Chasser Ubu
de Paris pollué

Bertrand Delanoë
par Bertrand Delanoë président du groupe socialiste au Conseil de Paris
Point de vue paru dans le quotidien Le Monde daté du 19 mars 1997


 
Appliqué depuis vingt ans avec zèle par la municipalité parisienne, le vieux dogme pompidolien « adapter la ville à l'automobile » porte aujourd'hui ses fruits... Le résultat est édifiant : 2,5 millions d'entrées et sorties quotidiennes de voitures à Paris ; 700 000 véhicules en circulation pour 200 000 places de stationnement disponibles en surface. Ubu est entré dans la ville, équipé d'un pot d'échappement.

Si, pour 69 % des Parisiens, la pollution désigne une inquiétude prioritaire (sondage Sofres de février 1996), l'attitude du maire de Paris semble malheureusement garantir un avenir radieux aux « pics » désormais rituels.

Il adapte certes son discours à l'air (pollué) du temps, en admettant que l'espace occupé par l'automobile doit aujourd'hui être remis en cause au profit d'autres moyens de transport. Mais ses « réponses » paraissent bien maigres. La création d'un tramway ? Promise dès juin 1995, elle apparaît comme un projet condamné à demeurer à l'état... de projet. Le prolongement de la ligne Météor ? La Ville propose un engagement financier de 90 millions de francs alors que sa contribution devrait raisonnablement s'élever à 300 millions pour le seul tronçon sud. Les pistes cyclables ? Placées sur des axes lourds, elles sont mal respectées des automobilistes et se révèlent surtout peu sécurisantes pour leurs utilisateurs, faute d'une protection adaptée.

Ce n'est pas tout : Jean Tiberi annonçait récemment la création ô combien ingénieuse de « vannes de filtrage » destinées à réguler l'accès au périphérique des véhicules entrant dans Paris. Après le nuage de Tchernobyl contournant le sud de la France, la municipalité inventait les vagues de pollution circonscrites à la banlieue. La légitime levée de boucliers des maires des communes limitrophes (nullement consultés, bien entendu) a renvoyé ce brillant projet au rayon des engagements non tenus.

Face à la dégradation de la qualité de l'air, la santé des Parisiens est menacée, comme le démontrait l'Observatoire régional de la santé dès septembre 1994. Dans ces conditions, l'annonce faite par Corinne Lepage, ministre de l'environnement, de limiter la circulation automobile, lors de « pics » de pollution de niveau 3, apparaît bien comme un désaveu pour les autorités municipales et préfectorales.

Mais répond-elle pour autant à la véritable question de société aujourd'hui posée ? L'essentiel, en effet, n'est pas de se satisfaire de mesures d'urgence dont on voit mal, d'ailleurs, pourquoi elles ne s'appliqueraient qu'à partir du niveau 3. Il est de restaurer la qualité de vie en milieu urbain, en inventant la ville du XXIe siècle, et en posant comme postulat que les « pics » n'y auront plus... droit de cité. Les limites de la loi Lepage résident précisément dans la modestie des « clés » qu'elle offre : c'est bien à l'exécutif municipal d'assumer ses responsabilités, en cessant de croire que d'autres pourront prendre à sa place des décisions engageant l'avenir de notre collectivité.

Le choix est clair : s'obstiner et faire ainsi adhérer Paris au club des mégapoles polluées, embouteillées, inhumaines, fragments d'absurdité bâties par les hommes contre les hommes. Ou bien rompre avec un modèle manifestement obsolète, en tentant de donner à l'« exemplarité parisienne » une signification concrète et puissante, à même de peser sur un avenir placé sous le signe de l'urbanité.

Cette ambition implique d'abord de raisonner à la bonne échelle, celle de l'agglomération, adaptée à une vraie coopération interurbaine. Elle nécessite aussi une redistribution de la voirie ainsi qu'une diversification des moyens de déplacement. Nous avons proposé la réalisation d'un véritable « métro de surface » avec la mise en site propre des couloirs de bus sur l'ensemble du territoire parisien. Plus nombreux, plus rapides, plus écologiques, les autobus pourraient constituer une offre alternative efficace à l'automobile.

Diversification signifie aussi création de pistes cyclables protégées et en continu sur tout Paris, développement du transport fluvial, humanisation du métro et remise en cause du système actuel de circulation des cars de touristes. Ceux-ci stationneraient sur des parcs spécialement conçus aux portes de Paris, des navettes non polluantes assurant le transfert des personnes sur les lieux souhaités.

De tels changements impliqueraient une autre manière d'envisager la ville et sa configuration. Notre projet est précisément de replacer l'individu au cœur du développement urbain. La création d'un « réseau vert » fermé à la circulation automobile et reliant entre eux les « quartiers tranquilles » traduirait une révolution culturelle attendue par bon nombre de Parisiens. En redonnant à chacun un vrai pouvoir de déplacement, selon le mode de son choix, c'est, au-delà, une reconquête de son temps, de sa liberté, qui serait offerte.

Il est clair que l'éloignement vécu par les Parisiens entre leur lieu de travail et leur lieu d'habitation qui va en s'aggravant résulte d'un appauvrissement du tissu économique local, découlant lui-même d'un modèle de développement qui révèle aujourd'hui ses limites. Comment prétendre en effet réorganiser demain le rythme professionnel et familial de l'individu, sans remodeler en conséquence le cadre au sein duquel il s'exercera ?

L'enjeu environnemental, on le voit, doit être considéré à l'aune des multiples thématiques qu'il désigne. Les explorer à partir d'une vision cohérente pourrait contribuer à restaurer un lien social atteint, lui aussi, par la « pollution » ambiante.

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