Je ne suis pas sûr que Fabius souhaite continuer avec nous

Dominique Strauss-Kahn
Entretien avec Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, paru dans le quotidien Le Monde daté du 2 juin 2005.
Propos recueillis par Isabelle Mandraud


 

Après la victoire du non, comment réagissez-vous à la nomination de Dominique de Villepin premier ministre ?
Décidément, Jacques Chirac n'est pas le général de Gaulle ! Après dix ans de pouvoir, nous vivons une crise de la représentation politique, une crise entre les Français et l'Europe, pratiquement une crise de régime. Le président de la République n'en tire aucune conséquence. Il veut coûte que coûte se maintenir au sommet de l'Etat. Il nomme le dernier de son clan comme premier ministre. Il élude la crise. Face à la colère française, il continue ses fausses postures et ses vrais petits accommodements. Le peuple français souffre, demande de vrais changements, et Jacques Chirac se maintient tout en bégayant un vague " je vous ai compris " .

A droite, certains prônent la sortie du pacte de stabilité, la relance de la dépense publique et des emplois aidés. Qu'en pensez-vous ?
Après avoir fait échouer une avancée vers l'Europe politique, on nous proposerait de faire battre l'euro. Pourtant, sans l'euro, la politique budgétaire de Jacques Chirac nous aurait conduits au FMI.

Qu'est-ce qu'est alors, pour vous, la nouvelle impulsion annoncée par Jacques Chirac ?
Pschitt !

C'est la faute du chef de l'Etat si la Constitution n'a pas été adoptée ?
Le débat a été à l'honneur de la démocratie même s'il a été parfois excessif, voire démagogique. Je n'ai pas voulu me prêter à cela et j'ai tenté d'avancer des arguments de raison. Mais, finalement, le traité a pris une balle perdue de la colère des Français. On trouve dans le non le rejet de la politique du gouvernement, l'exigence que ces derniers protègent les peuples des effets de la mondialisation, mais aussi le sentiment qu'ont les Français que l'Europe, telle qu'elle existe, est trop libérale.

Le PS n'a-t-il pas une part de responsabilité ?
Si nous avions apporté pendant les trois ans du gouvernement Raffarin une alternative à la politique de ce dernier, il aurait été plus facile pour les Français de distinguer entre leur colère et l'enjeu de ce traité.

Comment voyez-vous la suite ? M. Chirac doit-il renégocier ?
La vraie question est : le peut-il ? Est-il raisonnable de semer l'illusion qu'il le pourrait ? Ceux qui nous ont dit que le non au traité pouvait tout, ne peuvent pas maintenant se délester sur Jacques Chirac. Ils ont la responsabilité de dire à la France avec qui, sur quoi, et quand ils construiront un traité plus politique, plus social, et pour tout dire progressiste. Il faut qu'ils respectent le mandat qu'ils se sont eux-mêmes imposé !

Quelle réponse le PS doit-il apporter à son électorat ?
Il doit répondre à la crise française, en proposant des solutions crédibles et pas un empilement de promesses. La situation difficile de beaucoup de démocraties vient du fait que les responsables ont un discours dans l'opposition et une pratique opposée au pouvoir. Surfer sur le mécontentement est à la portée de tous. Jacques Chirac s'en est fait une spécialité, et voilà le résultat : une insurrection dans les urnes. Le débat est simple : faut-il un projet qui n'a que le rejet de la droite comme horizon ou doit-on bâtir des propositions de gauche qui se proposent de faire une France plus sociale dans une économie plus stable ?

Quelles sont les conséquences du non sur la ligne du parti ?
Elle a été définie lors de notre congrès de Dijon, elle a été validée par le référendum interne des socialistes. Elle est le bien commun du PS. Un autre débat a aussi été tranché à cette occasion. C'est celui de la stratégie. Elle consiste à affirmer d'abord notre identité, à proposer un projet de transformation sociale ensuite, puis à accepter une confrontation ouverte pour rassembler la gauche. C'est cette stratégie qui est contestée par ceux qui succombent à une sorte de mise sous tutelle idéologique du PS.

Vous n'êtes pas partisan de sanctions à l'intérieur du parti ?
Je suis pour la démocratie représentative et je crois au rôle des formations politiques. Je n'imagine pas que le PS puisse remplir sa mission et revenir au pouvoir en donnant l'exemple de la transgression des règles.

Laurent Fabius doit-il, selon vous, conserver son poste de numéro deux ?
Je ne suis pas certain que Laurent Fabius souhaite continuer avec nous [à la direction du PS] sur ce que fut notre orientation depuis deux ans. Nous verrons.

François Hollande doit-il rester le premier secrétaire ?
Qui demande publiquement son départ ? Que celui qui souhaite le remplacer s'avance.

Vous êtes favorable à l'organisation d'un congrès ?
Si nous voulons répondre à la crise de régime, il nous faut un projet, des alliances et un parti en ordre de marche. Comment faire cela sans un congrès ? A la différence de la droite qui a la culture de l'homme providentiel, les socialistes préfèrent les délibérations collectives.

Une direction du Parti socialiste resserrée sur les tenants du oui. N'est-ce pas contradictoire avec les résultats du référendum en particulier dans l'électorat populaire ?
Le référendum est terminé, le peuple a tranché. La question n'est plus entre les tenants du oui et du non. Il s'agit de savoir comment lire les événements, comment résoudre les multiples crises françaises, comment répondre à la fragmentation de la société ? Chercher la cohérence dans les réponses et donc dans les équipes est salutaire.

Croyez-vous possible une réconciliation entre les deux gauches, celle du oui et celle du non ?
Je ne souhaite ni la stigmatisation de la gauche contestataire ni la subordination du PS à cette dernière. Le débat entre les deux peut être fructueux pour tous. Si la première se donne pour but de travailler à une alternative crédible de gauche crédible, l'espoir aura trouvé un chemin. En attendant, le PS doit bâtir le sien.

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