La droite a mis l'Europe en panne


Intervention d'Harlem Désir, député européen, tête de liste de la région Ile-de-France lors de la Convention nationale à la Mutualité (Paris) le 9 mai 2004.


 
Chers camarades,

un vent nouveau souffle sur l'Europe. Il vient du sud avec José Luis Zapatero, du nord avec Poul Nyrup Rasmussen, d’Europe centrale avec Hanz Fisher, vainqueur des élections présidentielles en Autriche, du Portugal avec les socialistes que représente ici notre camarade Ana Gomès et qui sont mobilisés contre une droite ultra réactionnaire, de Belgique où les socialistes sont désormais en tête après une formidable rénovation menée autour d’Elio di Rupo ; il vient d’Italie avec les mobilisations contre Berlusconi ; il vient de France grâce à votre victoire dans les élections régionales le 28 mars. C’est un vent de gauche qui souffle pour une nouvelle Europe. C’est elle que nous voulons faire gagner le 13 juin dans toute l’Union.

Car une nouvelle Europe est en train de naître, et elle a besoin des socialistes. Cette nouvelle Europe, nous l’avons vu après les attentats de Madrid dans la réaction d’identification et de solidarité des peuples. Une opinion publique européenne apparaît qui s’était déjà exprimée contre la guerre et l’intervention unilatérale en Irak comme elle s’était exprimée au moment de l’affaire Haider avec des manifestations partout en Europe pour condamner l’entrée de l’extrême droite dans un gouvernement de l’Union.

Il y a une envie d’Europe, l’attente de réponses européennes aux défis d’aujourd’hui. Il y a une nouvelle génération, de jeunes notamment, qui se sent profondément européenne et qui exprime son sentiment d’appartenance à une communauté de valeur. Nous devons en être les représentants.

C’est notre responsabilité de socialistes, comme cela l’a toujours été dans l’histoire, de répondre à cette attente et de faire avancer l'Europe par notre projet européen. Car il n’y a rien à attendre de la droite. La droite a eu la majorité au Parlement européen pendant cinq ans. Qu’en a-t-elle fait ? Rien si ce n’est toujours davantage pour l'Europe libérale. À Paris, Jacques Chirac déclare qu’il est pour une Europe forte, une Europe solidaire, une Europe de la recherche, mais à Bruxelles, il signe, comme cela a été rappelé, avec cinq autres dirigeants, une déclaration pour limiter le budget européen à 1 % du produit intérieur brut de l’Union, déclaration désormais connue comme celle des « six radins ». Étrange conception du leadership de la France en Europe.

Comment développer la recherche européenne, rattraper notre retard sur les États-Unis et le Japon dans ce domaine, comment financer un espace européen de l’éducation, de nouveaux programmes Erasmus, comment financer la solidarité régionale dans l'Europe élargie, comment créer des réseaux trans-européens de transport, investir dans le développement durable, comment financer l’aide de l’Union en direction des pays du Sud en restreignant de la sorte le budget européen ?

À Paris, Jacques Chirac déclare qu’il est pour une Europe sociale, bien sûr, mais à Bruxelles, ses ministres et les députés UMP, comme ceux de l’UDF, au Parlement européen, votent pour la libéralisation complète du marché de l’électricité, pour la déréglementation des services publics, pour la mise en concurrence de la Poste.
Lors de son récent congrès, le PPE et son groupe au Parlement européen ont présenté un document programmatique pour la prochaine législature. Il est intéressant d’y regarder de plus près. Sur la fiscalité, je les cite : « Nous voulons une concurrence juste et efficace des régimes fiscaux (…) Cela créera une concurrence fiscale saine qui permettra aux entreprises de choisir leur lieu d’implantation dans un environnement plus transparent et, si nécessaire, de le relocaliser avec un niveau de charges administratives moindre. » Sur les retraites, je les cite à nouveau : « Il faut encourager vivement les retraites par capitalisation. La part des régimes de retraite par répartition devrait être progressivement réduit. » Voilà le programme réactionnaire de MM. Berlusconi, Aznar et Chirac pour l'Europe. Ils condamnent l'Europe à n’être qu’une zone de concurrence, sans investissement dans la croissance, dans l’innovation et les emplois de demain, sans politique industrielle, sans politique commune forte, sans progrès social.

