Bientôt,
le Sénat sera obsolète

Bertrand Delanoë
Tribune signée par Bertrand Delanoë, sénateur de Paris, président du groupe socialiste et apparentés au conseil de Paris, parue dans le quotidien Libération daté du lundi 15 février 1999
 

Un sondage auprès des Français sur la Chambre haute ferait à coup sûr émerger certains épisodes récents moyennement glorieux. De l'élection aux relents politiciens de son président, au rejet du projet sur la limitation du cumul des mandats, la majorité sénatoriale n'a pas vraiment brillé aux yeux de l'opinion.

Et son refus - provisoire, je l'espère - de toute révision constitutionnelle sur la parité ne fait qu'aggraver ce divorce. Voilà un texte porté par le Premier ministre, voté à l'unanimité par les députés, officiellement approuvé par le Président de la république, mais qui ne trouve pas grâce aux yeux de la droite sénatoriale.

On passera sur les arguties censées justifier une telle attitude : ne pas « humilier » les femmes. Sans doute demain, à propos du PACS, les mêmes veilleront-ils à éviter pareille « humiliation » aux homosexuels...

Des prises de position à ce point passéistes provoquent des réactions légitimement indignées, comme l'analyse de Gisèle Halimi parue dans ces colonnes ou les commentaires concis de la députée RPR Roselyne Bachelot. En traitant les sénateurs de « cons », celle-ci a assez bien exprimé le sentiment général ? Tout juste se permettra-t-on lui de faire remarquer qu'en toute logique, ce vocable ne devrait s'appliquer qu'à ceux qui ont voté contre la parité...

Dès lors surgissent certaines questions : à quoi sert le Sénat ? En quoi contribue-t-il utilement au fonctionnement de notre démocratie ?

Constatons d'abord que la plupart des grands pays démocratiques fonctionnent sur la base du bicamérisme, garant d'une expression équilibrée des pouvoirs chère à Montesquieu. L'« anomalie » ne réside donc pas dans l'existence même du Sénat, mais bel et bien dans sa non-représentativité chronique.

Deux facteurs expliquent un tel constat: d'abord, le mode de désignation du collège des «grands électeurs» composé à 96 % de délégués de conseils municipaux) entraîne une nette surreprésentation des villages et petites communes. Ensuite, la répartition des sièges sénatoriaux (toujours fondée sur le recensement de... 1975) accentue sensiblement cette «prime» aux zones rurales, en favorisant les départements les moins peuplés. Or chacun sait bien que la population française s'est déplacée: elle vit aujourd'hui à 80 % en milieu urbain.

La Constitution de 1958 a fixé une règle claire: le Sénat doit assurer la représentation des collectivités territoriales. Le principe est sain dans son fondement: à côté de l'Assemblée nationale, qui procède de l'expression directe du suffrage universel, le Sénat exprime une autre forme de souveraineté, mais par l'intermédiaire des collectivités territoriales. La logique est la même à l'étranger: la plupart des secondes chambres partagent cette «origine» d'essence territoriale.

Si on peut accepter le principe selon lequel les zones les plus menacées par le déclin démographique doivent voir leur représentation légèrement amplifiée, le cas du Sénat français est caricatural, et illustre une situation de plus en plus anachronique. Ce faisant, c'est la mission même du Sénat qui est détournée.

Comment une chambre qui se situe invariablement dans le même camp politique, qui ne correspond plus à la réalité socio-démographique des territoires qu'elle prétend représenter et qui ignore ostensiblement ses évolutions, pourrait-elle remplir correctement sa mission démocratique: tempérer le pouvoir, quelle que soit sa couleur politique, servir et stimuler le débat public, contribuer à l'enrichissement des textes, veiller à l'application des règles de droit?

La représentativité conditionne le rôle. S'affranchir de la première, c'est dénaturer le second, dans un sens où la logique politicienne prend le pas sur l'exigence démocratique. Et c'est créer ainsi les conditions d'une incompréhension grandissante parmi les citoyens.

C'est un sénateur qui le dit : il faut réformer le Sénat. J'ajouterai : dans l'intérêt même du Sénat, menacé de marginalisation et d'obsolescence.

C'est pourquoi le projet de loi annoncé par Lionel Jospin trace des perspectives à la fois raisonnables et légitimes. Le texte s'inspire d'une proposition de loi déposée au printemps dernier par mes amis Claude Estier et Guy Allouche. Il vise à la fois à augmenter sensiblement le nombre de départements pour lesquels le scrutin proportionnel s'appliquerait et à modifier la composition du collège électoral afin que les zones urbaines soient plus justement représentées. Ce rééquilibrage pourra seul garantir une redynamisation de la fonction sénatoriale (et de son image).

Un chantier majeur dont tout démocrate devrait souhaiter qu'il puisse aboutir. En cohérence avec ses engagements, Lionel Jospin prend ses responsabilités. Le chef de l'Etat, inspiré par «l'esprit de Rennes», prendrait assurément les siennes en exprimant officiellement son accord. Peut-être, cette fois-ci, la droite sénatoriale serait-elle réceptive...
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