Identité nationale, identité européenne, immigration

Christiane Demontes

 Contribution thématique au congrès national du Mans présentée par Elisabeth Auerbacher, responsable national chargée du Handicap, Yves Dauge, sénateur d'Indre-et-Loire, Christiane Demontes, sénatrice du Rhône, Louis Mermaz, sénateur de l'Isère et Jean-Pierre Sueur, sénateur du Loiret (8 juillet 2005).

 
La France comme la plupart des grandes nations s'est constituée au cours des siècles par l'arrivée sur son sol d'immigrés qui ont pris une part essentielle à ses succès et ont contribué à forger son identité.
Certes notre pays a connu des périodes où l'accueil et la fermeture ont alterné, mais chaque fois que la Gauche a accédé aux responsabilités gouvernementales, en 1936, à la Libération, en 1981, en 1988, en 1997, des avancées - plus ou moins importantes - se sont produites. Cela répondait à sa volonté de respecter les droits de l'homme.

Aujourd'hui, nous traversons une période de retour en arrière comme celle que nous avons connue de 1986 à 1988 et de 1993 à 1997 avec les lois Pasqua ou Debré. Constatons que les mesures répressives prises à l'encontre des immigrés, interviennent toujours dans un contexte plus général de régression sociale. Voilà qui devrait donner à réfléchir à ceux qui pourraient être sensibles aux campagnes de l'extrême-droite.

Le tableau de l'immigration en France est bien entendu très contrasté. Ceux qui ont acquis la nationalité française et qui se sont fondus dans le creuset de la nation sont et se sentent ici complètement chez eux et rien ne les distingue bien entendu du reste de la population.

Totalement différent est le sort réservé à une grande partie de ceux qui sont entrés au cours des dernières décennies. Même lorsqu'ils disposent d'un droit de séjour, ils sont très souvent en butte aux discriminations dont sont victimes les plus pauvres et qui touchent à l'éducation, l'emploi, le logement, les loisirs, à leur vie quotidienne et à leur avenir. Un effort considérable en moyens humains et financiers devra leur donner les mêmes chances qu'à nos concitoyens. Or, seule la Gauche est en situation de répondre en profondeur à leur détresse. Mais ne devrait-on pas commencer par rétablir le droit du sol dès la naissance pour les enfants des étrangers admis depuis plusieurs années à résider chez nous ?

S'opposer à la politique de répression

Mais la situation est devenue extrêmement critique pour beaucoup de ceux qui continuent de frapper à notre porte.

Les lois Sarkozy du 26 novembre 2003 sur l'immigration et de Villepin du 10 décembre 2003 sur le droit d'asile viennent de restreindre de façon drastique les conditions d'accès au territoire français des immigrants et des demandeurs d'asile. Il y a aggravation des conditions de délivrance des visas, renforcement du contrôle des attestations d'accueil, prolongation des durées d'enfermement pour ceux qui ne disposent pas de papiers en règle.

La République Française aujourd'hui n'honore pas le droit d'asile tel qu'elle s'y est engagée il y a plus de cinquante ans en adhérant à la Convention Internationale de Genève.

Plus généralement les derniers textes d'application des lois sur l'immigration et le droit d'asile et les mesures très répressives contenues dans " le plan contre l'immigration clandestine " présentées par le ministre de l'Intérieur en mai 2005 rendent de plus en plus aléatoire l'exercice des droits : mise en place d'un comité interministériel de " contrôle de l'immigration ", mise en place d'une véritable police de l'immigration consacrée aux reconduites aux frontières, à la recherche des détournements de procédures d'asile, restrictions dans la délivrance des visas de court séjour, modification du code civil pour que la transcription des mariages à l'étranger cesse d'être automatique, jetant ainsi la suspicion sur les mariages mixtes.

Les demandeurs d'asile non-francophones - qu'ils viennent d'Afrique, d'Asie, d'Amérique latine et depuis ces dernières années des pays de l'Europe de l'est - devront désormais payer eux-mêmes les interprètes dont ils auront besoin pour remplir leur demande en français. Les conditions de rétention sont également aggravées, la capacité dans les centres étant portée à 140 places, voire plus, alors que la situation y est déjà explosive et que le gouvernement s'était engagé à les limiter à 100. Dénonçons aussi l'état désastreux des locaux dont la mise en conformité aux normes est repoussée à 2007.

En installant le 10 juin dernier le comité interministériel, le nouveau Premier ministre a demandé à ses collègues, en liaison avec le nouveau ministre de l'Intérieur, de lui faire très rapidement des propositions devant porter entre autres sur la lutte contre le travail illégal, la " relance de l'aide au retour ", "l'évolution de la politique d'accueil des étudiants étrangers" et " l'adaptation de notre pratique en matière d'immigration aux besoins de l'économie française ". On appréciera l'amalgame ainsi réalisé.

