Comme d'habitude, M. Chirac est féroce pour le passé, enthousiaste pour le présent et inquiétant pour l'avenir

Dominique Strauss-Kahn
Entretien avec Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, paru dans le quotidien Le Monde daté du 3 avril 2004
Propos recueillis par Isabelle Mandraud


 

Quelle impression retirez-vous de l'intervention de Jacques Chirac ?
Comme d'habitude, M. Chirac est féroce pour le passé, enthousiaste pour le présent et inquiétant pour l'avenir, en persistant à vouloir continuer comme si de rien n'était. J'ai le sentiment qu'il n'a pas compris que la France était malheureuse et qu'il fallait lui répondre par un acte de confiance. Il met la France en panne.

N'a-t-il pas mis l'accent sur la croissance et la justice sociale ?
Le FMI vient de relever de 4 % à 4,6 % la prévision de croissance mondiale ; dans le même temps, l'Insee a baissé celle de la France. Mettre sur le compte de l'environnement international notre mauvaise performance, c'est à nouveau tromper les Français. Mais ils commencent à être instruits : le discours de la " fracture sociale ", M. Chirac l'a déjà tenu il y a dix ans.

Que pensez-vous des inflexions annoncées ?
Je ne peux que me réjouir de ce que, par leur vote, les Français aient fait reculer le gouvernement. Mais ça ne suffira pas à faire oublier l'exigence exprimée le 28 mars : un changement de cap. Le problème n'est pas de faire croire que la France est rétive aux adaptations ; il vient de ce que M. Chirac et son gouvernement ont engagé une politique libérale qui ne passe pas. La France a besoin d'une autre voie, d'une pédagogie, d'une mutation maîtrisée. Ce qu'on doit au pays, c'est qu'on lui dise la vérité : où il en est, où nous allons et comment on s'attaque réellement aux nouvelles inégalités.

N'est-ce pas justement par un déficit de pédagogie que M. Chirac justifie l'échec électoral de la majorité ?
Il n'y a eu aucun problème de communication : les Français ont parfaitement compris ce que voulait le gouvernement. M. Chirac est ici l'éditorialiste de son propre échec. Le rôle d'un président de la République n'est pas de se plaindre de l'absence de dialogue - d'autant qu'il en est lui-même responsable -, c'est de tracer un chemin pour une France plus juste.

Partagez-vous son opinion sur la " nécessité " de baisser les impôts ?
Personne, par principe, n'est contre la baisse des impôts. Mais, une fois encore, il sème la confusion en prétendant que la France ne pourrait pas avoir une forte croissance à cause d'un taux excessif de prélèvements obligatoires. Il semble avoir oublié les années du gouvernement Jospin, pendant lesquelles la croissance française était supérieure à celle des autres grands pays européens.

Ce qui compte, c'est de savoir à quoi servent ces impôts, et c'est la qualité des services publics. Je suis sûr que la majorité des Français préfère que les ressources disponibles servent à préparer l'avenir en finançant la recherche plutôt qu'à baisser les impôts de ceux qui ont les plus hauts revenus.

La réforme de l'assurance-maladie ne se fera pas par ordonnances. Êtes-vous satisfait ?
François Hollande, au nom du PS, l'avait demandé. Nous avons enfin été entendus. Mais l'essentiel, c'est la réforme elle-même. C'est donc au Parlement qu'il faudra s'y opposer - et proposer.

Au-delà de la protection sociale, quel est le projet de la gauche ?
La France a besoin d'une grande alternative : elle ne doit faire ni ce que fait la droite aujourd'hui ni ce que fit la gauche hier. La politique conduite par la droite est totalement inadaptée, mais la gauche ne peut pas non plus se contenter de refaire ce qu'elle a déjà proposé. Son projet doit être ancré sur la vision nouvelle de ce qu'est la gauche dans l'Europe du début du XXIe siècle. C'est une exigence qui impose un devoir de vérité, d'imagination et de cohésion.

Diriez-vous, comme M. Chirac, que la politique est un métier ?
C'est sa conception. La mienne, républicaine, c'est de servir - les socialistes, la gauche et le peuple français.

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