Nous avons rendez-vous avec l'histoire

Dominique Strauss-Kahn
Intervention de Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, lors du conseil national de la motion A, le 21 septembre 2004.


 
Mes Camarades,

En raison de circonstances qui ne nous appartiennent pas pour l’instant de juger, nous avons un rendez-vous dans l’Histoire, nous avons rendez-vous avec l’Histoire.

Le débat qui surgit avec âpreté dans nos rangs ne parle pas d’Europe ou pas simplement d’Europe. Il traite de nos marges de manoeuvre dans la mondialisation, du rapport de force entre le socialisme et le libéralisme.

La controverse qui nous assaille n’a pas seulement à voir avec un traité qui présente, chacun le sait, moins d’inconvénients que celui de Maastricht, mais avec la stratégie de l’Europe politique ouverte par François Mitterrand dans son discours au Parlement européen où il évoqua la perspective d’une constituante européenne.

La polémique qui monte n’a rien de secondaire, elle n’est pas mesquine, elle porte sur le socialisme, comme pratique de l’émancipation.

Mes Camarades,

On ne peut évoquer l’hyper puissance américaine, on ne peut souligner à juste raison la puissance du modèle anglo-saxon et son culte du marché et faire croire ou mine de croire que la gauche française, seule, pourrait faire pivoter l’univers sur l’axe de ses exigences.
On ne peut regretter une majorité conservatrice au Parlement européen, condamner le libéralisme de la commission au point de voter contre et faire croire ou mine de croire que le rapport de force est favorable à l’instauration d’une Europe aux couleurs du socialisme français. Aller dans cette direction sans projet, sans stratégie de sortie, sans rapport de force a un but : la crise, mais aussi un nom : l’aventure.

Mes Camarades,

Lorsque l’on propose à son parti, à fortiori à son peuple, un chemin, il faut s’assurer qu’il est praticable mais surtout il faut en mesurer les conséquences. Elles sont parfois pires que celles que l’on dit combattre.

Le Parti socialiste disant « non » au Traité constitutionnel, c’est la France qui se dérobe et l’Europe qui s’étiole. Qui peut croire que ce splendide isolement serait profitable à la France, aux Français et d’abord aux plus faibles d’entre eux ? Comme au moment de la sortie du SME, ou lors des Traités de Maastricht ou d’Amsterdam, on nous joue au clairon l’air de la pause. Comme ils le disaient déjà hier, nous serions fourbus de porter le destin d’une Histoire Européenne que nous devons partager avec d’autres peuples. Mais hier nous avons tenu bon. Nous avons toujours tenu bon, et tous les 1ers ministres socialistes ont tous maintenu cette ligne là.

Mes Camarades,

Le « non » n’ouvrirait pas les portes à une avancée du socialisme, un « non » ne modifierait pas le rapport de force mondial. Pire le « non » détruirait ce que nous avons pu conquérir dans ce rapport de force défavorable, la Charte des droits, la délégation des objectifs sociaux de l’Union, le début de reconnaissance des services publics. Il déboucherait sur une défaite de notre socialisme en Europe. Alors que nous faisons bouger le centre de gravité vers nous. Rejeter tout dans un geste impatient serait infantile.

Mes Camarades,

Les socialistes ont un but pour l’Europe. Ils ont une méthode. Ils ont une conviction. Nous devons respecter les trois, ne rompre avec aucun !

Quel est aujourd’hui notre but ? L’Europe politique. Le pari de nos anciens de construire l’Europe économique par touches successives créant le grand marché. Celui-ci est aujourd’hui achevé avec l’entrée des peuples qui se sont libérés du stalinisme.

Mais personne ne peut croire que c’est le marché qui produira de l’Europe sociale. Rater la marche du Traité de Bruxelles, ce n’est pas seulement rater la première marche vers l’Europe politique, c’est la mettre en panne devant des libéraux qui riront sous cape. Impayables Français qui, alors que pour la première fois l’Europe s’écarte du marché, font tout pour y revenir.

