Travailler à l’alternative

Intervention de Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, aux vœux de la fédération du Val-de-Marne, à l'L'Haÿ-Les-Roses, le samedi 14 janvier 2006


 
Merci,

Merci d’être venu ici ce soir à L’Haÿ-Les-Roses pour les vœux de Patrick Sève, mon ami, votre maire et de Michèle Sabban, première secrétaire fédérale du Val-de-Marne, et grande figure nationale de la cause des femmes.

Les vœux, c’est à la fois un rituel et un plaisir. Rituel, parce que chaque année nous nous souhaitons mutuellement du bonheur, et que pourrait-on se souhaiter de plus ? Mais aussi un plaisir car nous nous retrouvons devant la " page blanche " de l’année politique que nous allons écrire ensemble.

Michèle et Patrick ainsi que les élus du Val-de-Marne que je vois dans cette salle : René Rouquet, Serge Lagauche, Jean-Yves Le Bouillonnec, Isabelle Zehra, Laurent Cathala ont eu la bonne idée de me faire débuter l’année à l’Haÿ-Les-Roses. C’est un beau symbole en somme pour un responsable politique socialiste de débuter l’année au milieu des roses, à deux pas de la roseraie de l’Haÿ.

J’aime les roses ! Et elles sont magnifiques à chaque floraison, je vous encourage à aller les voir. Les goûts et les couleurs, cela ne se discute pas mais moi, j’aime la rose rouge. Je ne déteste pas la rose sombre aux couleurs extrêmes, mais elle est bien souvent faite d’apparences, c’est le coté obscur de la rose. J’ai parfois un faible pour le vieux rose aux couleurs d’antan, mais ce rose très à la mode en ce moment est un peu passé. Je ne suis pas fanatique de ces roses aux couleurs du temps qui ne durent q’un instant. Non, j’aime la rose rouge ! La rose qui est authentique et dont l’odeur stimule l’imagination. Enfin, la rose socialiste quoi ! à la fois belle, durable et qui pique lorsqu’on s’y frotte…

Merci donc à Patrick pour cette invitation dans une ville qui a besoin de retrouver avec son maire un peu de bonheur. L’année fut rude pour vous, je le sais. Il ne s’agit pas de l’oublier comme l’a fort bien dit Patrick mais de se tourner vers l’avenir. Et vous avez une belle équipe pour cela…

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Je profite de cette invitation… fortuite… pour vous présenter mes meilleurs vœux à vous d’abord, à la France ensuite, à la gauche enfin.

A vous qui êtes ici, je souhaite une année douce où vous réaliserez vos rêves… Si ce sont les mêmes que les miens, tant mieux ! Je vous souhaite une bonne santé et un peu de bonheur dans ce monde difficile.

Et au delà de vous, j’adresse aussi mes meilleurs vœux à la France, à la France qui peine, à la France qui gagne, à la France qui espère.

Je ne pense pas que la France aille bien, mais les Français n’en sont pas responsables. Ce sont les gouvernants d’aujourd’hui qui bloquent toutes les issues pour la France. Ce sont ces gouvernants qui brident, cadenassent, mutilent l’espoir. Oui ! L’espoir car je n’ai qu’une ambition : redonner l’espoir.

Ce sont ces gouvernants adeptes du " toujours mal " pour les Français et du " toujours moins " pour la France qui provoquent la déprime. J’ai entendu le Premier Ministre fustiger les " déclinologues ", ceux qui dissertent sur le déclin de la France, mais qu’est-il lui même sinon un " déclinopracteur ", un de ceux qui orchestrent le déclin de la France ? Que doit-on penser d’un gouvernement qui explique que son grand œuvre ce sera de réduire le déficit pour le ramener là où il était avant que la droite prenne le pouvoir ? Pire, ceci n’équivaut pas seulement à n’avoir rien fait – ce qu’on pourrait encore leur pardonner – mais à avoir aggravé la situation parce que dans l’intervalle le déficit aura été plus grand, la dette plus lourde, l’avenir plus sombre. Il nous demande de l’humour et de la tendresse, n’est ce pas se moquer de nous.

C’est pourquoi les Français veulent changer la France. Les Français veulent un devenir pour leurs enfants. Ils constatent chaque jour comment la société française s’effrite, s’émiette, s’enkyste. Ils constatent le parcours du combattant qu’il faut faire pour réussir à s’en sortir. Ils constatent l’empilement des inégalités qui finissent par entamer la volonté.

Oui ! La société est en miettes. La France est en panne.

Oui ! Il faut sauver les enfants perdus de la République.

Oui ! Il faut un nouveau cap !

