Ne pas se tromper de colère

Dominique Strauss-Kahn
Entretien avec Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, paru dans le quotidien Libération daté du 4 février 2005
Propos recueillis par Renaud Dely


 

Le choix de la CGT ne risque-t-il pas de faire reculer un peu plus le oui au traité dans l'électorat de gauche ?
C'est une décision que je regrette pour l'évolution européenne de la CGT, portée hier par Louis Viannet et aujourd'hui par Bernard Thibault. Mais elle ne me surprend pas. C'est sans doute moins l'Europe qui est en cause dans ce choix que l'exaspération croissante du monde salarial vis-à-vis de la politique gouvernementale. Les électeurs ont voté trois fois en 2004 pour la sanctionner, ils n'ont cessé de manifester, la gauche a combattu au Parlement en déposant des milliers d'amendements, et ni Jacques Chirac ni la majorité ne veulent entendre les Français. L'exaspération est telle que certains syndicalistes pensent ne pas avoir d'autre moyen de se faire entendre qu'en exprimant un non au traité et ce, quitte à renoncer aux avancées politiques et sociales du traité que la majorité de la Confédération européenne des syndicats (CES) soutient. Chirac, Raffarin et Sarkozy sont responsables parce qu'ils mènent une politique que les Français rejettent. Et la droite redouble ses attaques : contre les 35 heures, l'école, les fonctionnaires, et maintenant les régions contraintes d'augmenter les impôts pour pallier le désengagement de l'Etat...

Comment sauver le oui, et notamment le oui de gauche ?
Les Français ne doivent pas se tromper de colère. Celle qui se manifeste contre la politique gouvernementale est légitime et je la soutiens. Certes, il peut y avoir des raisons de critiquer la politique européenne, mais elles ne sont pas suffisantes pour rejeter l'avancée vers l'Europe politique que le traité propose. Les socialistes se sont prononcés clairement. Et je vais m'engager fortement pour expliquer notre position. Le PS a ses raisons de voter oui qui ne sont pas celles de la droite. C'est un oui de gauche qui ne veut pas s'arrêter là et qui veut poursuivre par un traité social. Tout le monde doit avoir conscience de ce qu'au-delà de la crise politique et sociale de notre pays, c'est l'avenir de la France et de l'Europe qui est en jeu.

Ne devenez-vous pas schizophrène à force de dire non au gouvernement et oui au référendum du chef de l'Etat ?
Pas du tout. J'étais mercredi à Berlin à l'invitation de la CES pour parler de l'emploi. J'ai entendu les syndicalistes dire à la fois leur refus des orientations de la Commission Barroso, parfois leur opposition déterminée à la politique gouvernementale de leur pays... et affirmer leur soutien au traité.

Les hésitations des politiques sur la directive Bolkestein ne contribuent-elles pas à faire monter le non ?
Quand la majorité des Etats européens, et donc des commissaires, est aussi nettement à droite, il ne faut pas s'étonner que la Commission propose des directives aussi libérales. C'est pourquoi j'ai réclamé, il y a déjà plusieurs semaines, le retrait de cette directive. Mais une chose est de critiquer tel ou tel aspect de la politique européenne, voire tel ou tel article du traité, une autre serait d'utiliser le référendum pour dire non à Chirac et au gouvernement. ça, c'est en 2007 que j'invite les Français à le faire. Mais pour qu'une alternative politique soit possible, il faut d'abord gagner la bataille du traité.

Mais la liberté accordée aux tenants PS du non accentue la confusion...
Je tends la main aux amis qui ont défendu le non. Aujourd'hui, contribuer à faire battre le PS en faisant la campagne du non ne serait pas seulement une attitude méprisante à l'égard de nos militants, ce serait aussi prendre le risque d'un affaiblissement du parti. Je suis sûr que mes amis sauront se montrer discrets dès que la campagne sera lancée. Je ne vois pas comment on pourrait avoir pour ligne politique de fustiger l'individualisme et, dans le même temps, s'en faire le porte-drapeau. Comment pourrait-on prendre position publiquement contre un vote de la majorité du parti et vouloir un jour porter ses couleurs à l'occasion de telle ou telle élection ?

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