Congrès de Brest
Discours de Dominique Strauss-Kahn
samedi 22 novembre 1997

Dominique Strauss-Kahn


 
Il y a quelques jours, nous avons célébré à Grenoble la mémoire de Pierre Mendès France, à l'occasion du quinzième anniversaire de sa disparition. Pour nous tous, il fut un homme de courage, un homme de droiture, un homme de rigueur ; et personne, ici, ne dira que ses idées et ses méthodes ne nous servent pas encore de référence. Il y a un sujet pour lequel il a eu, tout au long de sa vie, une attraction particulière et qui a donné lieu à l'un de ses plus beaux discours - beaucoup s'en souviennent ou l'ont lu - : c'est le Discours à la jeunesse. Il disait : " un régime ne mérite d'exister et de durer, que s'il est capable de construire l'avenir, que s'il répond aux besoins des générations qui montent ". A notre tour, nous avons, parmi d'autres défis, celui-là à relever. Et, honnêtement, vis-à-vis de la jeunesse, la gauche vient de loin.

En 1993, la gauche s'identifiait au pouvoir ; pire, à l'ordre établi ; pire encore, à l'ordre accepté. Et la jeunesse - qui est sans doute plus exigeante - se détournait de nous davantage encore que les autres catégories. En 1995, l'élection présidentielle a marqué un premier redressement. Mais, 1993 était encore trop proche, et Jacques Chirac a réussi à reconquérir, et peut-être à abuser, une partie de notre jeunesse, quitte, d'ailleurs, à en payer le prix plus tard. Aujourd'hui, on le voit, la jeunesse fait majoritairement confiance à la gauche pour tout ce qui constitue le cœur de notre action et de nos valeurs : lutter contre l'exclusion, promouvoir les libertés, maintenir les avantages sociaux, et surtout, créer des emplois.

Le climat est donc bel et bien en train de changer mais il en faut davantage pour ancrer véritablement la jeunesse à nos côtés.

I - Pourquoi la jeunesse ?

Certains diront : " nul ne se définit seulement, ni même peut-être d'abord, par son âge ". Et c'est vrai. Certains diront : " la jeunesse n'est pas une qualité mais un état transitoire ". Et c'est vrai. Certains diront : " rien n'est pire que cette mode qui veut qu'un jeune ait raison pour la seule raison qu'il est jeune ". Et c'est vrai également.

Il n'empêche que, dans notre pays, aujourd'hui, la jeunesse est, plus que tout autre catégorie de la population, touchée par les difficultés quotidiennes: par le travail trop rare, par le contrat trop court, par le logement trop cher, par la société trop dure, par l'avenir trop opaque, par cette impossibilité à se projeter à dix ans, à cinq ans, parfois même à quelques mois, alors même que cette capacité à se projeter dans le futur est à l'origine de tant de mobilisations. C'est pourquoi il est de notre responsabilité de dissiper ce malaise.

Et, au cours de ces dernières années, on ne peut vraiment pas dire que la droite ait agi en ce sens. Tout, ou presque tout, dans la politique qui a été menée, ou dans les réformes qui ont été engagées par les gouvernements conservateurs, est venu renforcer cette inquiétude et cette obstruction de l'avenir. La priorité à l'éducation ? Abandonnée ! Le SMIC-jeunes ? Proposé! Le droit du sol ? Renié ! Les contrôles au faciès ? Multipliés ! Les dix millions de questionnaires sur les jeunes ? Ridiculisés !

Lionel Jospin a refusé cette démagogie parce que, d'abord et avant tout, je crois qu'il a redonné une sorte de noblesse à la politique, avec une autre pratique du pouvoir et puis, il a fait en sorte que dans les choix du gouvernement, ce soit le politique qui retrouve la primauté.

II - C'est par là
que commence la reconquête

La reconquête repose d'abord sur une pratique.

Une pratique qui privilégie la concertation, l'écoute, la négociation. Vous me direz que cela peut intéresser, attirer, séduire, toute la population. Oui. Sauf que les jeunes sont, je crois, plus sensibles à ce que doit être la beauté, la noblesse de la politique. Et, donc, une politique plus transparente est aussi un message à la jeunesse.

