Je veux me consacrer à faire émerger un nouveau dessein

Dominique Strauss-Kahn
par Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise
Entretien accordé au quotidien Le Monde daté du 17 mai 2003
Propos recueillis par Hervé Gattegno et Isabelle Mandraud


 

Comment analysez-vous la mobilisation sur les retraites ?
Elle témoigne d'une réelle inquiétude, qui n'est pas liée uniquement aux retraites, mais à un climat de défiance des salariés - du public et du privé - face à la politique du gouvernement. On a présenté la question des retraites comme un dossier technique, à traiter techniquement. Or les retraites sont une composante majeure de la cohésion sociale. Avec l'assurance-maladie et la montée du chômage, elles contribuent à l'insécurité sociale que ressentent les Français. J'entends dire : les socialistes n'ont rien fait. C'est faux ! Après l'échec d'Alain Juppé en 1995, il nous a fallu reconstruire un consensus, notamment en s'attaquant au chômage. S'il en existe un, aujourd'hui, sur la nécessité de réformer, sans remettre en cause la retraite à 60 ans et en garantissant le taux de remplacement, ce sont des acquis de la période Jospin. Sans oublier la mise en place du fonds de réserve des retraites.

La gauche aurait-elle traité le problème différemment ?
Oui. M. Raffarin ne construit pas la confiance sur un sujet qui l'exige. Les retraites, c'est un contrat entre les générations. Or plus le contrat est à long terme, plus il doit reposer sur une adhésion. La dramatisation à laquelle on assiste a l'effet contraire : l'anxiété entraîne un taux d'épargne très élevé, qui empêche la consommation d'entretenir la croissance. En outre, les propositions de François Fillon ne présentent aucune garantie sur le financement mais dépendent largement de l'évolution du chômage : c'est léger ! Les Français n'ont pas envie que leur système de retraites repose sur un pari.

J'ajoute que si on demande un effort particulier à une partie de la population, il est normal qu'elle veuille que ce soit fait de façon équitable. Plus l'effort est important, plus il faut qu'il soit justement réparti. Or les éléments qui permettaient d'avancer dans ce sens n'ont pas été privilégiés : je pense au départ de ceux qui ont déjà 40 annuités de cotisations, à l'arrêt de la dégradation des petites retraites, à la prise en compte des années de temps partiel avec une décote moindre - qui concerne un très grand nombre de femmes. Au lieu d'opposer le public et le privé, il faut permettre à ceux qui font des métiers pénibles de cotiser moins longtemps. L'espérance de vie varie de 5 à 6 ans entre les catégories sociales défavorisées et les catégories les plus élevées. Ceci peut justifier des différences de durée de cotisation. Tout cela, il aurait fallu le régler par une négociation globale, plutôt que de traiter les sujets un à un, en négociant séparément avec tel ou tel syndicat. C'est faisable mais coûteux. Encore faut-il dire où on prend l'argent.

Où l'auriez-vous pris, vous ?
Les mesures que M. Fillon propose amélioreront les comptes des retraites d'environ 13 milliards d'euros par an. La baisse de 30 % de l'impôt sur le revenu promise par le président de la République représente une perte de recettes de 18 milliards d'euros par an. C'est un choix : soit on finance la réduction des impôts, soit on finance la sauvegarde des retraites.

Les socialistes sont-ils tous d'accord avec vous sur ce point ?
Au cours de l'année écoulée, il y a bien des sujets sur lesquels les socialistes se sont exprimés chacun en fonction de leur sensibilité, parce que la ligne du parti n'était pas définie. Maintenant que les militants ont tranché, le congrès de Dijon permet de clarifier un certain nombre de questions. Après, il ne faut plus entendre un socialiste dire bleu et l'autre vert. Parce que ça, c'est la garantie de ne pas être entendus par les Français !

Le vote conforte les dirigeants ; suffit-il à recréer l'unité du PS sur les idées ?
Ce congrès est justement important pour les idées. Le débat était le suivant : fallait-il céder à la tentation traditionnelle des partis de gauche quand ils subissent une défaite sévère, celle du repli sur soi, qui vous maintient dans l'opposition pour longtemps ; ou choisir la ligne que nous avons définie ensemble, avec François Hollande, celle du réformisme de gauche. Le choix a été clair. De ce point de vue, Dijon marque un tournant. Depuis le congrès de Tours, en 1920, les socialistes n'avaient jamais fait, dans leurs textes de congrès, le choix du réformisme. Aujourd'hui, c'est fait.

Le PS d'aujourd'hui peut-il trouver des partenaires ?
Le " parti de toute la gauche " dont nous avons lancé l'idée n'annonce pas la disparition de nos partenaires. Après une phase de confrontation, il faudra passer à une concertation, pour élaborer une plate-forme commune. Nous avons besoin d'une sorte de confédération, qui puisse attirer les électeurs vers l'activité militante, d'une dynamique qui attire les citoyens vers la gauche. Beaucoup de gens défendent des idées de gauche dans une activité associative. Nous devons leur offrir la possibilité de le faire à l'intérieur du PS.

A l'intérieur, justement, êtes-vous partisan d'une synthèse avec les courants minoritaires ?
Chacun a voulu un congrès de clarification. Dans notre motion, nous avons tous fait des efforts pour que la cohésion soit assurée. On n'est jamais d'accord à 100 % avec un texte ; dans la motion Hollande, il y a des idées que je n'aurais pas exprimées exactement comme ça. Certains n'ont pas voulu faire ce chemin. Respecter le vote des militants, c'est ne pas créer, à tout prix, les conditions artificielles d'une synthèse.

M. Hollande devra-t-il toujours concilier les points de vue de M. Fabius, de Mme Aubry, le vôtre, pour fixer la ligne du PS ?
Il y aura, évidemment, des discussions mais pas de négociations. Nous ne sommes pas dans le cadre d'un projet de gouvernement.

Quelle sera votre place ?
J'ai contribué à la définition du réformisme de gauche. Maintenant, le PS a besoin de créer un parti aux couleurs de la France, de travailler au rassemblement de toute la gauche. Pour ma part, après y avoir participé pendant plus de dix ans, je ne serai pas candidat au secrétariat national. Je serai membre du bureau national - l'instance de décision politique. Mais je veux avant tout me consacrer, seul ou avec d'autres, à un contact plus étroit avec les militants pour contribuer à faire émerger un nouveau dessein pour la gauche et pour la France.

C'est une entrée en campagne présidentielle ?
Non, il s'agit simplement d'être militant.

Le PS n'est-il pas plus fort lorsque son premier secrétaire est présidentiable ?
Le PS est fort. Quant à la question du présidentiable, il n'est pas encore temps de la poser.

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