L’État est en danger

Préface de Dominique Strauss-Kahn, député PS du Val-d'Oise, à la note n°24 de la Fondation Jean-Jaurès : Changer l'État (septembre 2001) de Jean Peyrelevade & Lucile Schmid.


Changer l'État

Note n°24 de la Fondation Jean-Jaurès présentée par Jean Peyrelevade & Lucile Schmid


Le groupe de travail "Puissance publique" de la Fondation Jean-Jaurès a été présidé par Jean Peyrelevade. Son rapporteur était Lucile Schmid. Il comprenait Alain Bergounioux, Philippe Mabille, Nicolas Théry.

Il a bénéficié de nombreux concours et commentaires, et notamment de Pierre Rosanvallon, Jean Pierre Thébault, Jean-Paul Bailly, Giancarlo Vitella et Henri Guillaume


Oui l'État est en danger.

Il ne va pas aussi mal que certains veulent bien le dire puisqu'il n'est pas trop tard pour le réformer en profondeur et dans la durée. Mais il n'est que temps.

L'étonnant effort d'adaptation mené depuis deux décennies par la société française et la modernisation réussie par nos entreprises ont montré la voie. Les performances d'ensemble de notre économie, singulièrement depuis 1997, nous en donnent les moyens. La construction européenne et la concurrence croissante entre nations en dictent l'urgence.

Il y a un peu plus de deux ans, je réunissais les cadres du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie sur ce thème des dangers qui menacent l'État. Je retrouve dans ce texte, amplifié, l'écho de mes intuitions d'alors et notamment ce constat essentiel : l'État ne parvient pas à s'adapter aussi vite que les structures qui lui font concurrence.

Quand l'OCDE nous classe dix-neuvième sur dix-neuf à propos du poids de notre réglementation économique ou quand le vice-président du Conseil d'État dénonce notre incessante “ gesticulation législative ” alors même que l'État ne fait que perdre du terrain au profit d'autres sources de régulation, on doit essayer de comprendre.

L'évidence tranquille s'impose au fil des pages du rapport de Jean Peyrelevade et Lucile Schmid que ce n'est pas d'une réforme avec un grand “ R ” dont notre pays a besoin, comme l'on parlerait d'un “ Grand Soir ”. C'est d'une multitude de réformes, cohérentes sur le plan politique et social, coordonnées dans le temps et dans notre espace économique principal qui est aujourd'hui celui de la zone euro. S'il y a urgence, c'est bien en raison de l'ampleur de la tâche et de la place singulière qu'occupe l'État dans notre pays, dans notre identité, dans notre capacité de ressort collectif.

Quatre risques essentiels me paraissent devoir être conjurés.
Tout d'abord, celui de l'assoupissement auquel pourrait conduire notre bonne situation économique du moment et la satisfaction devant la qualité de beaucoup de nos services publics. Voyons-y plutôt une incitation au mouvement au nom des formidables réserves de productivité dont nous pouvons disposer.
Le second risque est celui du boulet que représentera très vite la sous-productivité du secteur public sur nos entreprises tant le rôle de l'État est majeur aujourd'hui dans la compétitivité économique globale.
Le troisième risque, qui découle du précédent, est celui de voir l'État, aujourd'hui bousculé, demain remplacé par des structures privées - en matière de santé, par exemple - dont on n'est pas sûr qu'elles soient plus efficaces mais dont on peut être certain qu'elles se ront plus inégalitaires.
Enfin, il y a le risque, majeur à mes yeux, d'éclatement social. Si une communauté de citoyens libres confie à l'État le monopole de la violence, c'est au nom d'un contrat social librement accepté et entretenu par les voies de la démocratie moderne. L'État bénéficie en cela de l'adhésion d'une large majorité de nos compatriotes qui voient en lui le seul arbitre capable de préserver l'intérêt général, d'assurer la justice et de garantir l'égalité des chances et des droits grâce à un degré élevé de services publics et de protection sociale. C'est bien parce que l'État est constitutif de notre contrat social, que ce qui le menace, menace la cohésion de notre société tout entière.

Nous savons que notre avenir est lié à celui de nos partenaires en Europe ; que notre démographie va modifier la structure de notre population active ; que de nouvelles technologies vont transformer le monde du travail comme la notion de territoire.

Nous savons que de l'école à l'entreprise, de la vie sociale à l'engagement dans la cité, le citoyen français de demain aura des aspirations différentes ; que chacun d'eux attendra de l'État une qualité de soins, de sécurité, de justice, d'éducation, de solidarité à la hauteur de cette modernité-là : c'est-à-dire rapide, équitable, et au meilleur prix.

Les enjeux sont donc clairs. Quelle volonté politique est susceptible de traduire les réponses en actes ? Ce qui me paraît très révélateur, c'est que si les questions posées concernent tous les Français, les réponses ont principalement été débattues et travaillées à gauche. Je ne vois aucune proposition concrète de la droite qui, telle le cancre, en vient à copier plus ou moins mal sur la copie de son voisin. A commencer par le chef de l'État qui, pour intervenir dans le débat sur le crédit d'impôt, n'a pu que se plonger dans les nombreux documents produits depuis deux décennies au sein de la famille socialiste. C'est en vain qu'il en aurait cherché la moindre trace dans son propre parti...

Ainsi, la réforme de l'État est parfois moins un débat entre la gauche et la droite qu'un débat au sein de la gauche elle-même. Il m'arrive de le regretter et de penser que certains syndicats de fonctionnaires seraient plus ouverts à la recherche d'un compromis efficace s'ils sentaient le vent du boulet libéral les caresser de plus près. Mais nous ne pouvons plus hésiter à l'approche d'échéances.

Ce que nous dit ce rapport, c'est qu'un État immobile est un État en péril. Rien n'est plus essentiel pour préserver notre identité que de nous doter d'un État moderne, souple, efficace et serein. C'est nécessaire. J'ai la ferme conviction que c'est possible.



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