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Estimez-vous que la réaction de Jacques Chirac est à la mesure du désaveu qu'il a reçu dimanche dernier ?Le nouveau gouvernement ne m'inspire pas plus confiance que le précédent pour régler les vrais problèmes des Français. Quant aux mots prononcés par le président de la République, ils ne valent que par les actes qui suivront...
Quelle est votre analyse du scrutin de dimanche ?C'est un événement important et positif pour la société française, car les citoyens se sont largement mobilisés. C'est la première fois depuis très longtemps. Une telle participation est signe de vitalité démocratique. Si je prends le cas de Paris, il y a, depuis 2001, 122 000 inscrits supplémentaires sur les listes électorales à population constante et, dans le même temps, la participation y augmente de 11 % par rapport à 1998. En outre, le Front national baisse, même dans les quartiers populaires, là où la souffrance sociale entraîne souvent ce vote de désespérance. Pour le reste, le verdict des Français est énorme. Il dit clairement que c'est le contenu même de la politique du gouvernement qui ne leur convient pas. Sans doute aussi le comportement des dirigeants de notre pays a-t-il été sanctionné. En effet, je n'exclus pas qu'une forme d'arrogance et de mépris de l'exécutif vis-à-vis de la justice ait influencé l'appréciation de citoyens exigeants sur les pratiques de leurs représentants. L'UMP n'a jamais abandonné son état d'esprit de domination et d'envie de coloniser les pouvoirs. Il y a eu l'UDR, le RPR, puis l'UMP. Les noms changent, mais pas ce rapport édifiant à la démocratie qui consiste à « se sentir propriétaire là où l'on exerce le pouvoir ». Or, la société française est une société de diversité d'opinions. C'est d'ailleurs pour cela que j'étais hostile à un parti unique à gauche. En fait, à gauche comme à droite, s'il n'y a pas d'unité, on ne gagne pas. Mais si on veut domestiquer la diversité, on ne peut pas gagner non plus.
Est-ce uniquement un vote sanction ?Non. Il y a eu aussi une adhésion à la démarche de la gauche depuis deux ans, qui tente d'être une opposition utile. Les Françaises et les Français se sont servis de la gauche comme d'un instrument d'équilibre démocratique, en confiant à des équipes progressistes la gestion des régions. Cette nouvelle configuration est à la fois source de progrès et d'inconnues, notamment parce que le calendrier institutionnel n'est pas simple. Prenez 1992 : après la défaite cruelle de la gauche aux régionales, suivaient, un an plus tard, des élections législatives qui ont permis de canaliser l'opposition au gouvernement de l'époque. Or, aujourd'hui, trois années nous séparent des prochaines élections nationales. Cela exige de chacun, majorité comme opposition, un sens aigu des responsabilités.
Estimez-vous qu'il faut poursuivre les réformes ?Bien sûr ! Ce n'est pas parce que le gouvernement ne sait pas gouverner que la France est ingouvernable. Mais des réformes pour qui et pour quoi ? La réforme des retraites, par exemple, a été conduite de manière technocratique et elle n'est pas financée. Il est d'ailleurs essentiel, dans ce pays, de redécouvrir que la démocratie sociale est utile. Il ne faut pas avoir peur du débat ni des contradictions. Car, dans une démocratie moderne, chacun assume des parts de conflits, en respectant ses interlocuteurs, et en recherchant les conditions du compromis. Je crois sincèrement que la démocratie sociale constitue l'un des dossiers les plus passionnants des années à venir. Elle est la condition du progrès dans notre pays.
François Hollande est-il renforcé à la tête du PS ?François Hollande, à la tête d'une équipe, avait réussi le congrès de Dijon. Depuis, il a surmonté des difficultés, des épreuves. Cette élection le légitime comme un premier secrétaire du parti qui a vraiment l'envergure pour conduire notre famille politique.
Jusqu'à quand ?Au moins jusqu'au prochain congrès. Dimanche, les Français nous ont confié beaucoup de travail. Nous devons maintenant donner un contenu à l'espérance qu'ils ont exprimée. Pour cela, deux ans ne seront pas de trop pour comprendre et élaborer avec eux un projet alternatif pour 2007-2012. Mais il ne faudra pas le faire précipitamment. Car, à vouloir être prêts trop tôt, nous prendrions le risque que certaines de nos propositions soient déjà dépassées. En outre, je crois essentiel que ce projet soit le fruit d'une réflexion ouverte à toute la vitalité de notre société : monde associatif et professionnel, et même les citoyens qui le veulent.
Quand désigner un candidat pour l'Elysée ?Là encore, pourquoi aller trop vite ? Au cours de l'année précédant l'élection, cela me paraît largement suffisant. Mais j'y insiste : cette aventure sera collective ou elle échouera.
