Faire naître l'espoir dans un monde plus juste !

Dominique Strauss-Kahn
Intervention de Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, lors du banquet organisé par la fédération socialiste du Val de Marne à Alfortville (Val-de-Marne) le 29 janvier 2005.


 
Mes Amis,

Je perçois comme vous tous une lueur dans la nuit. Là bas, au loin, un mouvement s'effectue. Le peuple Palestinien a parlé. Il tourne lentement la page de la deuxième Intifada. Le nouveau président Mahmoud Abbas a été élu démocratiquement par un peuple qui a faim de paix. Mahmoud Abbas a aujourd'hui la légitimité démocratique pour conduire son peuple à la paix. Il vient d'obtenir une trêve d'une partie des groupes terroristes et les armes viennent d'être prohibées des rues de Gaza.

Ariel Sharon, lui, s'est séparé, à l'occasion d'une crise ministérielle, de l'ultra-droite et fait bloc avec notre ami Shimon Péres. Il évoque une évolution historique des Palestiniens.

A travers ce double mouvement, j'entrevois le chemin étroit et précaire d'une paix salutaire. Israéliens et Palestiniens ne se tendent pas encore la main mais se reconnaissent déjà. C'est le premier pas et nous les Français, nous les Européens nous devons les aider. Si j'ai soutenu le protocole de Genève ou l'initiative de mon ami Gérard Collomb, maire de Lyon, pour la paix, c'est que je vois que cette question est l'une des clés du siècle qui commence. Un monde plus sûr passe par une paix durable au Moyen Orient. Il ne s'agit pas du rêve d'un pacifiste. Il s'agit d'un combat de socialiste.

Nous devons, sans nous substituer au chemin de la paix, créer un environnement favorable.

J'ai toujours rêvé d'un élan de solidarité mondiale comme celui qui fit honneur à notre planète après le tsunami en Asie. J'ai toujours rêvé d'un mouvement qui pourrait s'appeler " la paix là bas " et qui dans le monde entier combattrait les fauteurs de guerre et apporterait son soutien aux " fauteurs de paix ".

Le Parti socialiste doit faire la proposition à l'Internationale socialiste, au Parti socialiste européen d'accompagner la marche vers la paix.

En attendant je veux vous dire " Amis israeliens, amis palestiniens, vous tenez entre vos mains la paix du monde et nous sommes à vos cotés ".

Nous aurons besoin de cette paix au Moyen Orient car les élections qui interviendront demain en Irak, même si elles sont nécessaires, sont loin de suffire. Ce début de constituante a besoin d'un assentiment populaire. Nous verrons si c'est le cas. Mais après l'élection dans l'Autorité palestinienne, l'élection, la démocratie libre trace le chemin de la stabilité dans le monde.

Ce soir je pense, comme vous, à Florence Aubenas et Hussein Hannoun al Saadi, ainsi qu'à l'ensemble des journalistes qui se battent pour notre information libre, pilier indispensable de la démocratie.

Personne ne peut avoir intérêt à ce que seule l'armée américaine et les terroristes informent le monde. Il y a dans le courage de ces journalistes une forme d'assistance au peuple irakien que je salue.

Voilà pourquoi si nous sommes tous si attentifs à l'évolution démocratique irakienne, voilà pourquoi nous sommes solidaires de notre journaliste et de son traducteur.

Mes amis,

2005 sera donc historique pour nous Européens, 2005 sera l'année où les grands pays d'Europe voteront pour le traité constitutionnel.

Le Parti socialiste s'est prononcé, la page est tournée. Mais ce soir je voudrais tendre la main à ceux qui ont dit " non ".

Mes amis,

Je n'ignore rien de vos préventions. Je perçois vos craintes, j'apprécie vos convictions. Elles doivent être un aiguillon pour le futur traité que j'appelle de mes vœux, qui viendra après ce traité de Rome. Il sera comme je l'ai écrit à Romano Prodi, qui me le demandait, un approfondissement vers l'Europe politique. J'ai la même exigence que vous pour la construction d'une Europe politique. J'ai la même impatience pour l'Europe sociale. J'ai la même défiance face aux renoncements, aux atermoiements, aux ajournements.