Le nouveau ministre de l'Intérieur a souhaité de son côté le 9 juin dernier que le " gouvernement et le Parlement fixent chaque année, catégorie par catégorie, le nombre de personnes admises à s'installer sur le territoire français ". Il y a là une manière d'opposer les " mauvais " immigrés aux " bons " immigrés, d'accuser le regroupement familial ou les mariages mixtes d'être les " principaux pourvoyeurs de l'immigration illégale ", alors " qu'on veut accueillir des étrangers dont on a besoin plutôt que des étrangers à qui on n'a à offrir ni un logement, ni un travail ", explique le ministre. Suprême hypocrisie, on ne parlerait plus de " quotas ", mais d'" immigration choisie ". On accueillerait les uns pendant qu'on expulserait les autres.

Le bilan de cette politique est connu : une augmentation de 72 % des reconduites à la frontière entre 2002 et 2004. Au premier trimestre 2005, 4331 étrangers on été renvoyés dans leur pays, soit une augmentation de 87 % par rapport à 2004. L'objectif affiché par le gouvernement pour 2005 est de 20 000 reconduites aux frontières.

Et cependant l'impasse de cette fermeture des frontières et de cette politique répressive est évident : en 2004, le nombre de reconduites à la frontière exécutées a été de 15 500 sur près de 70 000 prononcées. Au rythme prévu de 20 000 reconduites par an, il faudrait entre 10 et 20 ans pour " régler " par le départ - évidemment à leur détriment - la situation des clandestins vivant actuellement en France !

D'autre part que cachent les déclarations ministérielles ? Fixer des quotas permettrait au gouvernement de replacer l'immigration au cœur du débat politique à moins de deux ans des élections présidentielles. Fixer annuellement des quotas, ce serait ainsi politiser en permanence l'immigration avec le risque d'excès en tout genre que cela entraînerait aux dépens bien entendu des immigrés.

Rester fidèle à notre idéal internationaliste

Les socialistes ne peuvent que se casser la tête sur le problème de l'immigration s'ils ne le situent pas dans un contexte général et s'ils ne l'inscrivent pas dans une vision du monde et dans une ambition collective.

Ils doivent rester fidèles à leur esprit internationaliste. Il ne suffit pas de déplorer la situation des pays pauvres, mais il faut engager des actions au plan national, européen, voire international. Tant que les pays riches se livreront à une exploitation éhontée des pays pauvres selon les règles de l'économie libérale, tant que l'aide que nous leur apportons ne compensera qu'une infime partie de ce que nous prenons chez eux, nous connaîtrons des flux migratoires importants. Plutôt que de transformer notre pays et notre continent en forteresse assiégée, il vaut mieux peser de toute notre poids pour changer cet état de fait.

Mais nous devons tenir compte également, nous Français, des liens historiques que nous avons noués avec le Maghreb et avec l'Afrique noire. Nous ne pouvons à la fois nous enorgueillir de la francophonie et traiter comme indésirables ceux qui parlent notre langue. Nous avons régulièrement la démonstration de ce que représente la force du monde anglo-saxon. Devons-nous sur le plan de la langue et de la culture être toujours en retrait ?

On nous dira que l'immigration a désormais une dimension européenne. C'est vrai. Mais comment admettre que des " coopérations renforcées " se créent d'abord pour organiser des charters ? Ne vaudrait-il pas mieux engager enfin de réels partenariats avec les pays d'où partent les immigrés, en se gardant au demeurant de recourir à un système de quotas qui les priverait de la présence des cadres et des travailleurs qualifiés dont ils ont le plus grand besoin pour leur propre développement ?

Le durcissement des conditions d'accès à notre pays et à l'Union européenne renforce en fait la précarité de ceux qui fuient la pauvreté et des exactions de toutes sortes. La chasse aux clandestins, en guise de politique d'immigration, qui vise d'abord à faire du chiffre pour satisfaire certains secteurs de l'opinion, ne règle aucun problème. De surcroît elle aboutit parfois à déstabiliser l'emploi, lorsqu'on voit certaines entreprises du BTP ou de la restauration recourir au travail clandestin.

Enfin n'est-il pas grand temps de revenir aux meilleures sources de notre histoire et aux traditions de liberté et de fraternité ? N'est-il pas grand temps, plutôt que de consentir à un repli égoïste, de viser au rayonnement de la France et de l'Europe ?


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