Parti socialiste :
l'union et la clarification

Dominique Strauss-Kahn
par Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise
Point de vue paru dans les pages " Horizons " du quotidien Le Monde daté du 3 octobre 2002


 
Ainsi, Gerhard Schröder a gagné. Après la victoire des sociaux-démocrates suédois, le reflux rose est endigué. Deux des trois plus grands pays de l'Union européenne restent gouvernés par la gauche. Et ceux qui, en guise d'explication de la défaite des socialistes français - qui étaient déjà les " plus à gauche " en Europe -, se contentaient d'un slogan - " Être plus à gauche " - mesurent que nous sommes confrontés à un défi d'une tout autre ampleur.

La situation n'appelle pas des réflexes paresseux ; elle exige une réflexion rigoureuse et audacieuse. Pour la première fois depuis 1958, la gauche est dans l'opposition et aucune élection nationale n'est prévue avant cinq ans. Nous avons donc du temps pour conduire cette réflexion à son terme.

Or, en même temps, il y a urgence. Urgence pour l'Europe qui souffre à la fois de cacophonie alors que la situation internationale se dégrade et d'aphonie alors que la situation économique se détériore. Urgence pour la France qui semble vouloir faire comme si de rien n'était, comme si le 21 avril n'avait pas eu lieu. Comme si nous n'avions pas connu l'extrême droite au second tour de l'élection présidentielle.

Le gouvernement ne semble pas prendre la mesure de ce bouleversement. Il manque de programme crédible. Nous ne le croyons pas capable de construire la France.

La gauche plurielle, dans toutes ses composantes, se délite et ne se remet toujours pas du traumatisme de la défaite. Le " pôle de radicalité ", longtemps impuissant, s'organise jusque dans les rangs du Parti socialiste, espérant rassembler sans et contre lui. Dans cette période troublée, il faut avoir le courage de formuler ses analyses et ses propositions ; il faut avoir l'humilité d'en débattre avec tous ; il faut avoir la force d'accepter le jugement des militants. Dans ce moment particulier, il ne s'agit pas de choisir un leader. Il s'agit d'élaborer un projet de société pour la gauche à l'heure de la mondialisation. Il faut donc récuser les divisions artificielles entre les hommes ou les femmes aussi bien que les regroupements factices entre les idées. Il est temps de construire une majorité de projet au sein du PS en tranchant l'enjeu réel du congrès de mai 2003 : revendiquer un réformisme novateur ou accepter un surplomb révolutionnaire culpabilisateur.

Notre ambition est simple : ni aventure isolée au détriment de l'intérêt général ni bricolage tactique au détriment de la lisibilité politique. Formulée autrement : le rassemblement autant qu'il est possible, la clarification autant qu'il est nécessaire.

En veut-on un exemple ? La clarification sur la nature du socialisme d'abord. La controverse entre réforme et radicalité doit être tranchée. Les radicaux poursuivent le rêve de construire le socialisme dans un seul pays, se veulent uniques détenteurs de la " pureté " et n'en finissent pas d'instruire le procès en trahison de la gauche au pouvoir. Rien, au fond, n'a vraiment changé dans leurs critiques depuis le début du XXe siècle.

Les réformistes savent que c'est pas à pas, mesure après mesure, avancée après avancée, que l'on défend réellement les intérêts du peuple face aux évolutions du monde. La carte d'identité des socialistes - la " déclaration de principes " qui est le préambule de ses statuts - reste ambiguë. Nous proposons qu'elle soit revisitée et clarifiée.

Un autre exemple ? La clarification sur la stratégie du PS. Depuis le milieu des années 1990, les tenants de la radicalité tentent de constituer un " pôle " rassemblant, contre le PS, l'extrême gauche et le Parti communiste, les Verts et les antimondialisation. La gauche plurielle a été la construction politique qui a permis de déjouer cette stratégie. Aujourd'hui, le pôle de radicalité est à l'offensive. Le PS doit donc reprendre l'initiative et ouvrir une nouvelle perspective : celle du parti de la gauche. Peu importe que son horizon soit lointain, ses formes inconnues et sa réussite incertaine : lançons le débat !

Autre exemple encore : la clarification sur les objectifs et les instruments de la gauche. Une question se trouve au cœur de notre engagement commun : la réduction des inégalités. Mais que voulons-nous ? Ni l'égalitarisme des revenus ni la simple et formelle égalité des chances à l'école, mais une réelle égalité des opportunités pour chacun, tout au long de sa vie. Pour ce faire, nous ne pouvons nous contenter d'un socialisme qui vienne, après coup, réparer les dégâts du capitalisme par la seule redistribution, aussi nécessaire soit-elle. Nous devons être plus volontaires et porter le fer au cœur du système pour faire en sorte qu'en amont, dans l'appareil productif, les inégalités se créent moins facilement. Nous appelons cela le socialisme de la production.

Pour les socialistes, la grande conquête du XXe siècle a été la Sécurité sociale. Celle du XXIe pourrait être une sécurité professionnelle étroitement liée à la formation continue.

La clarification sur la mondialisation et l'Europe : dans l'économie-monde d'aujourd'hui, nous ne pouvons nous limiter à être des commentateurs qui, selon les tempéraments, déplorent ou célèbrent la mondialisation. Nous ne pouvons pas nous résigner à une posture de résistance dont le seul succès espéré serait de repousser à plus tard des évolutions dont nous ne voudrions pas mais que nous finirions par nous voir imposer. Nous devons avoir une plus haute ambition et inventer des instruments de régulation efficaces, notamment dans les instances commerciales et financières internationales, et imposer la prise en compte de critères sociaux et environnementaux.

Nous devons aussi inventer de nouveaux outils pour que les Français influencent et orientent le mouvement de mondialisation en y prenant toute leur part. Pour atteindre ces objectifs, l'engagement européen demeure central. Il constitue la colonne vertébrale de toute action réformatrice conséquente. Il passe par un projet commun avec tous les partis socialistes ou sociaux-démocrates européens.

La clarification sur la crise de la représentation : la politique traverse une crise profonde qu'il ne faut surtout pas sous-estimer. Elle ne sera pas surmontée en s'accrochant à des schémas anciens. Nous devons, là aussi, faire du neuf et construire une nouvelle République. C'est vrai des nécessaires réformes institutionnelles, mais il faut aller au-delà. Contre le " tout-nation ", une République plus décentralisée - dans le respect de l'égalité entre les territoires. Contre le " tout-politique ", une République donnant un espace à la démocratie sociale. Contre l'universalisme théorique, une République respectueuse des identités de chacun et, surtout, luttant contre les inégalités réelles.

Sur tous ces sujets, un clivage traverse la gauche et souvent les socialistes. Ceux qui ont soutenu Lionel Jospin ont naturellement vocation à partager une même ambition politique sur ces questions. Vérifions-le. Et si tel est notre constat commun, rassemblons-nous.

Mais nous ne pouvons nous dispenser de l'effort de clarification. Il est la condition absolue pour que les Français veuillent redonner le pouvoir à la gauche. Les militants, les sympathisants et les électeurs de gauche nous regardent : ils seraient, à juste raison, sévères contre des divisions mesquines. Ils veulent retrouver la politique, dans ce qu'elle a de plus noble. Écoutons-les.

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