La France n'a toujours pas réglé son problème de banlieues | |
Entretien avec Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, diffusé sur l'antenne de RTL daté du 7 novembre 2005 Propos recueillis par Jean-Michel Apathie |
11ème nuit d'émeutes dans les banlieues françaises, hier soir : des incendies, des policiers blessés. On dit même à Colombes, dans les Hauts-de-Seine, c'est un bébé de 13 mois qui a été blessé à la tête. Il était dans un bus qui a été la cible de jets de pierres. Vous êtes un élu de la banlieue parisienne, Dominique Strauss-Kahn : êtes-vous surpris par cette flambée de violence ?Et je crois qu'il faut souligner cela, même s'il se pourrait qu'il y ait eu quelques bavures : on verra ce qu'il en est, la justice le dira pour ce qui est de la mosquée de Clichy-sous-Bois où le premier ministre serait bien inspiré de se rendre car il est intolérable pour une bonne partie des habitants de la banlieue, ceux qui sont musulmans, de voir que s'il s'était agi d'une église ou d'une synagogue, sans doute un déplacement en masse d'un responsable politique aurait eu lieu. Peut-être aussi davantage de prise de paroles parce que, finalement, on n'a pas entendu grand monde après cet incident dans la mosquée.Et de ce côté-là, donc, ce qu'a dit Jacques Chirac hier soir, vous l'approuvez : " un préalable, une priorité " a dit le chef de l'Etat " le rétablissement de la sécurité de l'ordre public ".Mais il y a une autre conséquence : c'est le risque dans lequel nous sommes, au lendemain de ces émeutes, c'est que cela atteigne tous les jeunes de banlieues, et peut-être tous les habitants de la banlieue qui sont déjà l'objet de discrimination. Et on va voir à cause de ces événements-là, même s'ils ne sont le fait que d'une minorité on va voir croître le risque de voir ces personnes discriminées, maintenues à l'écart, notamment en matière d'emplois, et donc aggraver le cycle dans lequel nous sommes. Et il faudra y veiller avec beaucoup d'attention. Pourquoi disiez-vous votre insatisfaction après l'intervention du chef de l'Etat ? Vous l'avez réclamée : il a dit ce qu'il a dit, hier soir, et cela ne suffit pas ?Et, dans ces cas-là, il y a toute une frange de la population qui était à la limite, qui trouvait des petits boulots, et qui bascule dans une situation dans laquelle il n'y a plus d'espoir. Et moi, je crois qu'on sous-estime beaucoup la souffrance des populations noires et maghrébines dans les banlieues, et je n'ai pas ressenti, de ce point de vue, que le président de la république y était suffisamment sensible. Mais, au fond, tout le monde en est responsable. Cela fait 25 ans de politique de banlieues et on se rend compte aujourd'hui, après avoir mis beaucoup d'argent dans ces lieux-là, que peu de problèmes ont été résolus. On se trompe, Dominique Strauss-Kahn ?Maintenant, que la politique menée pour sortir les banlieues dans lesquelles elles sont, depuis 25 ou 30 ans, n'ait pas été suffisante et que tout le monde y ait sa part, j'en suis d'accord. Il n'y a pas que la politique, d'ailleurs : il y a aussi le rôle de la famille sur lequel il est difficile d'influer. On voit bien qu'elles ne jouent plus suffisamment leur rôle. Et même les formes de remplacement de la famille, comme les grands frères, qui jouaient beaucoup leur rôle il n'y a encore pas si longtemps, aujourd'hui ne sont plus trop au rendez-vous. Mais, honnêtement : moi je veux que tout le monde en prenne sa part mais, aujourd'hui, il faut bien faire un constat. La politique qui a été menée depuis 3 ans a aggravé les choses. Quand nous avons quitté le pouvoir, j'étais parmi ceux qui disaient que nous avions été hémiplégiques : c'est-à-dire qu'on s'était trop occupé exclusivement de la prévention, et pas assez de la répression. Et je critiquais le gouvernement qui se mettait en place celui de monsieur Raffarin d'être hémiplégique dans l'autre sens : tout sur la répression et presque plus rien sur la prévention. Et c'est bien malheureusement ce qui s'est passé : tout ce qui est crédit aux associations, aides dans les quartiers, etc. Tout cela a été sabré, et un certain nombre de politiques qui étaient à l'œuvre comme " les grands projets de ville " ont été cassées pour être remplacées par d'autres procédures sauf, qu'entre temps, on perd 2 ans et que, pendant ces 2 ans il ne se passe rien. Donc ça : il y avait une sorte, malheureusement, de symétrie. La réalité qui est grave c'est qu'aujourd'hui, même la sécurité ce sur quoi le gouvernement mettait l'accent n'est pas au rendez-vous. Moi, à Sarcelles, je suis effectivement le président d'une communauté de 4 villes autour de Sarcelles. Il y a moins de policiers, aujourd'hui, qu'il y en avait en 2002. Et, par ailleurs, la police de proximité a disparu, remplacée parfois par des C.R.S qui sont totalement inadaptés à ce genre de guérilla urbaine. Et donc, même sur ce sujet-là qui était celui sur lequel le gouvernement avait fait des rodomontades, on n'a pas les résultats et là, même, on le sait, par des déclarations parfois hasardeuses, un peu provocantes, attiser la haine. " Quand on tire sur un policier à balles réelles, c'est qu'on est un voyou ". C'est ce que disait Nicolas Sarkozy, hier. Ce n'est pas vrai ? Vous partagez ce sentiment ?C'est ce qu'il a dit aussi : donc, vous êtes d'accord. Le rôle de Nicolas Sarkozy a beaucoup été critiqué, ces derniers jours. Certains, à gauche, demandaient même sa démission. Comment jugez-vous son attitude ?Pensez-vous que cette crise va durer encore longtemps, Dominique Strauss-Kahn ?Et alors, quelles conséquences devraient-il en tirer ?Regardez le problème des assureurs. Nicolas Sarkozy a été tout à fait capable de réunir les banquiers dans son bureau, quand il s'agissait des prix. Il faut qu'il réunisse aujourd'hui les assureurs parce que, les victimes qui ont vu leur voiture brûler, elles, le problème qu'elles ont demain matin, c'est d'être capables d'avoir de nouveau une voiture et, pour beaucoup d'entre eux, ce sont des sommes considérables par rapport à leur vie, qui sont engagées. Pensez-vous que cette crise des banlieues va encore durer longtemps ?Dans l'est du Val-d'Oise, il y a 600 enfants qui sont considérés comme ayant besoin des soins d'un pédopsychiatre. Là-dessus, il y a la moitié des parents qui sont d'accord pour le faire, l'autre moitié qui refuse. Mais quand ils demandent un rendez-vous, il faut, dans l'est de mon département, 2 ans pour obtenir ce rendez-vous. Et, dans ces conditions, on voit bien que les services publics de base ceux qui doivent être rendus à la population ne sont pas là. Si bien que l'ordre : oui. D'abord, l'ordre. Mais derrière, derrière, l'ensemble de ce qui doit être fourni aux habitants dans les cités. Et, pendant ce temps-là, le parti socialiste prépare son congrès. On en parlera une autre fois, Dominique Strauss-Kahn. Vous étiez l'invité de RTL. |
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