Paris en 2012,
la ville dont je rêve



Entretien avec Bertrand Delanoë, maire de Paris, paru dans le quotidien Le Figaro daté du 8 mars 2005.
Propos recueillis par Laurence Schreiner


 

Depuis 1924, c'est la sixième tentative de la France, la quatrième de Paris, pour renouer avec l'organisation des Jeux d'été. Existe-t-il une légitimité de Paris, ville natale de Pierre de Coubertin, à accueillir les Jeux ?
Etre légitime ne suffit pas. Certes, Pierre de Coubertin est l'un des fondateurs de l'olympisme, et c'est aussi à ce titre que nous sollicitons l'organisation des Jeux de 2012. D'ailleurs, dans le cas d'Athènes, le fait qu'en 2004 les JO reviennent en Grèce a également compté. Mais il y a d'autres paramètres. Or, nous avons été tenaces comme de vrais sportifs, puisque c'est la troisième candidature de Paris depuis 1992. Et en sport, quand vous ne gagnez pas la médaille, malgré une bonne performance, vous recommencez jusqu'à la victoire. Car Paris a vraiment besoin des Jeux. C'est pourquoi il est essentiel de démontrer que notre ville serait transformée par ces Jeux.

C'est l'une des cartes maîtresses du projet ?
Paris gardera son âme, son identité, son histoire. Mais si les Jeux y ont lieu en 2012, l'olympisme laissera une trace profonde dans l'aménagement de notre cité. Prenez par exemple les 45 hectares des Batignolles : le village olympique et paralympique donnerait naissance à un véritable « morceau de ville » essentiel à l'avenir de Paris, avec des aménagements dédiés au logement, à l'activité économique, aux équipements publics (dont sportifs) ainsi qu'un parc de 10 hectares. C'est une manière de dire que les Jeux peuvent être des accélérateurs de progrès. Ainsi, les nouveaux équipements seront aux normes de haute qualité environnementale et l'ensemble du réseau de surface (bus et tramway) accessible aux personnes handicapées. Les Jeux, c'est donc aussi une façon d'être plus intelligents ensemble.
En outre, un tel événement pourrait susciter une vraie dynamique sportive, avec, comme le fait remarquer Jean-François Lamour, quatre millions de pratiquants supplémentaires. Cela change une ville, un pays. La légitimité compte, le besoin des Jeux est fondamental, et la qualité technique de notre dossier doit être irréprochable : c'est tout cela qui fera la décision le 6 juillet.
Enfin, il faut que nous sachions transmettre au CIO notre désir, notre amour des Jeux, selon la belle formule de Jean-Claude Killy. C'est notre signature. Mais, avec d'autres, c'est surtout ce que j'éprouve profondément.

Vous aviez relancé la candidature en mai 2003. Comment analysez-vous aujourd'hui l'évolution du dessein olympique que vous aviez à l'époque ?
La genèse de cette candidature c'est le dimanche 25 mars 2001, lorsque le Conseil de Paris m'élit maire. Le jour même, je reçois la commission d'évaluation pour les Jeux de 2008. C'est une formation accélérée et extrêmement efficace. Or, pour 2012, j'ai voulu placer cette candidature dans la continuité des deux précédentes, à la fois pour en tirer profit et aussi pour corriger nos erreurs. Il fallait d'abord créer un véritable consensus. Celui de toutes les forces sportives pour des Jeux dédiés aux athlètes et aux valeurs de l'olympisme. Mais aussi des forces démocratiques, à commencer par le chef de l'Etat, dont j'ai sollicité l'avis dès 2003 et le président de la région Ile-de-France. Nous n'avons pas tous les mêmes opinions, mais nous devons porter la même ambition, fédérer nos énergies pour cette candidature. Grâce également à la mobilisation des forces économiques : jamais, jusqu'alors, il n'y avait eu l'équivalent du club des entreprises animé par Arnaud Lagardère. Et puis le consensus des forces sociales. Cela traduit le désir de tout un peuple, dans toutes ses composantes.

Et sur le dossier lui-même, quels sont les changements importants ?
Nous avons conçu notre dossier différemment avec un concept simple : la compacité. Faire en sorte que notre offre soit très facile à vivre, avec des sites très peu éloignés les uns des autres et un village olympique situé à moins de dix minutes des deux principaux noyaux. L'autre leçon tirée de Paris 2008, c'est que le village était mal placé, car à l'extérieur de la ville. Or, pour le CIO, des Jeux à Paris impliquent un village dans Paris. Quand vous conviez le monde entier, vous l'installez au cœur de ce qu'il aime. Ce village sera donc dans la ville, constituant l'une des traces majeures de cet héritage olympique.

Vous évoquez le consensus autour de Paris 2012. A-t-il été difficile à créer ? Est-ce l'un des atouts majeurs pour convaincre le CIO ?
Aucune entreprise ambitieuse n'est jamais facile. Mais ce qui compte, c'est le résultat. Donc, je suis très heureux de ce consensus parce qu'il est noble de se rassembler pour des causes qui nous dépassent. J'ai effectivement la conviction que ce peut être l'une des clés de la réussite, même s'il n'y a jamais qu'une seule clé. Il nous les faut toutes, car nos concurrents sont très bons.