La France a besoin de solutions. La France a besoin d’imagination. La France a besoin de résolution.

Et je placerai donc cette année mon action sous ce triptyque : solution, imagination, résolution.

Il faut se tourner vers l’avenir. Et il ne faut pas croire que les problèmes de la France soient sans solution. Mais pour avancer, il faut d’abord énoncer un préalable. Je l’ai dit lors du congrès du PS au Mans, je le répète aujourd’hui devant vous. Vous m’entendrez le dire et le redire sans relâche : la gauche est prête, et elle ne veut faire ni ce que fait la droite ni ce que fit la gauche.

Nous allons donc donner naissance en cette année 2006 à une " nouvelle gauche " dont le dessein sera la renaissance française. Ce qu’il faut, c’est redonner aux français l’espoir que ça bouge ; l’espoir que leur vie change. Il faut pour cela, faire un immense effort d’imagination, pour soigner les trois plaies françaises : la première s’appelle le chômage, la deuxième s’appelle l’inégalité, la troisième s’appelle la précarité.

Tout se tient. Dans une société précaire où les inégalités explosent, la volonté nationale se dissout. Et là où il n’y a plus de volonté, il n’y a ni protection, ni projection, ni innovation. La nostalgie et la mélancolie dominent. J’en veux pour preuve le succès phénoménal de l’exposition parisienne sur la mélancolie. La France n’est pas tournée vers l’avenir, vers l’espoir nouveau, la conquête de nouveaux droits, la réalisation d’une société juste. Elle tourne en rond et ressasse son passé.

Eh bien tournons la France vers l’avenir ! Montrons aux Français le chemin d’une société juste, combattons la société précaire que construisent jour après jour Nicolas Sarkozy et Dominique de Villepin. Pour cela il faut une volonté. Mitterrand aimait à dire " là où il y a une volonté, il y a un chemin ". Et où il y a un chemin, il y a de nouveau l’espoir pour les millions d’hommes et de femmes qui ne croient plus en rien.

Mes amis,

Tous ensemble nous sommes la force !

Tous ensemble nous sommes le nombre !

Tous ensemble nous sommes l’imagination pour rendre à la France son destin, pour construire son renouveau !

Ce n’est pas une question de recettes ! Les recettes, nous savons que nous les avons : sur le pouvoir d’achat avec la conférence salariale, sur le logement avec notre plan " 200 000 logements ", sur l’école avec le service public de la petite enfance, sur les banlieues avec la recherche de l’égalité réelle et le service civique, sur notre indépendance énergétique avec notre proposition de développement des énergies non polluantes. Que sais-je encore ? Le temps viendra où j’en ferai le catalogue précis et exigeant.

La gauche n’a pas à faire ses preuves, elle sait gouverner !

Par contre la gauche doit incarner un nouveau chemin pour le pays.

Notre but c’est la fin de la " société précaire ", notre moyen c’est de construire un nouveau compromis entre les forces sociales aboutissant à un nouveau partage de la valeur ajoutée.

Je ne veux plus revoir dans mon pays les visages défaits de ces ouvriers que j’ai rencontré chez Sediver dans l’Allier, chez ABB en Seine-et-Marne, ou ceux du textile dans le Nord à Wattrelos. Si la gauche ne s’occupe pas de la protection des ouvriers, qui le fera ? Si la gauche ne s’en occupe pas, alors à quoi sert la gauche ?

Ce sera l’un des grands chantiers de la gauche, peut-être celui qui est le point de départ de tous les autres : bâtir la sécurité sociale du XXIème, une véritable sécurité sociale professionnelle, celle qui protégera les salariés contre les méfaits de la mondialisation. Imaginez mes amis la confiance retrouvée des salariés de notre pays, s’ils se savent protégés. Alors bien sûr, il faudra trouver les financements. J’ai fait une proposition; il peut y en avoir d’autres. Mais quoi qu’il en soit, la France est un pays riche, elle doit trouver le moyen de protéger ses salariés.

Je sais que les Français ont, comme moi, cette envie d’un nouveau départ, ce désir de tourner la page des années Chirac. Je perçois dans mes rencontres avec les Français un espoir pour autre chose, à une France en mieux !

Mes amis,

Ce que je veux vous dire - même si vous le savez déjà - c’est qu’il n’y aura pas d’amélioration avec la droite en place. On ne peut rien faire avec des responsables politiques enferrés dans l’idéologie libérale. Cette droite qui ne veut pas un compromis entre le travail et l’argent mais demande au travail de se sacrifier pour l’argent.

Cette droite qui casse, cette droite qui brise, cette droite qui rogne.