Après les pères fondateurs, les pionniers visionnaires, les couples moteurs franco-allemands qui ont fait avancer l'Europe, nous avons eu un temps de dirigeants sans vision, sans souffle européen, incapables de dépasser les clivages nationaux, des dirigeants qui ont mis l'Europe en panne ces dernières années. Le sommet de Nice, comme le sommet de Bruxelles à la fin de l’année dernière échouant sur la Constitution, ont été l’apothéose de l’échec de ces dirigeants. L’élection espagnole et la défaite d’Aznar ouvre désormais une nouvelle page l'Europe. Une nouvelle génération d’Européens doit maintenant se lever pour écrire cette page, pour relancer la grande aventure européenne et répondre à la formidable attente qui s’exprime.

C’est pour cette belle aventure de l'Europe des valeurs, de l'Europe de la paix, de la solidarité et du progrès social que nous avons besoin d’une majorité de gauche demain au Parlement européen. Pour affirmer le choix politique qui puisse parler d’une voix unie sur la scène internationale et agir en faveur d’un ordre mondial fondé sur le droit, sur la solidarité entre les peuples du nord et du sud, sur la responsabilité environnementale, une Europe qui ouvre une alternative à l’unilatéralisme de l’administration Bush dont on voit chaque jour les méfaits et les risques pour la planète.

Déjà l'Europe, c’est la mise en œuvre du protocole de Kyoto sans attendre la ratification des États-Unis, c’est la création de la Cour pénale internationale, là encore malgré leur opposition. Demain, l'Europe ce doit être une politique étrangère et de défense unifiée à service de la paix et des Nations Unies dont on voit l’urgence en Irak. Demain, l'Europe ce doit être l’abolition de la dette des pays pauvres, l’unification de la représentation des Européens au sein du FMI et de la Banque mondiale pour les réformer, les mettre au service du développement ; ce doit être la mise en œuvre d’une taxe de type Tobin sur les transactions financières en commençant en Europe sans attendre les autres pour financer l’accès aux biens publics mondiaux, aux médicaments, à l’eau, à l’éducation partout sur la planète ; ce doit être la mobilisation pour créer une organisation mondiale de l’environnement.

Nous avons également besoin d’une majorité de gauche au Parlement européen pour affirmer le choix de l'Europe sociale. Il y a un modèle social européen à affirmer, à construire, à renforcer. Il ne peut pas y avoir en Europe que les normes de marché, de concurrence et de discipline budgétaire qui convergent. Les droits sociaux aussi doivent converger et ils doivent, pour nous, converger vers le haut. Sur la base des premiers acquis encore embryonnaires et insuffisants de l'Europe sociale, mais qui montrent que les avancées sont possibles, je pense aux directives sur les comités d’entreprise européens, sur la formation et la consultation des travailleurs, sur le temps de travail. À partir de là, nous proposons de bâtir un véritable droit du travail européen et de fixer un certain nombre d’objectifs de progrès social dans un traité social européen, en commençant par l’installation d’un salaire minimum européen dans chaque pays pour aller progressivement vers un salaire minimum dans toute l'Europe.

Dans le domaine de la protection sociale, nous ne proposons pas de tout uniformiser. Chaque pays a ses traditions, ses propres mécanismes et ils ne doivent pas être remis en cause. Mais ce qui est important, c’est que tous les pays européens aient des garanties sociales de haut niveau.