Le meilleur test n'est-il pas la manière de gérer les mouvements sociaux du 10 mars, le jour de la visite des sites par la commission d'évaluation ?
Il y a une réalité économique et sociale. Ne cherchons pas à faire passer la France pour ce qu'elle n'est pas. Nous sommes un pays démocratique, où le débat s'exprime. Montrons-nous tels que nous sommes et montrons aussi ce que nous avons en commun. Les organisations syndicales ont accepté de participer à la préparation du dossier et nous avons à cœur d'organiser des Jeux populaires et solidaires. Par exemple, 10 % des places à moins de 10 euros et 45 % à moins de 30 euros font des Jeux populaires. L'accessibilité des nouvelles infrastructures aux personnes handicapées fait des Jeux solidaires. Si nous gagnons le 6 juillet, nous travaillerons évidemment avec les syndicats pendant sept ans. Je retiens surtout que jamais les organisations syndicales n'avaient à ce point soutenu une candidature pour les Jeux. Il faut toujours optimiser, surtout pour un projet qui implique des acteurs aussi divers. Croyez-en l'animateur du comité de candidature.

Si Paris est élue le 6 juillet, à quoi ressembleront les Jeux de 2012 ?
A des Jeux populaires, solidaires, écologiques, je l'ai dit, mais aussi éthiques. Parce qu'il est essentiel pour l'avenir du sport que la France soit au côté du CIO dans sa lutte contre la déloyauté, et en particulier le dopage. Quant à Paris, pendant les Jeux ?... (Sourire.) C'est une ville qui est elle-même, mais avec une couleur nouvelle. Parce qu'il y a un tramway qui couvre une distance de plus de vingt kilomètres, un centre nautique en Seine-Saint-Denis, le SuperDôme porte de la Chapelle et 45 hectares aménagés aux Batignolles avec une vraie création architecturale. Pendant plusieurs semaines, le monde entier, des milliards de téléspectateurs, vit en communion avec l'identité de Paris. Des Jeux dont la célébration se fait au cœur de la ville. La cité est en fête, ouverte aux cultures, à la diversité, à l'émotion. Et à l'ambition culturelle. La rencontre de la création avec le sport et avec le plaisir d'être ensemble, oui, c'est la ville du XXIe siècle dont je rêve.

La commission d'évaluation a évoqué le « professionnalisme » de Madrid, la « passion » de Londres, « l'enthousiasme » de New York. Quel mot clé souhaiteriez-vous qu'elle utilise le 12 mars pour évoquer Paris 2012 ?
L'amour des Jeux, tout simplement. J'espère que nous serons la ville qui proposera la plus belle synthèse entre cette passion et la performance de l'offre. Même si nous restons humbles par rapport à un tel enjeu.

Après la visite de la Commission, quelle sera votre stratégie pour convaincre les membres du CIO ?
Depuis le lancement de la candidature, nous n'avons pas changé de stratégie. Mais il faut rester concentrés. Nous continuerons à tenter de convaincre les membres du CIO dans le respect des règles qu'il a lui-même fixées. Ainsi, notre droit à nous adresser directement à ses membres est limité. C'est pourquoi les représentants français du CIO, Jean-Claude Killy, Guy Drut, Henri Sérandour, Alain Danet et Maurice Herzog, ont un rôle très important. Pour ma part, j'étais à Dubrovnik, j'irai à Brisbane, puis à Berlin pour y présenter la candidature de Paris. Nous y sommes conviés, sur la base de règles claires à appliquer. Du 13 mars au 6 juillet, nous amplifierons à la fois une stratégie qui ne changera pas pour autant, et la mobilisation populaire de toute une région, de tout un pays. Et le 6 juillet, notre présentation, conçue avec le cinéaste Luc Besson, aura lieu à 9 h. En sachant, comme le dit Jean-Claude Killy, que la victoire peut se jouer au centième de seconde.

Les villes candidates pour 2012 sont toutes de prestige. Ce plateau de très haut niveau ne complique-t-il pas la tâche ?
Si, bien sûr. C'est la première fois que le CIO met en finale cinq villes de ce niveau. Dans l'absolu, nous sommes sans doute en meilleure position que les fois précédentes, mais les concurrents sont plus redoutables ! Le CIO a organisé la compétition la plus âpre en plaçant la barre beaucoup plus haut. Cela crée une immense incertitude. Et il n'y a pas de favoris. Il y aura juste un gagnant. Le 6 juillet au soir.

Est-ce le plus grand défi que vous ayez eu à relever comme maire de Paris ?
J'ai été élu en mars 2001, sans que cela corresponde à un pronostic évident. Mon plus grand défi, c'est donc d'être à la hauteur de l'attente née de cette élection. Mais c'est vrai : si nous gagnions le 6 juillet, ce serait fantastique : ramener les Jeux à Paris qui n'y sont pas venus depuis 1924 ! Cela dit, je serai toujours maire de Paris le 7 juillet, même si l'on perd. Telle est la vie. Et si l'on gagne, alors je serai un maire... totalement comblé.

Quels souvenirs évoquent en vous les Jeux olympiques ?
Pour moi, les Jeux, c'est d'abord Jean-Claude Killy et ses trois médailles d'or en 1968. J'avais 17 ans. Aujourd'hui, mes amis d'adolescence me jalousent parce que j'ai le privilège de travailler avec lui ! Je conserve d'autres images extraordinaires, comme la victoire de Guy Drut ou la grâce de Nadia Comaneci. Je me souviens aussi de Kiki Caron et de Colette Besson. Et puis des émotions de 2004, Laure Manaudou, Frédérique Jossinet, Tony Estanguet par exemple. Et Hicham el-Guerrouj. Je suis dans le stade quand il gagne le 5 000 m. Quand on voit l'immense bonheur de cet athlète et ses adversaires venir l'embrasser, je dis que le sport, c'est beau.

© Copyright Le Figaro

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