Engager concrètement
la reconquête
Congrès de Dijon - 17 mai 2003

Discours de Julien Dray, député de l'Essonne.
Tribune du Congrès de Dijon


 
Mes chers camarades,

François Mitterrand avait l’habitude de dire que la pire des erreurs n’est pas dans l’incapacité de dominer l’échec. Après la défaite du 21 avril, c’est bien la principale question qui se posait au moment d’ouvrir notre congrès. Allait-il nous permettre de surmonter notre échec, de le dominer, d’aller de l’avant, de tracer notre route ? Ou bien, puisque nous sommes friands de débats et de franches discussions, allions-nous faire de ce congrès un congrès de revanche, où les socialistes s’opposent les uns aux autres en se regardant le nombril ? Cette question, qu’allions-nous faire de notre congrès, claquait comme un défi. Et je le dis ici, parce que c’est cette angoisse qui m’a chevillé pendant l’année qui vient de s’écouler, le pire aurait pu arriver : des règlements de compte dans tous les coins, des phrases qui dépassent nos pensées, le moment des revanches internes. Rien ne nous immunisait contre cela, car nous avons tous nos caractères, nos envies et nos amertumes, moi comme vous tous.

Mais nous avons tous collectivement, et je dis bien collectivement, relevé ce défi de ne pas gâcher notre congrès. Et pour cela, il faut remercier les militants comme tous les porteurs de motions. Mes chers camarades, le pire n’est pas arrivé. Ce défi a été relevé et il est victorieux. Malgré la dureté de notre défaite, si blessante, si terrible, si humiliante, nous présentons aujourd’hui au pays tout entier un visage rassemblé, un parti qui est de retour, qui a envie de repartir au combat, un parti qui relève la tête, un parti fier de se réunir en présence de Bernard Thibault et d’accueillir en son sein dorénavant Malek Boutih.

Nous avons tous envie de repartir au combat. Nous sommes impatients, pressés de relever la tête. Si cela a été possible, c’est parce que le débat que nous avons eu entre nous a été un débat de socialistes, c’est-à-dire un débat vif, engagé, passionné, plein de rebonds et parfois, il est vrai, de quelques surprises. Et je vais vous faire une confidence ici, honnêtement ses surprises n’étaient pas toutes prévues.

Nous avons, chacun de nous, au fond de nous-mêmes, cherché et cherché, et cherché encore les causes de notre défaite. De réunions de section en réunions fédérales, les militants se sont exprimés pour dire leur peine mais aussi pour dire qu’ils ne voulaient plus avoir à subir un autre 21 avril, une défaite sans combat droite gauche au deuxième toujours, obligé d’entendre Le Pen insulter le peuple en faisant semblant de parler pour lui.

Nous sortons forts de ce congrès avant tout, parce que le débat que nous avons eu a été un vrai débat. C’est un triomphe pour notre démocratie interne, un signe de vitalité de notre parti que certains commentateurs, voués aux gémonies au soir du 21 avril, pressés qu’ils en étaient d’en finir avec ce Parti socialiste qui dérange la Cinquième République depuis qu’elle existe.

Alors maintenant, avec humilité bien sûr, mais aussi avec la satisfaction du devoir accompli, nous pouvons parler au pays. Nous sommes là, oui, la gauche est là, prête à faire ce pour quoi elle existe, c’est-à-dire représenter la grande majorité sociale du peuple. Et non, elle ne va pas passer ses années d’opposition à se diviser. Ce congrès, les socialistes n’avaient pas le droit de le rater, pas le droit de faire comme si c’était un congrès pour rien, pas le droit de l’aborder comme un remake des précédents.

Voilà pourquoi, chers camarades, dans ce moment, il n’y a ni vainqueurs ni vaincus. Il n’y a ni vainqueurs ni vaincus, car dans ce parti, il n’y a pas d’adversaires. Il y a un parti assez fort et assez grand pour débattre pendant toute une année et parvenir à se rassembler à la fin. Si cela était possible, c’est parce que chacun d’entre nous a conscience que le Parti socialiste ne nous appartient pas. Il appartient d’abord à tous ceux pour qui il a été fondé et qui réclament aujourd’hui comme hier justice sociale, réduction des inégalités, révolte contre la misère du monde qui martyrise des millions d’êtres humains qui sont nos frères sur toute la planète.

