Paris doit être à la fois une ville de patrimoine et d'innovation



Entretien avec Bertrand Delanoë, maire de Paris, paru dans le quotidien 20 Minutes daté du 11 février 2005.
Propos recueillis par Frédéric Filloux et Mickaël Bosredon


 

A Paris, l’immobilier est de plus en plus cher, c’est une tendance d’ailleurs mondiale. Un maire a-t-il les moyens d’influer sur l’évolution des conditions de vie dans les grandes villes ?
Ses moyens sont limités, ce qui peut l’inciter à ne rien faire ! Ou alors, il peut les utiliser à travers une politique volontariste. Ainsi, en 2004, nous avons financé 4 000 logements sociaux, dont près de 1 400 destinés aux classes moyennes. En acquérant 6 800 logements depuis 2001, nous luttons contre les ventes à la découpe. Sur le plan économique, nous avons déjà multiplié par trois les surfaces consacrées aux pépinières d’entreprises. Nous rachetons des surfaces commerciales pour lutter contre la monoactivité et favoriser le commerce de proximité. De plus, les créations d’entreprises ont augmenté de près de 10 % l’année dernière. Les résultats sont là : en 2004, pour la première fois depuis des décennies, le chômage a baissé à Paris (- 2,6 %), alors qu’il augmentait sur l’ensemble de la France. Nous nous mobilisons aussi sur le plan social. Par exemple, les aides au logement que nous avons créées, pour les familles, les étudiants ou les personnes en difficulté, visent à préserver la diversité de cette ville. Donc, sa vitalité.

Mais dans le PLU subsistent des contradictions, comme vouloir dédensifier la ville, ou construire du logement social à l’ouest, où l’espace est réduit...
L’esprit du PLU, c’est d’assumer ces contradictions et de tenter de les surmonter. Ainsi, Paris est l’une des villes les plus denses d’Europe. Or, adopter un coefficient d’occupation des sols (COS) de 3 [contre 3,25 auparavant], cela ne signifie pas que l’on construit moins, cela veut dire que les règles d’urbanisme sont plus contraignantes, plus respectueuses du tissu parisien et notamment de ses espaces libres. De même, favoriser l’implantation d’activités économiques à l’est ne diminuera pas la possibilité d’en créer à l’ouest.
Autre exemple : quand on prévoit 25 % de logements sociaux pour tout programme immobilier supérieur à 1 000 m2, dans les zones qui en sont dépourvues, il s’agit d’un acte fort et juste. Tous ces instruments permettent d’influer sur la vie de la cité. D’ailleurs, on ne doit pas séparer le contenu de ce PLU de l’ensemble de notre politique, depuis bientôt quatre ans. Ainsi, instaurer une aide au logement dès le deuxième enfant - auparavant elle n’était ouverte qu’à partir du troisième - permet d’aider 9 000 familles supplémentaires à rester à Paris.

Vouloir faire de Paris une ville en mouvement, tout en protégeant davantage son patrimoine, n’est-ce pas une autre contradiction ?
Oui, mais ces contradictions existent, il faut bien les affronter. Nos prédécesseurs, eux, ont réussi à la fois à sacrifier des pans entiers de notre patrimoine, notamment dans le 9e arrondissement, tout en laissant fuir des milliers d’habitants et d’emplois. Nous, nous protégeons 4 000 parcelles supplémentaires, tout en menant une politique foncière sans précédent pour créer des espaces nouveaux dédiés au logement, à l’économique, à la dynamique culturelle. Car, à la lumière des quatre ans qui viennent de s’écouler, je sais que Paris doit être à la fois une ville de patrimoine et d’innovation. Dans le cas contraire, vous êtes juste un gestionnaire qui regarde s’écrire les choses.

Mais, par exemple, comment allez-vous vous y prendre pour faire de la place à l’innovation architecturale ?
C’est déjà le cas, mais cela se voit peu, car nous avons lancé des projets qui ne sont pas encore achevés. L’Office HLM de Paris fait appel à de grands noms, par exemple Edouard François pour la construction de 100 logements sociaux dans le 20e arrondissement. Depuis avril 2001, la Ville et ses partenaires ont passé des commandes à plus de 250 équipes d’architectes ou d’urbanistes. Berger, Portzamparc, Corajoud ou Chemetov, pour ne citer qu’eux, en font partie. Et Piano, Nouvel, Foster ou Devillers interviennent sur des projets privés. Il y a une vraie création architecturale qui va naître à Paris. Il faut juste lui laisser le temps de s’épanouir.

