Une alternative partagée par toute la gauche

Dominique Strauss-Kahn
par Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise
Entretien accordé au quotidien Le Parisien daté du 27 juin 2003
Propos recueillis par Dominique de Montvalon et Frédéric Gerschel


 

Le 21 avril au soir, vous avez été le premier homme de gauche à dire : « Je vote Chirac. » Jugez-vous le chef de l'Etat, depuis, à la hauteur du défi républicain ?
Ce qui me frappe aujourd'hui, c'est qu'il ne dit plus rien. Peu de choses sur l'Irak, rien sur les retraites ni sur l'assurance maladie, encore moins sur les déficits qui se creusent, sur l'Europe ou la laïcité. Et sur la Corse, il parle si tard... Où est passé le président de la République ? Je trouve Jacques Chirac aussi absent que pendant la cohabitation, mais nous ne sommes plus en cohabitation. Une intervention télévisée une fois par an, le 14 juillet, ne saurait suffire à conduire un pays. Ce n'est pas ma conception de la fonction présidentielle. A fortiori quand il a été élu dans les conditions que l'on sait, le chef de l'Etat a une responsabilité particulière. Il est le président de tous les Français : il se doit de s'engager devant eux pour répondre à leurs attentes, à leurs préoccupations. Pourtant, c'est bien lui qui fixe au gouvernement ses objectifs... Prenez un sujet aussi important que les retraites. L'a-t-on entendu ? Il donne l'impression d'un évitement.

Quelle note donnez-vous au projet Raffarin-Fillon ?
Une note satisfaisante pour la volonté de traiter le problème, comme Lionel Jospin et Jacques Chirac s'y étaient d'ailleurs tous les deux engagés. Une note médiocre sur le terrain de la négociation : heureusement qu'il y a eu l'action syndicale pour arracher des améliorations sur les petites retraites, par exemple ! Et une note nulle sur la recherche d'un consensus politique.

Le congrès de Dijon, dominé par la présence du leader de la CGT, Bernard Thibault, ne s'est pas déroulé dans une ambiance très sociale démocrate...
Moi, j'en reste au vote des militants du Parti socialiste. Ils se sont majoritairement prononcés pour le réformisme de gauche.

Vous dites que Chirac se tait mais Raffarin, lui, parle...
Ça oui, il parle ! Mais, au bout d'un an, on commence à mesurer les limites d'une stratégie de pure communication. Les difficultés s'amoncellent - au premier rang desquelles le chômage. Et les « raffarinades », elles ne me font plus rire.

Certains, à gauche, osent une comparaison : ce serait un « Thatcher mou »...
Pour ma part, je n'aime ni Thatcher, ni le mou ! On dit que la droite revient... Avait-elle totalement disparu ? La droite est la droite, ce qui est normal. Elle retrouve sa dimension spontanément brutale. Et aussi son art du spectacle : on arrête José Bové spectaculairement (avant qu'il ne soit probablement relâché tout aussi spectaculairement) ; on arrête à grand fracas des Moujahidin du peuple à Auvers-sur-Oise, mais le maire n'est prévenu qu'après les médias. Drôle de manière d'organiser l'action publique !

Vous maintenez votre idée d'un grand parti qui rassemblerait toute la gauche ?
Oui. Dès juillet 2002, j'ai ouvert la perspective d'un parti de toute la gauche. Ma conviction, c'est que, sans union, il n'y aura pas d'alternative possible. Mon analyse, c'est que les divergences historiques entre les formations de la gauche ont été largement gommées par l'histoire et les autres résorbées par la pratique du gouvernement Jospin. Mon intuition, enfin, c'est que, face à l'UMP formellement unie et à Jacques Chirac, il faudra présenter une alternative partagée par toute la gauche et un candidat capable de l'incarner.

Depuis Dijon, François Hollande et Laurent Fabius se querellent, dit-on...
N'exagérons rien !... Mais il me semble excessif de s'engager dès maintenant dans la présidentielle de 2007. Cela attise des rivalités dont le PS n'a pas besoin. Et puis en 2007, ce qui sera décisif, c'est le projet, la vision, l'alternative. Celui qui sera le mieux à même de marier l'idéal de justice de la gauche et la réalité de la France du XXIe siècle sera celui qui, le jour venu, nous représentera.

Pensez-vous pouvoir être l'homme d'un vrai projet réformiste ?
La richesse du PS, c'est de compter de nombreux talents. Mon engagement, c'est de contribuer au renouveau de la social-démocratie en France et, au-delà, en Europe.

Michel Rocard, Jacques Delors, Tony Blair, Gerhard Schröder, ce sont, pour vous, des références ?
Tous m'intéressent, comme m'intéresse Lionel Jospin. Tous ont un parcours illustre. Tous ont porté, chacun à sa manière, une forme d'évolution de la gauche.

Pourtant, Delors, Rocard, Badinter paraissent carrément boudés par le PS. Ils seraient trop âgés ?
Tous les trois, comme Pierre Mauroy, sont de formidables figures de la gauche. On peut être d'accord ou pas avec telle ou telle de leurs prises de position, mais la gauche perdrait beaucoup si elle oubliait de les écouter. Michel Rocard a la caractéristique de dire ce qu'il pense. La gauche, à l'occasion, ferait bien de penser à ce qu'il dit.

Dites-vous « Bravo Giscard » ?
Elaborer un projet de Constitution européenne, c'est une performance. Ce n'était pas gagné d'avance. Sur beaucoup de points, l'Europe progresse. Il n'y a aucun recul, même s'il y a des manques que je regrette. Les Français doivent se rendre compte que l'exercice est l'équivalent de ce qui s'était joué à Philadelphie et qui est à l'origine de la Constitution américaine. J'attends maintenant de voir ce que les gouvernements vont faire de ce texte.

Faudra-t-il en passer par un référendum ?
Oui, car l'enjeu est historique.

Faut-il légiférer sur le voile ?
C'est là un des grands problèmes des années qui viennent. Contre les intégrismes, il ne faudra pas faire preuve de la moindre faiblesse. Mais faut-il se précipiter ? Je soutiens la proposition de Jean-Marc Ayrault, notre président de groupe : la création au Parlement d'une commission bipartisane gauche-droite pour examiner les conditions de lutte contre la montée des intégrismes religieux.

Beaucoup disent de vous que vous êtes très intelligent, mais que vous manquez de constance, sinon de détermination...
Dites-leur qu'une détermination sans intelligence aurait peu de chances de construire demain une alternative.

© Copyright Le Parisien


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