Bien sûr, il y en a eu d'autres. Il y a aussi le renouvellement. Le renouvellement, nous l'avons opéré dans les candidatures aux élections législatives ; nous voyons aujourd'hui sa traduction dans le groupe parlementaire dans lequel les femmes et les jeunes sont bien plus présents qu'ils ne l'étaient auparavant.

La pratique nouvelle comprend aussi cette diversité qui se traduit par la gauche plurielle. Cette gauche plurielle - je le dis devant Robert Hue dont je salue avec plaisir la présence : il est Val-d'Oisien, comme moi, c'est donc presque un pays ! - je suis convaincu qu'elle est aussi un moyen de montrer à la jeunesse que, même si nous avons des divergences avec nos partenaires, nous avons une telle volonté de transformer les choses ensemble que l'horizon s'en trouve éclairci.

Bien sûr, au-delà de la pratique, il y a la politique, il y a même surtout la politique.
Et, ce que je voudrais vous montrer, c'est que beaucoup de ce que nous avons fait était une politique pour la jeunesse.

D'abord, les 350 000 emplois dans le secteur public et associatif. Quand j'avais proposée cette idée, il y a de cela un peu plus d'un an, beaucoup l'ont trouvé baroque et certains disaient : " c'est peut-être une bonne idée électorale - et encore ! - mais on ne pourra jamais la mettre en œuvre ". Vous avez adopté cette proposition, à Noisy-le-Grand, lors de notre convention sur les propositions économiques et sociales. J'ai signé, hier, à Sarcelles, la création de cent emplois dans ma ville et, ailleurs, d'autres jeunes commencent par milliers à trouver le travail que nous avons voulu leur donner, pour répondre au fléau du chômage bien sûr, mais aussi pour une question morale : nous ne pouvons accepter une société qui laisse les jeunes entrer dans la vie adulte sans avoir jamais rien connu d'autre que le chômage. Aujourd'hui, l'engagement que vous avez pris, nous l'avons tenu !

De même, l'inscription automatique sur les listes électorales, pour empêcher que ne se reproduise ce que nous avons vécu à l'occasion de la dissolution, le scandale des centaines de milliers de jeunes pris par surprise et interdits de droit de vote. Cette réforme, vous l'avez défendue, nous l'avons votée !

Et puis, on pourrait continuer. La réforme du code la nationalité, par exemple, pour favoriser l'intégration dans la République au lieu de laisser peser une menace et s'installer l'instabilité. Permettre à un jeune né en France de demander dès treize ans, la nationalité française mais aussi, cela n'a pas été suffisamment souligné, créer une carte d'identité républicaine qui donnera un statut à tous les jeunes nés en France. Cette avancée républicaine, vous l'avez voulue, le gouvernement et le groupe socialiste l'ont élaborée ensemble, nous allons l'adopter !

C'est beaucoup de chemin déjà parcouru ensemble. On le doit évidemment au travail du parti, de ses militants, de ses élus. On le doit aussi beaucoup à la volonté de Lionel Jospin qui - allez, avouons-le, il ne faut pas gâcher son plaisir - nous a redonné notre fierté de socialistes, notre fierté de femmes et d'hommes de gauche. Nous savons tous ici lui en être gré et, surtout, nous lui savons gré d'être resté lui-même, dans l'exercice de ses fonctions. Lionel, c'est à la fois un militant et un homme d'Etat ; un homme d'Etat qui reste un militant, et c'est sans doute aussi cela qui fait qu'il occupe une place à part parmi les responsables politiques français.

III - Et l'avenir ? Quels choix pour promouvoir une politique de la jeunesse ?

Il y a urgence : il y a des mesures immédiates à prendre. Ce que l'on a fait n'est rien à côté de ce qui reste à faire. Pour moi, il y a trois grandes orientations, qui rejoignent très largement le cœur de notre projet et qui sont très directement des orientations qui doivent toucher la jeunesse : la poursuite de l'aventure européenne ; le développement des nouvelles technologies ; la mise de l'économie au service de la jeunesse.