Mais je vous demande de regarder avec moi plus loin. Ce but nous ne pouvons l'atteindre par une crise qui serait un renoncement mais par une continuité qui sera notre conviction.

L'Europe avance graduellement, l'Europe est une construction originale qui fera date dans l'Histoire. Elle ne peut être détruite au motif qu'elle n'est pas parfaite.

C'est la première fois, dans l'Histoire, que des peuples mettent en commun leurs principes pour forger dans la paix une identité commune. Cela ne peut se faire à marche forcée ou à la pointe de la baïonnette. Cela doit se faire dans le respect des principes, des cultures, mais cela se fait et vous êtes les acteurs de cette histoire.

Mes amis, le Parti socialiste a une grande responsabilité, il doit faire vivre le " oui " de gauche au traité constitutionnel, et il doit se rassembler.

Réfléchissez aux conséquences pour notre formation d'une victoire du " non " dans le pays. Et vous comprendrez pourquoi nous sommes sévères avec ceux qui, socialistes, veulent faire battre le Parti socialiste.

Nous ne pratiquons pas la discipline des consciences. Nous ne voulons pas un Ps godillot. Nous voulons une formation unie.

Il est inadmissible, intolérable, inacceptable que l'on tente frontalement ou insidieusement de faire battre le PS qui s'est démocratiquement déterminé.

Il n'y a pas dans mes propos je ne sais quelle volonté de caporaliser les esprits. Il y a la détermination d'une conviction simple. On ne peut participer à une entreprise d'affaiblissement du Parti socialiste. Car un faux pas pour le PS c'est un échec pour la gauche. La campagne pour le traité constitutionnel ne sera pas une promenade de santé comme le pronostiquent ceux qui nous disaient, sondages à la main, que Maastricht était gagné d'avance, Balladur élu avant d'avoir concouru et Lionel Jospin imbattable.

Non, dans notre démocratie, rien n'est acquis d'avance. C'est devenu une démocratie punitive où le contexte d'un scrutin peut peser plus que l'enjeu même du scrutin.

La droite, dans sa confusion turque, ses leaders dans leur volonté de brusquer les échéances, le gouvernement dans sa radicalisation libérale, Jacques Chirac dans ses aveuglements, tout milite pour que le peuple gronde.

A force de fermer toutes les issues. A force de refuser d'entendre la voix des urnes, à force de dédain vis-à-vis de la rue, les Français peuvent être tentés de vouloir faire " turbuler " le système.

Je voudrais leur dire, le référendum n'est pas l'heure de l'alternative à la droite. Mieux ! Pour une alternative à la droite, réussie, nous avons besoin de votre " oui " !

Le " non " ne changerait pas Chirac. Il affaiblirait l'Europe tout en compliquant la situation de la gauche ! Nous travaillons à l'alternative réaliste de gauche. Je vais en parler mais nous avons besoin pour la rendre durable d'un " oui " à l'Europe.

L'Europe a besoin de la France et avec l'Europe, la voix de la France porte. Les Français sont plus protégés, plus conquérants grâce à l'Europe.

Oui l'Europe c'est un espace de protection face au vent dérégulateur qui nous vient d'Amérique. Insuffisamment évidemment, imparfaitement assurément, mais imaginez le paysage Français sans l'Euro. Vous avez été fier de la réalisation d'Airbus, vous serez fier de l'Europe que vous laisserez à vos enfants. Notre génération aura déposé sa marque dans l'Histoire.

Je le sais, je le souhaite, les Français ne se tromperont pas de colère. Ce n'est pas l'Europe qui est responsable mais un système capitaliste sans âme et sans but. C'est sur lui qu'il faut porter le glaive de la contestation mais ne nous privons pas de notre bouclier, l'Europe.

Cette Europe, elle nous a donné la paix et c'est notre bien le plus cher.

J'évoquais, il y a encore quelques jours, le mal que l'homme fit à l'homme. L'épouvantable Shoah, cette barbarie d'un monde qui se prétendait hautement civilisé.