Ce qui n’est pas acceptable, c’est que demain certains pays cherchent à attirer les entreprises en disant : « Chez nous, il n’y a pas de salaire minimum, pas de cotisations pour l’assurance maladie, pas de cotisations pour les retraites, pas de limites au temps de travail ». Et déjà, certains tentent de remettre en cause par des dérogations une directive qui fixe à 48 heures maximales par semaine le temps de travail partout en Europe. L'Europe, c’est ce continent où les travailleurs ont des droits, où on ne vous demande pas votre Carte Bleue quand vous arrivez à l’hôpital avant de commencer à s’occuper de vous et à vous soigner. Et les Européens sont attachés à cela.

C’est pourquoi ceux qui veulent opposer harmonisation fiscale et harmonisation sociale se trompent. Elles répondent aux mêmes objectifs, au même refus du dumping et des délocalisations sauvages, au même refus de la destruction du modèle social européen. L’Europe, l’Union ne peut devenir une course au moins-disant social. Elle doit contribuer, au contraire, dans le domaine social, comme elle le fait dans d’autres domaines, dans celui des libertés des droits de l’homme, dans celui de l’environnement par exemple, à rendre chacun des pays qui la composent meilleur et à protéger davantage ses citoyens.

Voilà pour nous les enjeux essentiels de cette élection. Conquérir une majorité de gauche au Parlement européen, parce que ce Parlement a de plus en plus de pouvoir et que beaucoup de décisions, dont dépend l’avenir de l'Europe et de son modèle social, s’y jouent à quelques voix.

Nous avons besoin d’une majorité de gauche, nous avons besoin que le PSE soit en tête devant les conservateurs et que la gauche se rassemble en Europe et pour l'Europe, pour peser sur les futures législations européennes, pour peser sur le choix du futur président de la Commission, sur l’orientation de sa politique, sur son programme de travail et pour faire avancer vraiment la construction de cette Europe politique et sociale.

Certains dans cette campagne tentent de détourner l’élection de son objet et voudraient faire de deux questions, l’adhésion de la Turquie et la Constitution, la question centrale du débat devant les électeurs. Je pense que les uns et les autres masquent les vrais enjeux et qu’ils trompent les électeurs. Sur la Constitution, il s’agit d’un vrai débat et nous ne l’esquivons pas. Nous avons présenté notre évaluation des avancées institutionnelles et des insuffisances, en particulier le maintien de l’unanimité sur de trop nombreux sujets, notamment en matière fiscale et sociale.

Nous demandons que les procédures de révision permettent des progrès ultérieurs pour l'Europe et que l’on ne fige pas dans le marbre, avec des règles d’unanimité à vingt-cinq, en particulier pour la troisième partie, un texte qui doit marquer une étape de la construction de l'Europe politique et non sa fin. Mais là encore, on ne doit pas faire croire aux électeurs que c’est le Parlement élu le 13 juin qui adoptera ou non la constitution, alors que ce sont les gouvernements, les Parlements nationaux et les peuples consultés par référendum qui auront à trancher. Toute la gauche peut se retrouver sur cette exigence de consulter les Français par référendum. Ce référendum, selon nous, devrait être organisé le même jour dans tous les pays de l’Union qui en ont la possibilité constitutionnelle afin de lui donner un caractère véritable européen.

Mais nous disons aussi que nous nous battons pour obtenir la meilleure constitution possible pour l’Union, que l’Union a besoin d’une constitution, que nous nous battons donc pour la meilleure constitution possible pour l’Union et non pour empêcher l'Europe d’avoir une constitution ; que nous faisons clairement le choix de l'Europe politique et que nous pensons que l'Europe a besoin d’une constitution pour peser face à l’administration Bush, comme pour que l'Europe sociale avance, car il n’y aura pas d’Europe sociale sans Europe démocratique.