L'aventure européenne, cela veut d'abord dire " faire l'euro " et " réussir " l'euro. C'est maintenant une certitude et cette certitude est un grand changement. Il y a un, il y a même six mois, beaucoup doutaient de ce que la monnaie unique soit au rendez-vous en temps et en heure. Plus personne n'en doute, et ce rendez-vous, moi je l'aborde avec beaucoup d'enthousiasme. C'est une formidable ambition que de construire quelque chose qui n'a jamais existé dans notre histoire. Je crois davantage au partage avec d'autres d'une souveraineté réelle qu'aux joies qui consisteraient à cultiver les apparences d'une souveraineté sans partage. En plus, je crois que nous n'avons aucune raison de nous résigner - et notre jeunesse moins encore que nous - à ce que l'Europe ne joue plus qu'un rôle marginal dans ce qui se passe sur notre planète. Et pour que l'Europe ait un rôle à la hauteur de notre ambition, il faut qu'elle ait une monnaie à sa dimension, comme les Etats-Unis ont aujourd'hui le dollar.

Au-delà de la monnaie unique, l'orientation de l'Union européenne est en train de changer. A Amsterdam, vous vous en souvenez, et ce sommet a été durement critiqué par certains dans le parti, le gouvernement, derrière Lionel Jospin, a fait deux propositions. Il a demandé une meilleure coordination des politiques économiques : c'est ce qui est en train de se faire. Il a demandé que l'Europe s'occupe aussi, s'occupe enfin, de l'emploi. Et le résultat principal de la journée d'hier est que ce conseil extraordinaire va déboucher sur la tenue, chaque année, d'un conseil ordinaire qui placera l'emploi au centre des préoccupations de l'Union.

C'est la première étape d'un processus, d'un processus qui, comme tous ceux qui ont construit l'Europe, fait que, petit à petit, on ne conçoit plus que l'Europe puisse exister sans cette composante, cette composante nouvelle qui est en train de s'inscrire à la demande des socialistes français et qui constitue un tournant majeur.

Rappelez-vous du premier Conseil européen après le 10 mai 1981. François Mitterrand avait été évoqué la nécessité de l'Europe sociale. Et cela avait été accueilli avec un silence poli, mais gêné. Aujourd'hui, l'Europe sociale commence, grâce à cette intrusion de l'emploi dans les préoccupations. Et lorsque je regarde les conclusions de ce Conseil de Luxembourg, je vois que rien de ce qui faisait les délices de la droite - " déréguler ", " libéraliser ", " flexibiliser " - n'a été repris. Tout au contraire, ce sont pour l'essentiel nos propositions - engager une politique en faveur des jeunes et des chômeurs de longue durée, mobiliser de l'argent public vers les petites entreprises, s'occuper de la formation - qui ont été retenues.

La deuxième orientation, sur laquelle je vais être très bref, et qui est aussi une préparation de l'avenir, est celle des nouvelles technologies. On en entend parler tous les jours. Certains considèrent qu'il y a là un gadget, une mode. La réalité, c'est que la France a pris du retard. Aujourd'hui, aux Etats-Unis, ces nouvelles technologies constituent le deuxième secteur d'activité, celui qui crée la moitié de la croissance économique. Il y a là pour nous un enjeu majeur pour l'emploi et aussi un enjeu majeur pour la démocratie. Ce n'est pas nouveau que de rappeler que qui dispose de l'information dispose du pouvoir, ou au moins d'une partie du pouvoir. Cela n'en reste pas moins vrai. Et si, demain, la diffusion de l'information passe par ces nouvelles technologies, ces technologiques de l'information, alors ceux qui seront formés disposeront du pouvoir quand les autres le subiront. Si nous voulons que la démocratie ait un sens, qu'elle continue de s'exercer comme nous l'avons toujours promue, alors il faut à la fois que la France se maintienne dans les premiers rangs de ces nouvelles technologies et que tous les jeunes - et, bien sûr, dans la mesure du possible ceux qui le sont moins - aient accès et soient formés à ces nouvelles technologies.

