Un Parti socialiste au cœur de la société

Jacques Delors

par Jacques Delors
Tribune parue dans l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur, n°1602 (20 juillet 1995).


 
La réflexion qu'engage le parti socialiste est certes importante pour lui, mais va bien au-delà. Car se pose à toutes les formations politiques la question de leur place et de leur rôle dans la démocratie telle que nous la vivons aujourd'hui.

Bien entendu, dans tous nos régimes parlementaires, l'objectif premier d'un parti politique est de gagner les élections et, par là même, d'animer le débat politique, avec ses temps forts que sont les rendez-vous avec les électeurs.

Existe-t-il, à ce propos, une spécificité de la Vème République, voire une exigence qui voudrait que le chef du parti soit le candidat à la présidence de la République ? Je ne le crois pas. Il suffit de considérer la tendance, commune à toutes nos démocraties occidentales, à la personnalisation. A tel point que l'on a pu voir, dans de nombreuses circonstances, un parti donné favori dans les sondages perdre les élections parce qu'au dernier moment les électeurs faisaient davantage confiance à une personnalité opposée à ce parti.

Ces exemples devraient suffire à calmer les appréhensions de ceux qui, au parti socialiste, craignent une dérive causée par le phénomène de présidentialisation. Il faut prendre acte, sans plus, de l'impact majeur que représentent les relations entre une personnalité politique - en l'espèce Lionel Jospin - et l'opinion publique, condition nécessaire mais non condition suffisante. Et c'est là que convergent, me semble-t-il, tous les socialistes pour souhaiter que leur parti assume d'autres missions.

Quelle est en effet la cause essentielle de l'affadissement de nos moeurs démocratiques sinon la distance qui s'accroît dangereusement entre gouvernants et gouvernés ? Avec les risques réels liés à une personnalisation excessive et à la fascination exercée par les sondages sur nos dirigeants.

Pour éviter ces dangers, un parti doit redevenir le médiateur obligé entre le pouvoir et l'opinion publique. Il a pour devoir de recueillir les aspirations et les inquiétudes des citoyens, d'en faire en permanence la synthèse en surmontant bien des contradictions. Mais il lui incombe, dans le même temps, d'expliquer les raisons de ses choix, qu'il soit au pouvoir ou dans l'opposition. Cet effort permanent d'explication est indispensable pour que chacun comprenne combien est difficile l'exercice des responsabilités politiques, pour que nos sociétés ne soient pas entraînées dans l'indifférence à l'égard du bien commun, indifférence d'ailleurs entrecoupée de sursauts émotionnels et sans lendemain.

Chacun peut comprendre, dès lors, le lien qui unit le renouveau des partis avec la réhabilitation du rôle du parlement. Car c'est précisément aux élus du peuple qu'il incombe d'animer cette dialectique entre le pouvoir et les citoyens. Dans cet esprit, j'ai été choqué, je l'avoue, des arguments utilisés par Jacques Toubon pour justifier un recours accru au référendum. Je le cite : « Je dirai que la loi doit toujours être parlementaire lorsqu'il faut concilier ou améliorer. Elle peut être référendaire lorsqu'il faut trancher et réformer. » Etrange conception du rôle du parlement, alors qu'il est du ressort des élus du peuple de remplir pleinement la mission qui leur a été confiée, de juger en connaissance de cause et en pleine responsabilité des problèmes posés à la nation et à la société, de rechercher les solutions les plus conformes à leur conception de l'intérêt général, puis d'exposer à tous les citoyens les raisons de leur choix.

On a souvent dénoncé, à juste titre, la tentation de renvoyer les problèmes à des groupes dits de sages, au lieu de les confier au travail parlementaire. Une autre tendance néfaste serait de laisser entendre, par un usage abusif ou ambigu du référendum, que les élus du peuple ne sont pas le mieux placés pour débattre, réaliser les bons compromis, proposer les réformes les mieux adaptées et les plus susceptibles de réussir. Ce qui n'exclut pas, dans certains cas bien limités, de demander, par une question clairement posée, l'avis du peuple à l'issue des délibérations parlementaires. Mais rien ne doit être fait qui dévalorise le rôle du politique et, partant, des partis et des instances parlementaires.

Espérons que le parti socialiste saura donner l'exemple en se situant dans la société comme un poisson dans l'eau, en offrant à chaque citoyen, selon le mode qu'il souhaite, la possibilité de participer aux débats qui le concernent. Le parti peut proposer diverses formules, divers degrés d'engagement ou manières d'être en osmose avec toutes les forces qui sont à l'oeuvre dans la société. C'est notamment vital pour le parti socialiste, qui veut redevenir l'un des instruments moteurs d'un changement social voulu et maîtrisé. C'est pourquoi il aurait grand intérêt à proposer aux responsables professionnels, syndicaux et associatifs qui le souhaitent de venir dialoguer avec lui au sein d'un conseil des forces vives. Nous ne serons pas de trop pour combler le vide inquiétant qui s'est creusé entre ceux qui prétendent diriger et ceux qui ont l'impression de subir, au risque pour ces derniers de ne trouver de recours que dans le vote protestataire et les idéologies de rejet.

Entendons-nous bien. Il ne s'agit pas d'accaparer les intéressés et de les utiliser. Pas davantage de rêver de créer en France - ce qui n'est pas possible - les structures classiques de la social-démocratie. Non, il s'agit d'être modestement à l'écoute de tout ce qui, dans notre société, exprime la volonté de renforcer le lien social et d'innover dans le champ très vaste de l'économique, du social, de l'environnement et de la solidarité. Face aux graves et difficiles problèmes qui se posent, il faut, plus que jamais, associer ceux qui ne renoncent pas et, partout, remettre la société en mouvement.

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