Directive Bolkestein
Retrait immédiat de la circulaire européenne sur les services !

Dominique Strauss-Kahn



Point de vue signé par Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, paru dans le quotidien L'Humanité daté du 21 janvier 2005


 
Mon engagement européen est clair. Je veux l'Europe du progrès social, l'Europe du progrès économique, l'Europe du progrès démocratique. Je suis toujours prêt à soutenir tout pas en ce sens mais lorsque l'Europe est à contresens, je suis le premier à dire non.

C'est le cas aujourd'hui avec le projet de directive " services ", initié par le très libéral Commissaire Frits Bolkenstein. Avec bien d'autres, la confédération européenne des syndicats, l'association européenne des régions, et avec de nombreuses associations citoyennes, je veux marquer ma distance.

De quoi s'agit-il ? Les services sont à l'origine de près de 70 % de nos emplois et de la création de richesse de l'Union. Des réserves d'emplois importantes, notamment dans les services à la personne et d'utilité sociale, peuvent y être mobilisées. Une grande partie de notre compétitivité internationale dépend de ce secteur. Il n'est donc pas anormal que l'Europe s'en occupe.

Mais ici on nous propose un nivellement par le bas, qui porte atteinte aux objectifs proclamés dans le protocole social initié à Lisbonne, et ceux avancés dans le Traité constitutionnel. Rien n'impose de se précipiter dans cette voie.

La première faute concerne le droit d'établissement des entreprises européennes. Ce droit est légitime si l'on veut créer l'Europe économique : une entreprise allemande doit pouvoir s'implanter en France dans les mêmes conditions qu'une entreprise française, sans discrimination. Il est déjà reconnu dans les traités européens et largement mis en œuvre. Mais la directive en donne une version radicale : toute réglementation, même non discriminatoire, devient suspecte si elle gêne l'implantation d'une entreprise européenne. On passe ainsi de la non-discrimination à une libéralisation radicale fondée sur la déréglementation.

La deuxième faute concerne la circulation des prestataires de services. La libre-circulation est là aussi légitime si l'on veut l'Europe économique : une entreprise polonaise doit pouvoir fournir ses services en France, sans protectionnisme. Mais pour la réaliser, la directive pose un nouveau principe : le principe du pays d'origine. En vertu de ce principe, le prestataire de services est soumis à la loi du pays dans lequel il est établi, et non à celle du pays dans lequel il rend sa prestation. Exemple : je suis une entreprise de nettoyage lettonne ; à la demande d'un client français, j'interviens sur un chantier en France, je travaille aux conditions lettonnes. Ce principe est fondamentalement vicié : il pose comme moteur de l'intégration européenne la concurrence réglementaire et sociale... La concurrence par le dumping. On imagine déjà comment certaines entreprises auront intérêt à embaucher sous pavillon de complaisance des salariés provenant de pays aux conditions salariales et sociales avantageuses pour eux. Il est bien sûr nécessaire que l'Europe trouve une harmonisation vers le haut. Mais ici, c'est le contraire : je dis non.

La troisième faute concerne le champ d'application de la directive. Il est global et couvre tous les services. Non seulement les services marchands mais aussi, dans une certaine mesure, certains services publics, comme la santé, la culture, le logement.

Libéralisation sauvage, concurrence réglementaire, extension aux services publics : tels sont les trois problèmes fondamentaux que pose cette directive. Certes de nombreux services publics sont exclus du champ de la directive : services régaliens et services publics en réseaux comme la poste, la distribution d'eau, l'électricité. Evidemment on nous dit que la directive prévoit des dérogations au principe de libéralisation. Mais fondamentalement, quelles que soient les précautions de mise en œuvre, les principes au cœur de la directive ne sont pas acceptables. C'est pourquoi je m'adresse au Président de la République : " Il faut retirer la directive des services ", un nouveau projet doit être élaboré sur de nouvelles bases. Quels en seraient les contours ? Tout d'abord, la liberté d'établissement doit reposer sur la non-discrimination, et pas la déréglementation. Ensuite, la directive doit être fondée sur l'harmonisation, et non la concurrence réglementaire. Une bataille politique similaire a eu lieu sur la TVA dans les années 90. La Commission européenne souhaitait le passage à la taxation dans le pays d'origine : une voiture allemande achetée par un Français aurait subi la TVA de l'Allemagne, et non plus de la France. C'était la porte ouverte à la concurrence fiscale : les consommateurs se seraient rués vers les pays où la TVA est la plus basse. Cette logique avait été repoussée par les gouvernements de l'époque ; elle doit l'être à nouveau aujourd'hui. Enfin, les services publics n'ont rien à faire dans cette directive : ils relèvent d'une loi-cadre spécifique, que la gauche européenne demande depuis de nombreuses années et que le nouveau traité de Rome, dit " Traité constitutionnel " évoque.

Il y a urgence. La France doit s'opposer à la directive " services ". En 1998, avec Lionel Jospin, j'avais demandé et obtenu de nos partenaires une suspension puis un abandon de la négociation de " l'accord multilatéral sur l'investissement " (AMI) engagée à l'OCDE par MM. Chirac et Juppé. Aujourd'hui, il faut exiger du gouvernement français le même résultat pour le projet de directive " services ". Si c'est à Jacques Chirac de le faire, c'est à la gauche toute entière de l'imposer !
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