Vous dites créer 4 000 logements sociaux par an. En réalité, une partie d’entre eux sont des logements existants que vous rachetez...
Heureusement que nous le faisons, afin de lutter contre la spéculation et maintenir un parc locatif privé ! Faire du logement social de manière volontariste, c’est à la fois construire et acquérir des immeubles existants. Sinon, comment empêcher le déclin démographique ? Paris a déjà perdu 177 000 habitants entre 1975 et 1999. Mais, depuis 1999, sa population a augmenté de 17 000 personnes.

Ces chiffres de l’Insee sont provisoires. N’est-ce pas un peu tôt pour affirmer que Paris regagne des habitants ?
Bien sûr, je reste prudent. Mais c’est un fait : la population parisienne s’est stabilisée depuis peu. De même, comme je vous l’indiquais, Paris crée de nouveau des emplois alors que notre ville en a perdu 200 000 entre 1990 et 1999. Une donnée intéressante : le chômage des cadres a baissé de 6,4 % en 2004. Alors, je dis : « Attention, fragile », mais nous avons le devoir de continuer à accompagner et à accentuer ce mouvement.

On vous reproche aussi de favoriser l’exode des classes moyennes parisiennes...
C’est absurde. De 1 200 à 1 400 logements sociaux intermédiaires leur sont destinés chaque année, contre seulement 900 auparavant. Par ailleurs, pourquoi, en six ans, 933 personnes seulement ont-elles eu recours au prêt à taux zéro de la majorité précédente, alors que le nôtre, créé l’année dernière, suscitera 2 000 demandes en 2005 ? Parce que leurs plafonds n’étaient pas bons, parce que les critères étaient inadaptés aux classes moyennes, et en particulier aux jeunes ménages de moins de 35 ans, avec des enfants !

Le PLU impose la construction d’une place de parking pour 100 m2 de logements, contre une pour 75 m2 jusqu’à présent. Cela va-t-il dans le sens d’une réduction de la circulation automobile ?
Cela prend surtout en compte le mode de vie des Parisiens, puisque moins d’un foyer sur deux possède une voiture. Cette mesure est donc pertinente, et les Parisiens l’ont validée à travers le questionnaire que nous leur avons adressé. En revanche, dès 2001, nous avons baissé de 80 % le coût du stationnement résidentiel. Et nous étudions la possibilité d’instaurer des tarifs préférentiels pour les résidents, dans les parkings souterrains gérés par la Ville. Car il faut offrir au Parisien l’opportunité de ne prendre sa voiture que lorsqu’il en a besoin.

On a beaucoup parlé de tours en 2004. Ce débat est-il clos ?
Non. J’ai été combattu par ceux que j’appelle les conservateurs de droite et de gauche. Et une majorité de Parisiens a dit non, du moins parmi les 120 000 qui ont répondu à notre questionnaire, à l’exception notable des jeunes. Je suis un démocrate, donc j’écoute et je prends acte. Mais ma conviction reste intacte. Et, jusqu’à ce que je convainque, je continuerai de plaider en faveur de constructions pouvant exceptionnellement dépasser 37 m, pour des activités économiques ou culturelles. Savez-vous qu’avec la règle actuelle, Paris ne pourrait accueillir ni le Guggenheim de Franck Ghery à Bilbao, ni Beaubourg... ni même Notre-Dame ! Je reviens de Barcelone : Joan Clos, son maire, était sidéré d’apprendre qu’il est impossible d’ériger le moindre immeuble de grande hauteur à Paris ! Certes, je comprends que les Parisiens soient traumatisés par la laideur des tours, modèles années 1970. Nous allons d’ailleurs en détruire certaines, comme la tour Bédier, dans le 13e arrondissement. Mais dans la ville du XXIe siècle, il est possible de réconcilier hauteur et beauté.

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