Le gouvernement n'a pas pris la mesure de la gravité de la situation

Dominique Strauss-Kahn


Entretien avec Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, paru dans l'hebdomadaire Le Journal du Dimanche daté du 26 juin 2005
Propos recueillis par Florence Muracciole


 

Nicolas Sarkozy alimente la polémique tous azimuts, est-ce le rôle d'un candidat à la présidentielle ?
Non, ce n'est ni le rôle du candidat de demain ni, surtout, celui du ministre d'aujourd'hui. Ces dérapages verbaux sont le double signe, spectaculaire, d'un constat d'impuissance et d'une obsession d'existence. Nicolas Sarkozy continue d'user d'un questionnement qui est celui des Français eux-mêmes, mais son rôle, au gouvernement depuis trois ans, n'est pas de poser des questions : il est d'apporter des réponses. Or, pourquoi la délinquance n'a-t-elle pas disparu ? Parce que, fondamentalement, elle est le fruit de l'inégalité entre les territoires et l'inefficacité de la lutte contre les ghettos sociaux. Ce décalage entre le discours et les résultats explique peut-être l'énervement de celui qui perçoit que le mur se rapproche. Mais rien ne justifie ces dérapages.

Comment jugez-vous les premiers pas de Villepin ?
Décevants. Il a eu raison de vouloir donner - enfin ! - la priorité à l'emploi mais il part à la bataille sans plan de bataille. Après trois ans de gouvernement choisi par Jacques Chirac, dirigé par Jean-Pierre Raffarin et auquel il a appartenu, la situation économique - c'est Thierry Breton lui-même qui le dit - est vraiment catastrophique. Dernier exemple en date : les chiffres des déficits de la Sécurité sociale encore pires que prévus. Et Villepin nous annonce : « Ce que nous n'avons pas réussi à faire depuis trois ans, je vais le faire en cent jours. » Et, pour cela, il sort du cadre démocratique normal en recourant aux ordonnances.

L'urgence de la situation ne les justifie-t-elle pas ?
S'il y a urgence, c'est qu'il y a échec ! Un gouvernement qui viendrait d'être élu et qui dirait la situation est tellement grave qu'il faut procéder par ordonnances, cela pourrait se discuter. Mais, pour un gouvernement qui est là depuis trois ans, qui dispose d'une majorité, cela ne saurait se justifier. S'il y a bien une leçon à tirer du référendum, c'est que les Français veulent plus de démocratie, pas plus de précipitation.

Et le plan Villepin pour l'emploi ?
Il y a une mesure principale : l'allongement du CDD à deux ans. Là encore, comment peut-on conclure de ce qu'ont dit les Français qu'il fallait accroître la précarité ? Cela laisse pantois. Diminuer les éléments de sécurité conduit les Français à redouter encore plus l'avenir et donc avoir, en matière de consommation, des comportements encore plus précautionneux. Que fait le gouvernement pour relancer la croissance ? Rien. Pour réactiver la consommation ? Pour rétablir la confiance ? Rien. La réalité est simple : le gouvernement n'a pas pris la mesure de la gravité de la situation.

Est-on allé « jusqu'au bout des solutions traditionnelles », comme le dit Chirac ?
J'avais déjà entendu cela - et du même ! - avant 1997. Puis le gouvernement Jospin a mis en place les emplois-jeunes, avec les conséquences que l'on sait, non seulement sur l'emploi des jeunes - l'objectif principal - mais aussi sur la confiance retrouvée et donc la croissance relancée. En fait, la droite est allée jusqu'au bout d'une démarche idéologique erronée. En 2002, Chirac a dit « Nous allons baisser l'impôt sur le revenu des plus riches, cela va libérer les énergies et tout le monde en profitera. » Résultat : seules les inégalités ont été libérées.

Vous, que feriez-vous si, comme en 1997, vous arriviez à Bercy ?
La situation de 2005 ressemble à celle de 1997. Devant une dépression de la demande interne, il y a la nécessité absolue de recréer suffisamment de confiance pour que la consommation reparte. Il faut que le pouvoir d'achat, les salaires, les revenus repartent à la hausse. Je le dis et le redis : il est indispensable, aujourd'hui, de réunir un « Grenelle des salaires ». Pour la croissance, il faut la confiance. Et, pour la confiance, il ne faut pas les ordonnances.

Dans le bras de fer Chirac-Blair sur la conception de l'Europe, qui a raison ?
Les deux ont tort. Chirac, parce que nous ne pouvons pas continuer à faire fonctionner l'Europe avec 40 % du budget consacrés à la politique agricole, même si la question agricole est très importante. Blair, parce que le maintien en l'état du chèque britannique est injustifiable. C'est en ayant plus en tête l'intérêt général des Européens qu'on réussira à mieux défendre les intérêts de chacune de ces nations. Blair a un moyen de prouver son réel attachement à ce qu'il a dit cette semaine à Bruxelles : faire avancer, dans les semaines ou les mois qui viennent, l'Europe sociale avec la Charte des droits fondamentaux qui était dans le Traité constitutionnel.

Y a-t-il deux visions de l'Europe au PS ?
Deux visions ? Je ne le pense pas : nous sommes tous favorables à la construction d'une Europe politique et sociale. Des différences dans la façon d'avancer, à l'évidence. La voie annoncée par les tenants du « non », en cas d'échec du référendum, apparait d'ailleurs aujourd'hui, malheureusement, totalement illusoire. Mais il faut se tourner vers l'avenir et proposer une voie nouvelle pour sortir de la crise.

François Hollande, affaibli par le « non », peut-il rassembler à votre prochain congrès ?
Il y aura trois mots d'ordre au congrès : s'opposer, proposer, rassembler. S'opposer : la politique du gouvernement exige d'être sans faiblesse. Proposer : je ne veux pas d'une alternance de rejet, je veux une alternative de projet car croire que les votes de 2004 étaient des votes d'adhésion au PS en a trompé plus d'un. Rassembler : une fois que les socialistes auront défini leurs positions, ils devront les faire partager par les socialistes, par la gauche et les écologistes, par les Français.

Comment allez-vous convaincre les quelques 100 000 socialistes de vous désigner comme candidat à la présidentielle ?
Le problème, aujourd'hui, ce n'est pas « qui ? », c'est « quoi ? ». Un président de la République, pour quoi faire ? Pour quelle vision de la France ? Quelle politique ? Quelle alternative ? Répondons d'abord à ces questions-là. Le reste viendra par surcroît.

Entre Fabius et vous, quelle différence ?
Moins qu'on ne le dit mais plus qu'on le croit. Nous n'avons pas la même vision de l'Europe ni la même lecture de la France, du rôle du PS dans la gauche, du président de la République dans la crise de régime que nous vivons ou encore de la façon de rétablir l'égalité et l'autorité. Mais nous avons, je crois, la même passion de la gauche et de la République.

© Copyright Le Journal du Dimanche


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