Traité constitutionnel européen
Une réponse de confiance

Bertrand Delanoë
Entretien avec Bertrand Delanoë, maire de Paris, diffusé sur l'antenne de RTL le 22 avril 2005.
Propos recueillis par Jean-Michel Aphatie


 

Tous les sondages indiquent que le " non " au traité constitutionnel est majoritaire parmi les sympathisants ou l’électorat socialiste, alors que les principaux dirigeants de ce parti, vous-même Bertrand Delanoë, François Hollande, Dominique Strauss-Kahn, Martine Aubry appellent à voter " oui ". Il y a un décalage, c’est net, comment le vivez-vous ?
C’est vrai qu’il y a un problème d’explication, d’argumentation, de conviction, et je pense que tant qu’un vote n’est pas intervenu, il faut se battre avec sincérité pour sa conviction. Ma conviction profonde, c’est que l’intérêt de la France, l’intérêt de l’Europe, l’intérêt de ceux qui veulent une politique progressiste, c’est que l’Europe franchisse une étape supplémentaire positive, avec des droits nouveaux, avec des droits protecteurs, respectueux d’une identité nationale française, mais qui permette la solidarité européenne, donc avec le vote " oui ". Je pense qu’actuellement les gens ne répondent pas à la question qui est posée, c’est-à-dire qu’ils expriment leur colère, légitime, ils expriment leur souffrance, qui est bien réelle. Mais il s’agit d’autre chose, de pas supplémentaires pour que l’Europe soit justement plus efficace, plus démocratique et plus juste.

Les gens, c’est-à-dire ?
Les citoyens...

Parlons de l’électorat socialiste, puisque dans tous les sondages il parait majoritairement fixé sur le " non "...
C’est ce que disent les analyses, effectivement. Mais en fait, je crois qu’il nous appartient...

Vous y croyez, vous le constatez sur le terrain quand vous allez faire des meetings ?
Je fais surtout beaucoup de terrain sur les marchés, je parle avec les citoyennes et les citoyens, et je crois qu’il y a d’abord une grande colère par rapport à la situation sociale, par rapport à la politique du Gouvernement ; ce Gouvernement ne respecte pas les Français. Et il y a une vraie crise de confiance, ça c’est vrai.
Et puis, par rapport à la Constitution européenne, il y a des incompréhensions, c’est vrai. C’est un texte difficile, mais quand on le lit, on s’aperçoit qu’il apporte des choses nouvelles, en plus, en termes de droit, en termes de valeurs démocratiques et aussi en termes de droits sociaux. Quand même, il y a, sur le temps de travail, sur la protection des salariés, par rapport aux accidents, sur le droit au congé de maternité, au congé parental, il y a beaucoup, si on lit cette Constitution, beaucoup de progrès.
Et puis, il y a un paradoxe dans le vote " non ". C’est que le vote " non " dénonce l’Europe libérale, sauf que si la France vote "non", il ne restera que les traités qui sont à dominante libérale, et que les ajouts qu’apporte cette Constitution, les parties un et deux, c’est-à-dire tout ce qui nous fait être un petit peu plus démocratiques et un petit peu plus progressistes, des instruments pour le progrès, on ne les aura pas. Donc, c’est vraiment un paradoxe.

On pourrait dire malgré tout, ce matin que Jean-Luc Mélenchon, Henri Emmanuelli, Laurent Fabius, sont davantage en phase avec l’électorat de gauche, socialiste, que vous l’êtes vous-même ?
Non, je ne dirais pas cela, parce que ces trois camarades que vous avez cités, d’abord, ils ne tiennent pas compte du vote des militants qui a eu lieu...

Cela vous choque-t-il ?
Oui. Il y a 120 000 militants socialistes qui ont débattu. C’était difficile, parce qu’il y a des arguments absolument respectables de part et d’autre, et puis, il y eu un vote très net. Ce sont eux qui ont semé le trouble dans l’électorat socialiste, parce qu’ils se sont dit - ce sont des personnes que l’on considère, évidemment, que l’on respecte les trois personnes que vous avez citées : " puisque eux nous disent que, malgré le vote des militants, il faut quand même voter " non ", alors... " Voilà, ça accroît le trouble...

Ils ont plutôt raison de leur point de vue, parce que les militants socialistes ont peut-être voté majoritairement " oui ", mais si le vote était à refaire aujourd’hui, on se demande bien ce qu’ils voteraient...
Ça alors, c’est la meilleure ! On fait un vote, on demande un vote, on a un débat de plusieurs mois, et quand il a eu lieu, il faut dire " Eh bien non, comme il ne me convient pas, je le refais ". Si les Français votent " non " le 29 mai, j’en prendrai acte, je suis un démocrate. Mais comme ma conviction, mon analyse de l’intérêt des Français, y compris du point de vue de la justice sociale, c’est de voter " oui "... En plus, nous 450 millions de citoyens européens, il y a besoin de règles, beaucoup plus efficaces et beaucoup plus démocratiques pour vivre ensemble. Or c’est quand même assez frappant de voir que dans l’ensemble de ces pays, les forces populaires, les forces de gauche, attendent de la France un pas positif, une réponse de confiance, d’action et une attitude constructive vis-à-vis de l’Europe. Ce qui me rend triste, c’est que le vote " non " c’est un vote de résignation, finalement. C’est un vote qui dit : " bon, on en a marre, cela ne peut pas marcher, donc on ne fait rien ". Sauf qu’on garde le moins bon, "ce ne sera pas bon pour la France". Je prendrai acte, si jamais les Français votaient " non ". Il reste quelques semaines...

