Traité constitutionnel européen
Oui aux avancées du traité

Dominique Strauss-Kahn



Entretien avec Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, paru dans le quotidien Ouest France daté du 4 mai 2005
Propos recueillis par Jean-Yves Boulic
 

Quel est l'argument du « oui » qui a le plus d'impact sur le « terrain » ?
Pour moi il n'y a pas qu'un seul argument, il y en a 84. Ce sont les 84 nouveaux articles qui vont dans le sens souhaité par les Français : une Europe plus sociale, plus démocratique, plus respectueuse des droits de l'homme... En revanche, les aspects du texte que certains critiquent, c'est-à-dire les 400 articles restants, nous les conserverons puisqu'ils ont déjà été adoptés dans le passé, et cela même si le « non » l'emporte. Si bien qu'il y a un formidable paradoxe chez les partisans du « non » quand ils nous demandent de rejeter ce texte : si on le fait, on rejette le bon et on garde le moins bon !

Les partisans du « oui » accusent souvent de « mensonges » les partisans du « non » : quels mensonges ?
Ils leur reprochent, d'une part, d'agiter comme un épouvantail certains points négatifs du traité sans dire que ce sont précisément les dispositions dont on ne se débarrassera pas en votant « non » ; d'autre part, d'avancer des affirmations ou des interprétations complètement fausses, par exemple sur l'interdiction de l'avortement, le rejet de la laïcité, l'inféodation à l'Otan ou encore le caractère irréversible et définitif de ce traité.

Là, il y a du vrai : de fait, ce texte est presque impossible à réviser...
Il faut l'unanimité, c'est vrai. Mais je vous rappelle que nous avons su trouver l'unanimité pour Maastricht en 1992, Amsterdam en 1997, Nice en 2000 et ce traité aujourd'hui. Il n'y a rien de nouveau à ce sujet. C'est pourtant le quatrième traité en treize ans. J'ajoute qu'en instituant une procédure de révision qui desserre les pesanteurs diplomatiques, et en permettant à un petit groupe de pays d'aller de l'avant, ce traité comporte malgré tout des avancées.

En tout cas, ce n'est pas une constitution évolutive, à la française...
Mais l'Union européenne n'est pas un pays comme la France ! Et le traité constitutionnel n'est pas vraiment une constitution. On l'appelle ainsi parce qu'il touche à des questions d'organisation des institutions, mais c'est un traité international entre des États qui le ratifient chacun dans leur coin. Je vais même plus loin : heureusement que le traité constitutionnel nécessite l'unanimité. Prenez l'exception culturelle : les Français, qui y sont très attachés, ont obtenu qu'elle continue à être garantie. Imaginez maintenant que, une fois le traité adopté, 90 % des pays puissent décider de la supprimer. Nous, Français, trouverions cela inacceptable. Et nous aurions raison ! L'unanimité nous protège. Nous n'avons pas, du moins pour l'instant, un peuple européen. Par conséquent aucun pays n'est prêt à accepter, parce qu'il est minoritaire, la loi de la majorité sur ce qui constitue le fondement même de notre organisation commune. Je reconnais donc qu'il n'y a pas, dans ce traité, des « amendements » aussi faciles à faire que dans la Constitution française ou américaine. Mais, moi je n'engagerais pas la France sur un traité où une majorité d'États pourrait changer les conditions dudit traité contre notre volonté.

En revanche, les partisans du « non » ne mentent pas quand ils mettent en exergue un système concurrentiel généralisé entre les salariés, les entreprises, les protections sociales, les systèmes fiscaux ?
Ils ont raison de dire que c'est la façon dont l'Europe s'est construite jusqu'à présent : nous avons construit un grand marché, mis en place une monnaie unique, bref commencé par l'économie. Là où ils ont tort, c'est de prétendre que c'est ce traité qui instaure cette fameuse « concurrence libre et non faussée » que l'on brandit comme la preuve ultime du caractère libéral de ce traité. Or, cette formule apparaît pour la première fois dans le traité de Rome, en 1957 !

Certains partisans du « non » sont persuadés que si le « oui » l'emporte, la Commission européenne ressortira du placard la fameuse directive Bolkestein et quelques autres...
C'est possible, mais si le « non » l'emporte aussi, car les directives de cette nature dépendent de la politique de la Commission, nettement marquée à droite, et qui ne changera pas de politique en fonction du vote français. La Commission n'a certainement pas renoncé, mais il ne faut pas faire croire que le fait de voter « non » va changer quoi que ce soit. Pour l'avenir immédiat, ce qui compte, c'est notre capacité à nous mobiliser de nouveau contre cette directive. Et pour l'avenir plus lointain, le traité constitutionnel rend plus difficile ce type de directives en donnant plus de pouvoir au Parlement européen.

Parmi les plus réfractaires au « oui » figurent les agriculteurs. Vous comprenez pourquoi ?
Je comprends que les agriculteurs soient inquiets de leur avenir, mais je ne comprendrais pas qu'ils votent « non ». S'il y a une catégorie de la population qui a bénéficié de la construction européenne, c'est quand même bien nos agriculteurs. La Politique agricole commune (Pac), qui représente 40 % du budget communautaire, est contestée tous les jours à Bruxelles. Qu'est-ce qui permet cependant de tenir bon ? Le poids de la France, grand pays fondateur de l'Union. Si notre influence politique s'amenuise, je ne donne pas cher de la Pac, pas plus que de nos intérêts en général, dans les années qui viennent. Les agriculteurs devraient être ceux qui votent à deux mains pour ce traité.

Pourquoi les socialistes qui ont accepté tous les traités européens jusqu'à présent se cabrent-ils à ce point contre celui-ci ?
Après un long débat, les militants socialistes ont voté, à près de 60 %, en faveur de ce traité. Une partie de ceux qui ont demandé ce référendum interne, qui ont été battus, ont choisi de faire cavalier seul. Ils ont ainsi donné un semblant de légitimité à une position pourtant contraire à celle, traditionnelle, de la gauche. Mais, à mesure que l'explication progresse, les socialistes français se rendent compte, comme tous les autres socialistes européens l'ont déjà fait, que ce traité va dans le sens de la construction européenne qu'ils peuvent souhaiter. Pas aussi loin qu'ils le voudraient, mais nous sommes en marche, l'Europe ne s'arrête pas avec ce traité. Après lui, il y en aura un autre et puis encore un autre.

D'autres traités dites-vous ?
Oui, on fait un traité tous les cinq ans. Mais si on casse la machine, nous allons perdre du temps avant de la remettre en marche. Si le « oui » l'emporte, nous devrions avoir un autre traité aux alentours de 2010, sur les questions sociales et peut-être environnementales.

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