Au premier tour, l'UDF a joué comme le PS sur l'idée d'une « opposition utile ». Qu'est-ce qui lui a manqué pour s'imposer ?La vérité. François Bayrou a été trop tactique. L'UDF ne pouvait pas incarner une alternative puisqu'elle a voté toutes les décisions qu'elle dénonçait par ailleurs. Le marketing électoral, ça ne marche plus. Les électeurs crédibilisent ce qu'ils perçoivent comme authentique, c'est-à-dire la cohérence entre les propos et les actes.
C'est ce que vous pensez avoir réussi à Paris ?Ce qui semble convenir aux Parisiens trois ans après l' alternance de 2001, c'est d'abord un climat démocratique. Les citoyens s'expriment, ils sont invités à élaborer. Nous avons le souci constant de leur dire la vérité, ce qui est à l'inverse de la démagogie. Et puis, quelles que soient les critiques, nul ne peut contester notre acharnement à obtenir des résultats concrets. Par exemple, nous avons prouvé qu'il était possible de livrer une école après quatorze mois de travaux, quand il fallait plusieurs années auparavant. J'assume d'ailleurs une forme de pression dans notre mode de management collectif à Paris, parce que cette équipe municipale a la volonté de bien travailler, de dépenser mieux, pour investir et pour réaliser. C'est cet état d'esprit qui doit prévaloir dans les trois ans à venir.
Pensez-vous en avoir convaincu vos partenaires du conseil de Paris ?Ce qui est clair, c'est que je serai attentif à ce que la majorité municipale puisse assumer sa diversité et sa créativité, sans jamais oublier que ce qu'elle apporte aux Parisiens est plus important que les égoïsmes ou les intérêts particuliers de chaque parti. C'est vraiment une œuvre collective.
Jean-Paul Huchon a-t-il bénéficié d'un « effet Delanoë » ?La victoire de dimanche dernier est une victoire de Jean-Paul Huchon, de son projet et de son équipe. Simplement, et contrairement à d'autres acteurs politiques, je n'ai jamais pensé que ma contribution devait s'exprimer dans l'image ou par l'inscription de mon nom sur un bulletin de vote. Le principal échec de M. Copé, c'est d'avoir tenté d'opposer entre elles les collectivités locales d'Ile-de-France. Or, depuis trois ans - et c'est inédit - la région et Paris ont été des partenaires actifs pour les autres collectivités franciliennes, de gauche ou de droite. Cette complémentarité entre Jean-Paul et moi, ce n'était pas une mise en scène ou un rapport de forces politicien. Elle était simple, naturelle, partenariale, et j'ajoute, amicale.
Le PS annonce son intention d'opposer un pouvoir régional au gouvernement. Avez-vous l'intention de prendre le leadership de cette initiative ?Le leadership, certainement pas. Je souhaite que tous les présidents de conseils généraux, de droite comme de gauche, se servent du vote de dimanche dernier pour convaincre le gouvernement de ne plus les mépriser. Celui-ci nous a confié une responsabilité de caractère national: le RMI. Or, il prétend compenser financièrement en 2004 sur la base de 2003, alors que, dans le même temps, il exclut 265 000 chômeurs de l'allocation-chômage, ce qui accroît considérablement le nombre d'allocataires du RMI. A Paris, le différentiel est de plus de 50 millions d'euros. Chaque président de conseil général doit exiger un remboursement, à l'euro prêt, comme le prévoit d'ailleurs la Constitution. Quant aux nouveaux présidents de conseils régionaux, leur tâche est aussi d'adoucir par leurs politiques de logement, de transport ou d'éducation, les conséquences de la politique, ô combien néfaste !, de la majorité actuelle. Mais attention : ne donnons pas non plus aux citoyens l'illusion que nous sommes responsables de la politique nationale.
Comment abordez-vous le prochain débat interne au PS sur l'Europe ?Ce débat est essentiel, car l'Europe va mal. Elle est confrontée à un quadruple défi : l'élargissement, l'avenir de ses institutions, mais aussi les avancées qu'elle peut et doit générer en termes de justice sociale et de démocratie, dans la mondialisation. La bonne nouvelle, tout de même, c'est l'élection en Espagne d'une majorité pro-européenne, ce qui change la donne et peut faire avancer cette construction. Nous, sociaux-démocrates, avons donc un rôle très important à jouer. Je souhaite que nous assumions sans tiédeur nos convictions européennes, en servant notre ambition de justice sociale au sein de l'Europe. Dans la mesure où mon travail de maire me le permettra, j'ai d'ailleurs bien l'intention de m'investir dans ce débat.
L'humilité actuellement affichée par le PS résistera-t-elle longtemps à l'euphorie de la victoire ?Nous n'avons pas le choix. Si nous conservons cet état d'esprit, une majorité de Français nous reconnaîtra. Si nous oublions cette leçon, nous perdrons.
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