Elle n’est pas l’avenir de la France. Elle n’est que l’image jaunie d’un passé révolu.

Eh bien ! Je forme le vœu qu’en 2006 se lève un vent nouveau, celui du grand changement ! De la grande alternative ! La France doit en finir avec l’UMP et le règne de Jacques Chirac. Il faut le dire, il faut le redire. Nous allons mettre la droite dehors. Cela a commencé dans les régions, cela doit se poursuivre dans la nation !

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Mes amis,

Nous avons appris de nos erreurs passées. Nous avons compris le message des Français, nous avons entrepris de nous renouveler. Nous mesurons la tâche. Elle est immense. Construire le renouveau dans un monde instable n’est pas précisément une sinécure. Mais voilà pourquoi la période est exaltante.

Tout le monde a les yeux rivés, à juste titre, sur le Proche et le Moyen Orient. Et je e suis inquiet comme vous de la double détérioration chez les israéliens et chez les palestiniens. Je ressens l’empêchement d’Ariel Sharon et la déstabilisation de Mahmoud Abbas comme un drame.

Je pressentais l’embourbement en Irak. Je ne vois aujourd’hui qu’une difficile stabilisation.

Je redoutais la dégradation en Iran et je ne vois que l’engrenage. Et faut-il évoquer le Liban ou la Syrie ?

Depuis quelque temps, chacun regarde, et c’est normal, vers l’Est où les Français ont découvert leur dépendance énergétique à l’égard de la Russie de Monsieur Poutine. Il y a trente ans, on qualifiait le régime soviétique de complexe militaro-industriel. Aujourd’hui la Russie est sous l’emprise d’un bloc politico-énergétique. La Russie est un grand pays nécessaire à la stabilité du monde. Mais elle ne peut pas honorer sa place au G8 sans maîtriser sa puissance à l’extérieur de ses frontières, comme à l’intérieur.

Tout le monde s’attend à de nouveaux soubresauts terroristes, tant la haine totalitaire s’est emparée de certains qui détournent les fondements de la religion islamique.

Mais à l’instabilité économique mondiale, à la ligne de feu qui partage le Nord et le Sud, se rajoutent aujourd’hui d’autres préoccupations.

D’abord les pandémies qui se propagent comme la grippe aviaire où l’on nous tient dans l’ignorance et où nous prenons du retard. Je veux m'arrêter un instant sur ce sujet. Le développement de la grippe aviaire nous montre a quel point les relations internationales ne peuvent plus se limiter a la géopolitique et a l'économie. L'avancée de la maladie en Chine et en Turquie appelle de nouvelles réponses, je veux me prononcer devant vous pour un droit d'ingérence sanitaire à l'échelle mondiale. C'est une question de solidarité et de responsabilité. De solidarité, car nous ne pouvons détourner notre regard de la santé de peuples entiers, même quand la maladie n’est pas chez nous. De responsabilité, car dans le monde global où nous vivons, les pandémies n'ont pas de frontières. J'entends porter cette idée dans les semaines qui viennent.

A tout cela s’ajoute une question nouvelle qui va prendre le monde à revers : l’Amérique Latine. Regardez comment les peuples d’Amérique Latine recherchent par approximations successives un autre chemin. Je ne parle pas seulement de Morales après Lula ou Chavez mais de la possible victoire de la gauche au Chili. La donne se modifie !

Face au libéralisme échevelé, à la banqueroute des États, à l’extrême pauvreté, au talon de fer américain, ces peuples recherchent un renouveau à gauche. Je ne sais pas à cette étape comment réagira l’administration Bush qui voit dans l’Amérique Latine son arrière-cour, mais ce que je sais c’est qu’en 2006, c’est le tour de l’Amérique Latine.

Mes amis,

Dans un monde instable, il faut une vision claire et des idées neuves.

C’est le cas pour l’Europe. Malheureusement, tout ce que nous avions prévu se réalise. Il n’y a ni plan B, ni budget viable, ni projet praticable. De tous les défauts de la décennie Chirac, celui-là est le plus tragique car il handicape notre avenir tout en précarisant notre présent.

Il faut une relance Européenne. Cet après-midi à Bruxelles, j’ai réuni, autour de mon association " A gauche en Europe ", plusieurs cercles de réflexion venus de toute l’Europe. Nous avions là des Français, des Anglais, des Allemands, des Italiens, des Espagnols, des Hongrois, d’autres encore. Nous faisons plusieurs propositions pour avancer. Le traité constitutionnel ayant été rejeté par les Français, je propose avec des acteurs majeurs de toute l’Europe un nouveau chemin pour l’Europe politique. Cette question a divisé le pays, comme elle a divisé la gauche. Ceci est derrière nous, mais on ne peut faire comme si rien ne s’était passé. Je sais tourner les pages, mais je n’ignore pas ce qui était écrit dessus.