L'Europe n'est pas un continent sans guerre, je n'ai pas l'hypocrisie comme d'autres de croire qu'il ne s'est rien passé en ex Yougoslavie. Mais pour avoir un continent sans guerre majeure, cela nécessite pour nous, pour nos enfants, de préserver les valeurs que codifie ce traité.

Nous connaissons le mécanisme de la haine de l'autre et comment il se réveille rapidement. Nous savons comment le nationalisme jette les peuples, les uns contre les autres.

Nous percevons tous que nous n'en avons pas fini avec la xénophobie et le populisme, ils rôdent encore tapis en Europe.

Regardez la France et l'épouvantable provocation de Jean Marie Le Pen, niant la barbarie nazie en France.

Si Le Pen est revenu à son slogan d'hier " je suis la bête immonde ", c'est qu'il voulait dire au peuple de France, qu'il ne participait pas au consensus sur la Shoah. 

Toujours la vieille technique de la différenciation maximale. Plus je suis provocant, mieux je suis repéré, mieux je suis repéré plus je peux être électoralement soutenu par tous les mécontentements.

Il faut que cette pratique malsaine cesse !

Peut-on laisser faire Le Pen ? Peut-on accepter la relativisation de la Shoah ou des crimes de guerre comme argument de promotion, voire de reconnaissance dans l'espace public Français ?

Peut-on dire à juste titre que ces mots condamnent leurs auteurs à l'indignité nationale et les laisser concourir à la représentation nationale ?

Peut-on accepter une condamnation par les tribunaux et une réhabilitation perverse par les urnes ?

Dans tout autre domaine le droit de s'amender doit être reconnu et le temps doit faire son œuvre, mais pas ici. Les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles, leur promotion aussi.

Voilà pourquoi, je soutiendrai un texte visant à interdire à ceux qui seraient condamnés pour apologie de crimes contre l'humanité toute fonction représentative du peuple Français.

Il ne s'agit pas d'interdire un parti ou une prise de position. Il s'agit de rendre incompatible représentation nationale et indignité nationale... Un Le Pen, ou un autre, juridiquement condamné sur ce sujet ne pourrait être candidat à une élection. Si vous le voulez nous le ferons ! Car dans l'Europe que nous construisons, les faucheurs de mémoire n'ont pas leur place. Car si le négationnisme assassine une deuxième fois les victimes, il pave la route à d'autres déchirements.

Mes amis,

Pour les socialistes l'Europe n'est pas un supplément d'âme, elle est partie constituante de leur identité même si le socialisme ne saurait se réduire à l'Europe.

Voilà pourquoi la bataille pour l'adoption du traité constitutionnel est primordiale. C'est le destin de la France qui se joue. C'est l'avenir des Français qui se joue. C'est la conviction du Parti socialiste qui est en jeu.

Alors je mets en garde les socialistes, la question de l'heure c'est la victoire du " oui " au traité constitutionnel, la tâche pour l'heure c'est bâtir une alternative réaliste et crédible. Le reste est pour l'instant subalterne.

Nous devons bannir la confusion et la tentation. La confusion c'est un PS qui dirait " oui " et " non ", la tentation ce sont des dirigeants qui rêveraient éveillés à une autre échéance.

Je ne vois pas que les temps soient venus d'une bataille médiatique pour imposer un champion. C'est une faute de temps et on sait que ces fautes sont plus redoutables en politique qu'en grammaire. Tout le monde a le droit d'y penser, cela va de soi. Tout le monde peut s'y préparer. Mais il n'y a pas de candidat tant qu'il n'y a pas de projet, sauf à dire qu'on est prêt à être candidat avec n'importe quel projet !

Les Français sont préoccupés aujourd'hui par le chômage qui s'envole, par les salaires qui stagnent, par les logements trop rares, par l'instruction qui ne prépare pas leurs enfants, par l'insécurité civique et sociale, par le temps qui passe trop vite dans une vie qui lasse. Ils combattent et nous veulent à leurs côtés.

Ce que nous demandent les Français, c'est " le PS, pourquoi faire ? "

Pour dire " oui " au traité.
Pour construire une alternative efficace.
Pour être utile au destin de la France et au dessein de la gauche.
Et cela prend du temps... Et cela ne se fera pas sans vous !