Pour terminer sur la Turquie, la Turquie aussi est évidemment un sujet important. Mais là encore, le Parlement européen qui sera élu le 13 juin aura à voter sur de nombreux sujets : les législations économiques, sociales, environnementales, le budget de l’Union, la recherche, l’aide au développement, les traités commerciaux, mais n’aura pas à voter sur l’adhésion de la Turquie. Dans ce domaine, il ne peut exercer son pouvoir qu’au moment de la ratification de l’éventuel traité d’adhésion qui ne pourrait intervenir au plus tôt que bien au-delà de cette législature, dans dix ou quinze ans. Chacun le sait.

Sur le fond, il y a beaucoup d’hypocrisie qui se cache derrière ce débat. On joue bassement avec les peurs et les préjugés. Aujourd’hui, la Turquie ne remplit pas les conditions pour adhérer. Et il est vrai que l’on peut se demander pourquoi envisager d’ouvrir dès cette année les négociations d’adhésion. Mais à terme, la question sera de savoir si l'Europe est laïque, car le débat porte autant sur la nature de l'Europe que sur la nature de la Turquie. Si on considère que l’Europe est un club chrétien, alors effectivement, la Turquie n’y a pas sa place.

Mais si l'Europe est une communauté politique fondée sur des valeurs, et nous nous sommes battus pour qu’il n’y ait pas de mention de Dieu ou d’une religion dans la constitution, alors la Turquie, vis-à-vis de laquelle des engagements ont été prises, il y a quarante ans et renouvelés en 1999, aura sa place dans l’Union si elle remplit les conditions démocratiques qui lui ont été fixées. La Turquie a commencé à évoluer grâce à ce processus. Elle a aboli la peine de mort. Il lui reste beaucoup à faire pour devenir véritablement une démocratie européenne, pour respecter les droits des minorités, en particulier des Kurdes, pour que l’armée cesse de jouer un rôle politique. Elle doit reconnaître le génocide arménien, car on ne pourrait pas concevoir que l’Allemagne aujourd’hui soit membre de l’Union en disant : « La Shoah, le génocide, l’Holocauste, connais pas ! » Mais si la Turquie remplit les conditions, on ne doit pas en rajouter une au dernier moment qui consisterait à dire : « Vous avez tout rempli, mais vous êtes turcs, donc vous ne pouvez pas avoir votre place parmi nous », car cela reviendrait à construire l'Europe sur un critère ethnique ou religieux.

Il est vrai que l'Europe doit maintenant se fixer des frontières pour pouvoir s’approfondir et qu’elle ne doit plus prendre d’engagements nouveaux au-delà de ceux qui ont déjà été pris avec les pays des Balkans en particulier vis-à-vis de ses voisins. Elle doit établir avec eux des relations de coopération étroite et les aider à réaliser leur propre intégration régionale démocratique. Et je pense notamment aux pays du Maghreb ou à la communauté des États indépendants autour de la Russie et de l’Ukraine. Effectivement, nous pensons de ce point de vue qu’il y aura demain, autour de la grande Europe, un certain nombre d’autres entités que nous aiderons à se constituer pour créer ce monde multipolaire, pour créer ce monde plus équilibré. De même qu’au sein de cette grande Europe, un certain nombre de pays, à partir de ceux qui participent aujourd’hui à l’euro, devront aller de l’avant et constituer une avant-garde qui restera ouverte mais qui ira plus loin en matière de coopération sociale et aussi sans doute de politique étrangère.

Voilà, mes cherche camarades, notre projet pour l’Europe. C’est une Europe fondée sur des valeurs, c’est une Europe pour laquelle il y a une très grande attente, c’est une Europe dont nous savons que l’avenir même de notre projet de transformation sociale dépend. C’est pour cela que nous devons faire du 13 juin le grand rendez-vous de cette nouvelle Europe et des socialistes européens. Je vous remercie.

Page précédente Haut de page

PSinfo.net : retourner à l'accueil

[Les documents] [Les élections] [Les dossiers] [Les entretiens] [Rechercher] [Contacter] [Liens]