Et au regard de tous ces perdants de la mondialisation, de cette mondialisation qui pourrait être autre chose que le triomphe de ceux qui installent des dictateurs et font payer après au peuple leur libération par les bombes, nous n’avions pas le droit de gâcher notre congrès. Parce qu’eux, en France comme dans le monde, n’ont pas le temps d’attendre. Ils ont besoin de la gauche tout de suite, ils ont besoin d’une gauche forte.

C’est maintenant le moment pour nous, pour nous tous, de passer à l’étape suivante, engager concrètement la reconquête. Pour le faire, nous disposons d’un texte, nous proposons une nouvelle méthode d’action pour les socialistes. Elle est novatrice, et peut-être n’en avez tous pas pris la mesure. Je sais bien, c’est ce que j’ai entendu pendant tous les débats, que beaucoup de nos camarades ont pensé que les vingt engagements étaient une longue succession de conventions, d’assises et d’états généraux. Et ils ont raison. C’est un choix délibéré et assumé que celui qui consiste à écouter plus qu’avant, à débattre plus qu’avant, à échanger plus qu’avant. C’est un choix délibéré et assumé de rompre avec la pratique qui consiste à élaborer à quelques-uns un programme idéal, le programme idéal, qui rencontrera forcément, à la manière de la main invisible d’Adam Smith, l’adhésion des masses populaires en lutte. C’était nos illusions des années 80. C’est la leçon que nous aurions dû tirer à l’époque. C’est la réforme de notre parti que nous aurions dû faire il y a déjà dix ans.

Personne ne détient la vérité révélée. La méthode nouvelle que nous proposons, c’est celle de la démocratie permanente, car la démocratie n’est pas un supplément d’âme dans notre démarche de transformation sociale, elle en est un élément constitutif. Je reste persuadé que si nous avions fait les états généraux de la gauche plurielle en l’an 2000, nous aurions entendu plus que nous l’avions fait les souffrances générées par la précarité, la violence installée dans les quartiers ghettos, l’absence de représentation de ceux qui attendent de la République qu’elle leur donne toute leur chance. C’est par cette méthode que les idées socialistes se diffuseront dans la société et qu’ainsi, à nouveau, par leur attrait, elles exerceront une hégémonie culturelle sur toute la société.

Dans les années 80, nous savions que nos idées avaient le vent en poupe. Aujourd’hui, nous savons qu’elles sont soumises à la tyrannie de l’audimat, du « Combien ça coûte ? » de TF1. Eh oui ! Je ne pouvais pas ici les oublier. Ceci est d’autant plus vrai aujourd’hui que c’est l’extrême droite qui prétend représenter les couches populaires et même les organiser. C’est une véritable course de vitesse qui est engagée, et nous savons que son premier rendez-vous se jouera lors des élections cantonales et régionales de 2004.

Le fond de notre discours est donc essentiel pour affronter les mois qui viennent. Impossible pour nous de repartir à la reconquête sans dire clairement ce que nous voulons : construire une autre mondialisation, une véritable Europe sociale politique et démocratique, défendre et augmenter le pouvoir d’achat des salariés, les protéger de la brutalité des licenciements et de la précarité, défendre nos services publics en refusant les privatisations et en tirant les leçons de nos propres erreurs en la matière. Il fallait que le doute, et parfois le ressentiment qui s’est exprimé sur ces questions au moment de l’élection présidentielle, soit définitivement dissipé. C’est ce que je disais, et je m’en réjouis. Toutes les motions, c’est ce que nous devons faire tous ensemble maintenant.