Car la présidentielle ce n'est plus cette maxime dépassée de la rencontre d'un homme et d'un peuple. C'est aujourd'hui une ambition collective qui doit rencontrer l'assentiment des Français.

Pas de précipitation. Combattons, bâtissons une ambition collective et nous rassemblerons.

Car mes amis 2005 est pour nous aussi une année historique. Il s'agit du centenaire de la fondation de notre formation politique.

Jaurès, Guesde et bien d'autres se sont affrontés puis se sont rassemblés. S'ils ont construits une maison solide qui dure depuis un siècle, c'est qu'ils avaient ensemble un dessein celui du socialisme.

Les principes qui étaient les leurs n'ont pas besoin d'être changés. Il faut les faire vivre dans une époque qui a changé.

Voilà pourquoi notre projet doit commencer par un manifeste qui dise la modernité du socialisme.

Il n'y a pas de programme, il n'y a pas de bonne gouvernance sans le fil à plomb d'un dessein socialiste.

Notre socialisme ce n'est ni le grand soir ni l'adaptation à la mondialisation. Notre socialisme c'est celui d'une société juste.

Celle qui attaque les inégalités à la racine et vise l'égalité réelle, celle qui défend une liberté ordonnée, celle qui déploie une fraternité laïque. Les grands chantiers sont les grandes demandes des Français. Il ne s'agit pas de rivaliser en propositions mais de promouvoir une cohérence de dessein.

Ce qui me frappe c'est que nous avons en cours de route oublié même pour les plus radicaux d'entre nous de reparler du socialisme. Comme s'il était mort sous les décombres du Mur de Berlin. Mais non mes amis, il s'est libéré !

Je souhaite qu'on réfléchisse à nouveau à ce qu'est le socialisme. Comme je souhaite que nous ayons le parti pris du salariat. Le salariat produit, il créé, alors que la rente profite. Nous ne voulons ni une société d'actionnaires à la Bush et Berlusconi, ni une société en miettes à la Sarkozy. Nous voulons une société juste organisée autour d'un salariat justement défendu.

Aujourd'hui, non seulement le chômage explose mais les salaires sont bloqués, non seulement la créativité et la recherche sont en panne mais les salariés sont précarisés.

Il faut au contraire sécuriser les parcours professionnels. Il faut changer les priorités de la politique du logement. Il faut élargir la protection sanitaire et sociale.

Nous avons besoin d'un projet qui redonne l'enthousiasme aux Français de construire la France. Evidemment il faut, face au marasme actuel, soutenir la consommation, promouvoir une politique active de l'emploi, construire une politique industrielle offensive et globale.

Mais ceci dans un but, celui d'une société juste qui réduira les inégalités, fera de l'éducation la richesse commune, et donnera repères pour vivre ensemble.

C'est à cela que le projet doit répondre.

Je n'aborde ce débat sur le projet ni avec l'attitude de celui qui sait, ni avec l'attitude de celui qui pense ce que pensent les gens. Je n'ai d'autres ambitions que d'être utile dans ce débat et en première ligne dans ce combat.

Et c'est bien un combat car le pays a besoin de retrouver la confiance, il ne peut la reconquérir que par une alternative claire.

Lorsque je vois le Président de la République multiplier les promesses aux mouvements sociaux et son ministre de la fonction publique leur dire qu'il n'en est pas question ; lorsque je vois le Président de la République promettre la baisse des impôts et son ministre des finances fournir à Bruxelles un budget qui ne le prévoit pas ; lorsque je vois le gouvernement se désengager, se délester des actions publiques en les confiant régions tout en refusant de transférer les moyens correspondants ; je n'ai pas simplement honte pour l'action publique. Je me dis, ils n'ont pas compris le 21 avril 2002.

Oui, nous avons une responsabilité immense, nous, socialiste, celle de rendre crédible l'alternative à la droite pour ne pas désespérer la France et réhabiliter l'esprit public pour ne pas désespérer les Français.

Faire naître l'espoir dans un monde plus juste, ce sera notre façon d'être fidèle à la naissance du socialisme.

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