Vous semblez le redouter ?
Peut-être que la conviction peut, comment dire, changer les choses...

Y a-t-il une crise au Parti socialiste ?
Le Parti socialiste ne va pas bien. Il est lui aussi dans une situation paradoxale. Les Françaises et les Français l’attendent, ont besoin de lui. Et les socialistes doivent se dire, qu’ils soient des militants de base ou des dirigeants, qu’ils n’ont d’utilité que par rapport aux Français et leurs convictions. Et donc, on n’a jamais raison tout seul. On a besoin d’être ensemble et d’être à la fois un parti rassemblé, réellement de gauche...

Ce n’est pas le cas...
...Mais pas dans l’incantation. De gauche, pour agir, pour produire du progrès social. C’est imparfait, évidemment, ce qu’on fait quand on est en action, mais il vaut mieux être en action et qu’il y ait deux millions d’emplois créés, comme sous le gouvernement Jospin, que des emplois massacrés comme sous le gouvernement Raffarin. Veut-on agir pour le progrès social ou veut-on simplement servir des carrières personnelles ? Voilà le problème.

Vous avez cité le nom de Lionel Jospin ; il sera à la télévision, jeudi soir, sur France 2. Vous pensez qu’il peut renverser le cours des choses à gauche, que sa parole suffit ?
Je pense que sa parole sera très utile, son argumentation, parce que c’est un homme d’Etat, et un homme d’Etat qui parle avec désintéressement.

Il vous manque, vous en avez besoin de Jospin...
Il ne me manque pas, parce que c’est un ami et que je le vois de temps en temps. Je pense que c’est un homme de grande envergure mais je ne veux pas mettre Lionel Jospin dans les spéculations de personnes ou de pouvoir, car ce n’est pas le problème, et ce n’est pas son état d’esprit. L’état d’esprit et le problème, c’est quel est l’intérêt des Français et comment faire en sorte qu’ils aient des réponses qui les fassent avancer.

Lu, page 9 du supplément parisien du Nouvel Observateur : Bertrand Delanoë présente ses excuses aux automobilistes pour les embouteillages cauchemardesques consécutifs aux grands travaux du boulevard Magenta, de la rue Jean Jaurès ou sur le tracé du tramway. Alors, vous embouteillez Paris d’abord et puis vous vous excusez...
Vous ne citez qu’un petit bout. J’ai dit d’abord que la pollution était un problème de santé publique. Vraiment, il y a un enfant sur deux à Paris qui souffre d’asthme et la seule cause de pollution à Paris, c’est la voiture, et on l’a vu avec l’enquête d’AirParif aux abords du périphérique...

Mais avec les embouteillages, il y a encore plus de pollution...?
Nous poursuivrons notre politique de santé publique, de lutte contre la pollution. Cela suppose la priorité aux offres alternatives, notamment les transports en commun, le tramway. Pendant les années où on fait ces travaux, pour améliorer l’offre de transports en commun, il y a des gênes et j’en suis désolé, oui, absolument...

Vous faites des excuses ?
Mais ces quelques années de gêne provoquent après de l’embellissement de la ville et une adaptation, une offre de déplacement très supérieure. Vous savez, il y a eu beaucoup plus d’embouteillages en Bordeaux quand ils ont fait le tramway. Il y en a quelques-uns à Paris, moins qu’avant, je vous signale... Il y a dix ans, il n’y avait pas d’embouteillages à Paris ?

Moins qu’avant, moins qu’avant...
Sauf qu’il n’y avait pas de tramway, maintenant, en plus, il y aura un tramway.

Vous êtes venu en bus ou en vélo ce matin ?
Je suis venu en voiture électrique...

Ah, en voiture...
La voiture la moins polluante.

Le lundi de Pentecôte à la mairie de Paris, c’est férié ?
Je suis obligé d’appliquer la loi, parce que je suis quelqu’un de légaliste. En même temps, je discute avec les personnels de la ville parce que, vraiment, encore une mesure du gouvernement Raffarin, qui était mauvaise au début, qu’il ne sait pas appliquer, et vraiment, il met tout le monde dans l’embarras - les collectivités locales comme les entreprises. Donc, à la fois, je vais concilier légalité, et, bien sûr, démocratie sociale avec les organisations syndicales.

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