.

Les impôts vont-ils donc augmenter à Paris ?
Sur quatre budgets consécutifs, les impôts n'ont pas augmenté à Paris. Un résultat qui n'a pas été obtenu sans effort : en 2003, par exemple, nous avons réalisé 30 millions d'euros d'économies de gestion. Et certaines factures ont baissé de 40 %. J'ai bien l'intention d'honorer cet engagement jusqu'à 2007. Ce serait la première fois depuis 1977 que les taux de la fiscalité resteront stables tout au long d'une mandature.

Jacques Chirac a fait de 2004 l'année de la « priorité pour l'emploi »...
Oui, et « le Canard enchaîné » a rappelé que, tout juste élu président de la République en 1995, il avait utilisé les mêmes mots. Malheureusement, entre temps, Jacques Chirac a fait ses preuves. Heureusement que, pendant cinq ans, il y a eu Lionel Jospin pour arracher des résultats contre le chômage. Mais dans l'intérêt des Français, j'aimerais, pour une fois, pouvoir croire Jacques Chirac...

Comment analysez-vous le match Sarkozy-Chirac ?
Nicolas Sarkozy voudrait se créer l'image d'un défenseur de l'ordre : mais il est celui qui, par ambition personnelle, sème le désordre au sommet de l'Etat. Etre ambitieux, c'est respectable, mais au service d'un mandat à honorer. Je trouve ce feuilleton déplacé, voire cynique, à l'heure où la souffrance sociale grandit dans notre pays.

Qu'attendez-vous de votre ami Lionel Jospin ?
Qu'il soit lui-même ! C'est un homme d'Etat, de convictions, de fidélité. Il suffit qu'il continue à se comporter en homme libre.

Cela veut dire quoi ?
Que je lui fais confiance pour être à sa place. Il ne spécule pas sur des enjeux de pouvoir. Il a une autre idée de la noblesse de l'engagement.

La manifestation de femmes voilées de samedi dernier à Paris vous inquiète-t-elle ?
La laïcité, c'est le fondement même de la liberté. C'est ce qui permet de vivre dans une société où nos croyances, nos origines, nos cultures sont différentes, mais où nous sommes tous membres, à égalité, d'un ensemble républicain. Mais, pour cela, il aurait fallu prendre garde à ne pas donner le sentiment qu'on stigmatise une communauté. La commission Stasi a fait un excellent travail. Et on a eu tort d'abandonner en chemin certaines de ses propositions. Ainsi, j'ai été l'un des rares à soutenir la suggestion de rendre fériés les fêtes de l'Aïd et de Kippour. Environ 40 % des jours fériés correspondent à des fêtes nationales (11 novembre, 14 juillet) et 60 % à des fêtes chrétiennes. Or, notre société a évolué : ne négligeons pas les citoyens de religion (ou de culture) juive ou musulmane. La nouvelle loi serait mieux comprise si, tout en posant les règles indispensables, elle s'accompagnait de la reconnaissance de notre diversité à travers des messages fédérateurs.

Vous souhaitez tout de même cette nouvelle loi ?
Défendre la laïcité est essentiel, ce qui implique des règles claires, en particulier sur l'égalité femmes-hommes. Mais, compte tenu des enjeux, je souhaite la recherche d'un consensus social, philosophique et politique. Je suis d'ailleurs stupéfait de voir le groupe parlementaire UMP se diviser sur cette question. Quand la cohésion républicaine est menacée, il faut être courageux. J'ajoute que c'est une erreur de valoriser ceux qui, minoritaires au sein de la composante française de culture musulmane, représentent le fondamentalisme ou l'intégrisme. A l'époque, j'en avais fait le reproche au ministre de l'Intérieur. Il n'y a rien de pire que de considérer les composantes de notre société comme des clientèles électorales.

Certains demandent l'interdiction du Parti des musulmans de France...
Rassembler, cela ne signifie pas être faible face à des manifestations où sont proférés des slogans antisémites, racistes, sexistes ou homophobes. La République ne doit rien tolérer en la matière. Elle doit aussi se poser une question : doit-il y avoir un parti des musulmans, un parti des chrétiens, un parti des juifs, un parti des athées ? Un projet porté par un parti politique peut-il ne pas concerner l'ensemble des Français ? A mon avis, ce n'est pas admissible.

Le 30 janvier, on connaîtra le verdict dans l'affaire des emplois fictifs de la Ville...
Je ne m'en suis jamais pris aux personnes. Jamais. Mais je serais particulièrement choqué si, dans les différentes procédures concernant la gestion passée de notre collectivité, il n'était pas rendu justice aux Parisiens. Il s'agit de dire le droit, de sanctionner les fautes et de réparer les préjudices subis par les habitants. Je serais donc particulièrement inquiet et en colère si des pressions politiques pesaient sur l'appareil judiciaire, alors que ces pratiques avaient disparu sous le précédent gouvernement. Ce serait très grave, surtout dans cette période où le socle républicain est fragilisé et où, plus que jamais, l'éthique et la vertu républicaines doivent contribuer à restaurer la confiance de nos concitoyens dans la démocratie.

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