La troisième orientation, enfin, c'est de mettre l'économie au service de la jeunesse. C'est vrai de la politique de l'emploi, je n'y reviens pas. C'est vrai de la politique budgétaire avec la priorité donnée à l'éducation et à la recherche. C'est vrai de la volonté de réduire le déficit pour faire que la dette, petit à petit, soit dans notre pays moins lourde afin que nous ne laissions pas aux générations qui suivent la charge de payer les dépenses qui sont les nôtres. C'est vrai du rééquilibrage de la fiscalité en faveur des revenus du travail car les jeunes sont forts de leur travail et évidemment pas de leur capital. Une fiscalité qui frappe trop durement les revenus du travail et qui épargne les revenus du capital est une fiscalité de rentiers. Nous ne voulons pas d'une fiscalité de rentiers. Nous voulons une fiscalité qui privilégie la production, l'imagination, la création, ceux qui sont forts de leur volonté de changer le monde et c'est évidemment toujours la jeunesse.

A ces trois sujets, pour finir, j'en ajouterai un dernier. C'est celui qui concerne le combat politique, au sens le plus simple du terme. C'est bien sûr le combat contre le Front national. Les plus anciens d'entre nous ont connu le nazisme ; les plus jeunes ne connaissent que la montée de l'extrême-droite, sa xénophobie, son antisémitisme, et il ne faut que dans l'esprit des hommes et des femmes de gauche s'efface le souvenir de ce qu'a été une période où le fascisme et le nazisme ont failli dominer le monde. C'est un combat tous les jours recommencé. C'est un combat de la mémoire. Mais c'est aussi un combat au jour le jour, sur le terrain. Notre combat en direction de la jeunesse sur ce sujet, c'est de lui montrer que jamais, à aucun moment dans l'histoire, l'extrême-droite n'a désarmé.

La droite, souvent, lui ouvre les portes. Cela ne veut pas dire que tous les hommes et toutes les femmes de droite soient prêts à passer accord avec l'extrême-droite, loin de là : il y a de vrais républicains parmi eux. Mais nous savons comment leurs partis politiques sont poreux. Nous savons comment des maires du Front national passe au RPR ou à l'UDF, de tenter de se refaire une virginité. Nous savons encore plus comment les idées sont poreuses, et comment aujourd'hui, on le voit jour après jour, l'opposition éclatée, ne sachant plus comment se reconstituer, est tentée d'aller chercher du côté du Front national, de ses idées et parfois de ses hommes un renouveau qu'elle se ne serait pas capable de trouver en elle-même au sein des valeurs républicaines.

Or, il nous appartient de monter à la jeunesse de notre pays qu'il n'y a pas de voie du côté de l'extrême-droite. Nous sommes des hommes et des femmes de gauche, nous combattons les idées de la droite mais nous les respectons. Mais nous ne respectons pas les idées du Front national, et il faut jour après jour l'expliquer. Il le faudra dans la campagne des cantonales et des régionales en mars prochain où nous devrons tous être mobilisés. Il y a une attente de beaucoup et beaucoup parmi les jeunes. Nous, les Socialistes, nous serons au premier rang de ce combat parce qu'au bout du compte le socialisme c'est avant tout un humanisme. Vous vous rappelez de ce vieux débat entre Jaurès et Guesde, notamment à propos de l'affaire Dreyfus. Pour Guesde, l'urgence n'est qu'à l'organisation du prolétariat. L'affaire Dreyfus ne saurait concerner les Socialistes en tant que socialistes. Pour Jaurès, au contraire, il y a une unité profonde entre morale et politique, une unité profonde entre le combat mené pour un seul et le combat mené pour le plus grand nombre. C'est une ambition qu'il nous faut porter haut face à la jeunesse de notre pays un siècle plus tard, celle qui consiste à prouver jour après jour que le socialisme est avant tout un humanisme. Bien au-delà de tous les sujets dont je vous ai dit quelques mots, c'est le combat que nous avons à conduire.

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