Voilà pourquoi je veux former un vœu pour la gauche. Comme vous tous, je regarde alentour et aucun des mouvements ne m’échappe, ni l’embellie des uns, ni la précipitation des autres, ni l’activisme des derniers. Tout cela est bien, mais je ne vois là ni programme ni stratégie.

Je vois par contre, comme vous tous, la difficulté à s’unir, à se rassembler. C’est pourquoi je suis fier d’avoir réuni la gauche contre l’aspect prétendu positif de la colonisation. Non seulement contre le texte lui même, évidemment. Mais contre ce qu’il exprimait avec le soutien de toutes les droites : une tentation fâcheuse à regarder Le Pen au fond des yeux !

Mais voilà la gauche est bêtement divisée et moi, je ne veux pas revivre 2002. Si une candidature unique était possible, si elle se révèlait praticable via des primaires, je serai le premier à dire " bravo " ! Mais pour cela, il ne fallait pas construire le mur des deux gauches au travers d’un référendum incertain. Et nous voilà empêtrés maintenant sur la question de la présence des trotskystes à un sommet de la gauche. Franchement nous frisons le ridicule. Il y a d’autres questions plus graves, plus urgentes, plus déterminantes pour le pays. Parfois on croit rêver !

Le PCF, les Verts, la LCR vont avoir dans les semaines à venir leur congrès. Tout le monde comprend qu’ils soient dans l’attente. Il faut prendre cela en compte et faire des propositions nouvelles. Je mets donc en discussion une proposition en deux points : un programme minimum de critique de la droite et un programme commun de gouvernement.

Nul ne peut être exclu de ce programme minimum de critiques radicales des années Chirac. Maintenant que la droite a gouverné, chacun peut constater que la droite et la gauche ce n’est pas du pareil au même. Une première déclaration fixerait donc le cadre du deuxième tour : tous contre la droite. Et cette déclaration définirait aussi la ligne de conduite de tous au premier tour : personne ne doit confondre la gauche et la droite.

Mais d’un autre coté, nul n’est obligé de gouverner avec nous. Aussi, dans un deuxième temps, nous pourrions avec ceux qui veulent concrètement changer la politique de la France, construire un programme commun. Il doit être audacieux et réaliste, alternatif et praticable.

Il ne s’agit pas d’un programme unique de la gauche mais d’un programme commun de formations qui ont un objectif clair : gouverner ensemble pour le renouveau économique et social de la France. Il doit être court, dix questions d’urgence à traiter en cinq ans. Il doit être novateur, il doit s’agir d’un contrat durable, une sorte de gouvernement du bien public.

Vous comprenez que la première déclaration commune contre la droite m’importe moins que le programme commun pour la France. Je ne souhaite pas ouvrir un débat programmatique avec la LCR, Arlette Laguiller, ou Jean-Pierre Chevènement. Cela tournerait obligatoirement au débat idéologique, à la confusion, aux délimitations artificielles. Mais je souhaite créer les conditions de l’union, un renouveau et de l’action et surtout de la distinction entre la droite et la gauche. C’est essentiel pour redonner espoir au pays.

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Pour ma part, vous le voyez, je travaillerai à l’alternative.

J’irai à mon rythme sans me laisser influencer par les modes successives. Je suis un homme libre et je dirai ce que je pense. J’ai aussi des obligations socialistes et en tant que secrétaire national aux élus, je compte déclencher dans le pays un grand mouvement de contestation d’élus que la France ait connu. Je trouve lamentable, inexcusable, l’étranglement des libertés locales. Je trouve condamnable cette tentation, chaque jour renouvelée par le gouvernement, de faire supporter aux élus locaux les turpitudes de son action.

Moi je suis prêt, j’ai une orientation, des solutions. J’ai mon calendrier et je m’y tiendrai. Je ne précipite rien, je n’exclus rien. Je trace ma route parce que je veux faire mûrir et grandir une grande union populaire pour redonner l’espoir. Je la sens là parmi nous, prête à se déployer.

Je l’envisage, je l’imagine. Mais c’est une autre histoire. Aujourd’hui ce n’étaient que les vœux. Ceux d’une renaissance française, portée par une gauche rassemblée, d’un espoir enfin retrouvé traduit par un gouvernement répondant à l’urgence publique. Voilà notre feuille de route, alors, en attendant comme le dit ce beau film de George Clooney : " Good night and good luck ! "


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