Si le Traité est rejeté, il n’y aura pas avant longtemps de deuxième traité permettant d’avancer vers l’Europe politique. Si le traité est adopté, il faudra mettre en chantier le suivant immédiatement. Ce deuxième traité comme méthode, comme transition, comme débouché, nous devons déjà le revendiquer pour éclairer le « oui », pour lui donner sens. En sachant déjà qu’il sera lui aussi un compromis…

Mes Camarades,

Il y a quelques jours, je présentais cette perspective au Président polonais. Il me faisait état de l’ambivalence polonaise. A la fois pour l’Europe, et son modèle social mais distante parce qu’ils n’y ressentent plus la solidarité des origines. On peut dire comme Jacques Chirac « qu’ils s’en aillent s’ils ne veulent pas de nous ». Mais si la Pologne s’éloigne de l’Europe, ce sont les Etats-Unis qui s’installeront aux portes de la Russie, et Rumsfeld aura tôt fait de prendre le couple franco Allemand en tenaille avec l’Angleterre. La crise ce n’est pas seulement l’arrêt de l’Europe politique c’est aussi la défaite de l’élargissement et dans une certaine mesure la porte ouverte aux Etats-Unis.

Mes Camarades,

L’Europe politique c’est l’Europe continent. Mais cela ne sera jamais la France régnant sur l’Europe.

Il faut découpler notre modèle politique de la marche à l’Europe politique. Car si nous attendons que l’Europe soit républicaine pour soutenir l’Europe alors nous ne la soutiendrons jamais. Puisque nous avançons vers l’anniversaire de 1905, on peut se rappeler que cette question de méthode était au centre des débats entre Guesde et Jaurès. Jaurès ne subordonnait jamais la construction de la République à l’édification du socialisme. S’il avait fallu attendre la réalisation de la République socia-le, il n’y aurait jamais eu de république. La preuve, elle n’est pas achevée aujourd’hui. L’Europe jusqu’au bout c’est la république européenne, mais le préalable de l’Europe républicaine c’est de faire un premier pas vers l’Europe politique. Vous le voyez, le Parti socialiste ne peut être le « Monsieur Niet » de la gauche européenne. Il s’isolerait durablement et détruirait ce succès que nous avons commencé à bâtir avec l’élection de Poul Nyrup Rasmussen à la tête du PSE.

Mes Camarades,

Au moment où la France n’est pas encore totalement intégrée à un nouveau continent politique mais plus tout à fait un Etat nation, le socialisme français doit avoir l’Europe politique comme nouvelle frontière. Plus que jamais on peut dire qu’il ne faut pas moins d’Europe, il en faut plus. Un exemple, les délocalisations. Ce dont nous avons besoin c’est d’un fond européen qui gère les délocalisations financé comme je l’ai proposé, par un impôt sur les sociétés.

Et de grâce que l’on nous épargne les discours nationalistes … où l’on déplore les subventions européennes qui permettraient les délocalisations tout en refusant de se prononcer sur la PAC qui soutient une agriculture productiviste contre des pays plus pauvres.

Vous voyez c’est dans l’Europe que l’on retrouve le socialisme. Contre l’Europe, on ne retrouve pas la gauche, mais le libéralisme pour tous et le nationalisme pour chacun.

Ce débat n’est pas mesquin, c’est une controverse qui est fondatrice d’un destin commun.

Mes Camarades,

Comme vous tous je redoute que ce débat chevauché par des arrières pensées nous conduise à une division durable. Comme vous tous, je connais nos défauts et la dynamique du ressentiment. Comme vous tous, je mesure les conséquences de cette situation sur notre prochain programme. Et je ne puis m’y résoudre. Il faut travailler à l’union, non pas comme un slogan qui dirait « pouce » au débat, mais en sachant qu’il nous faudra réduire la « fracture socialiste ». Préservons l’union entre nous et dans le parti.

Et là, certains ont plus de responsabilités que d’autres. François bien sûr, Pierre, Michel, Martine, Bertrand, et évidemment Lionel. Mais vous aussi, André et Serge.

Je comprends vos préventions. Je ne sous-estime pas vos raisons. Je mesure votre réflexion. Je sais que vous ne vous prononcez pas seulement sur ce traité. Votre vote, comme celui de nombreuses fédérations pèsera lourd. Vous avez, à nouveau, le poids de l’Histoire sur les épaules. Je forme le voeux que nous en soyons tous dignes.

Maintenant battons nous, l’enjeu est celui de notre génération. Il nécessite détermination, raison, convictions, mais aussi rassemblement, ce n’est pas hors de notre portée. Moi, j’ai confiance en vous car ce combat ne dépend pas de l’un d’entre nous, quel qu’il soit. Ce combat, il ne peut être mené qu’avec vous tous.


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