Mais dans la course de vitesse avec le Front national, si cette clarification sur le fond était nécessaire, elle ne se suffit pas à elle-même. Notre tâche est bien plus difficile. Ce qu’il faut au Parti socialiste aujourd’hui, c’est qu’il reprenne pied parmi les siens, c’est qu’il devienne un Parti socialiste de masse, c’est-à-dire un parti populaire qui ressemble à ce qu’il défend. Cela ne se décrète pas. C’est une révolution culturelle qu’il faut que chacun d’entre nous s’applique à lui-même. C’est évidemment associer nos sympathisants à nos débats, mais c’est surtout reconstruire des sections dans les entreprises. C’est que le poing et la rose se reportent fièrement dans les quartiers populaires et dans toutes les manifestations. C’est un hebdomadaire militant qui devienne un journal populaire. Ce sont des campagnes politiques militantes avec des affiches, avec des tracts, nous obligeant à être présents sur les marchés, à la porte des entreprises, dans les quartiers populaires. Et je vais même être un peu provocateur : que si les policiers n’entrent plus dans ces quartiers, nous, les militants socialistes, nous puissions dire : « Nous y sommes. »

Voilà, mes chers camarades, ce que nous allons faire chacun en rentrant dans nos sections et nos fédérations. Construire petit à petit, avec la force de nos idées et le courage de nos militants, une grande famille socialiste sur laquelle les ouvriers, les employés, les professeurs, les jeunes et tous les autres peuvent compter. Dans les manifestations qui ont eu lieu tout au long de cette année, je parle de l’Irak, je parle de « quartiers », je parle du mouvement actuel sur les retraites, je parle aussi des grèves enseignantes et de ce que je sens arriver, c’est-à-dire de la grève générale de l'Education nationale, dans ces manifestations, j’ai vu comme vous un peuple fier d’être le peuple, conscient qu’il défendait un intérêt collectif, conscient que la droite défendait ouvertement les intérêts du patronat.

Si nous construisons ce parti de masse ancré à gauche, fidèle à ses principes et qui redevient vraie force militante, alors ces milliers de manifestants seront à nouveau en situation d’écouter et de respecter les socialistes. C’est même tout le sens du réformisme de gauche : être en lien avec le mouvement social pour être capable de lui proposer de traduire ses revendications en réformes concrètes et en réformes de progrès.

Nous essayons souvent de tirer les leçons de nos défaites, mais trop rarement les leçons de nos victoires, parce qu’en 1936, en 1981 et en 1997, c’est bien le soutien populaire que les mouvements sociaux ont donné à la gauche qui lui ont permis d’obtenir des conquêtes. Ces conquêtes, ce sont donc une interaction victorieuse entre le mouvement social et le Parti socialiste. Sans la gauche politique, la parole du mouvement social ne se transforme pas en changement concret. Nous aimons tous les manifestations, mais nous savons tous qu’elles ne se suffisent pas à elles-mêmes. Là est d’ailleurs le débat loyal que nous devons assumer avec l’extrême gauche.

Je suis bien placé ici pour parler d’Olivier Besancenot. Je n’ai aucune inquiétude face à lui et à sa bicyclette. Ou plutôt, si j’en ai une, c’est que cette belle énergie ne débouche pas sur l’inefficacité politique. C’est ça le sens du travail que nous devons faire. Alors, la tâche qui nous attend sera ardue, mais il n’existe pas de raccourci dans la reconstruction d’une dynamique unitaire à gauche.

Mes chers camarades, j’ai encore un mot à vous dire. Ce travail de reconquête que nous commençons avec ce congrès est une tâche, puisque c’est avant tout notre parti qu’il faut reconstruire et transformer en grande force populaire. C’est tous les socialistes, quelle que soit la lettre de la motion qu’ils ont signée, qui sont appelés à donner le meilleur d’eux-mêmes pour que nous réussissions. Cette grande ambition a besoin de Jean-Luc, de Vincent, d’Henri, d’Arnaud et de tous les autres. Mes chers amis, toutes les idées qui ont été défendues et proposées aux militants dans toutes les motions ont un point commun : elles ont besoin d’un Parti socialiste fort et uni pour qu’elles soient partagées par notre peuple. Alors, en avant, tous ensemble, au combat !



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