Un choix socialement injuste et économiquement inefficace

Dominique Strauss-Kahn
par Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise
Entretien accordé au quotidien Le Monde daté du 5 septembre 2003
Propos recueillis par Hervé Gattegno


 

M. Raffarin a choisi de continuer la baisse de l'impôt sur le revenu. Contestez-vous ce choix ?
Je le dénonce. Dans la situation actuelle, ce choix n'est pas responsable. Il est socialement injuste : 10 % des contribuables les plus aisés captent à eux seuls 70 % des gains fiscaux. Economiquement inefficace : il ne soutient pas la croissance, car les ménages à hauts revenus ont tendance à épargner plutôt qu'à consommer. Et politiquement disqualifiant : alors que la France aurait besoin d'entraîner ses partenaires dans une initiative de croissance européenne, le niveau de nos déficits nous interdit tout leadership. La crédibilité du gouvernement - et, plus grave, celle de la France - est atteinte. Nous subissons aujourd'hui un vrai " choc de confiance ".

Le premier ministre annonce aussi une forte revalorisation de la prime pour l'emploi (PPE) ; peut-on vraiment parler d'" injustice " ?
Cette revalorisation vient après l'annulation d'un plan de hausse du gouvernement Jospin qui prévoyait, lui, le triplement de la prime ! Surtout, l'augmentation de la PPE représente 500 millions d'euros, répartis sur 10 millions de foyers modestes, quand la baisse de l'impôt sur le revenu représente 2 milliards, largement concentrés sur les plus aisés. Sans compter le nouvel accroissement de l'avantage fiscal pour les emplois à domicile, qui s'ajoute à l'allégement de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) et au doublement du plafond de défiscalisation des plus-values financières. Cette politique est donc bien marquée du sceau de l'injustice. Comme nous sommes très loin d'être en période de surplus budgétaires, les gains des uns sont financés par l'endettement des autres. Endetter le pays pour faire des cadeaux aux plus riches : voilà la cohésion sociale selon M. Raffarin.

Le gouvernement plaide, devant l'Europe, qu'il laisse provisoirement filer les déficits pour privilégier le soutien à la croissance. A-t-il raison ?
Le pacte de stabilité n'est pas une règle éternelle. Il a été utile pour la convergence des pays européens vers l'euro, mais il n'est pas sûr qu'il soit totalement adapté à la conduite de la politique économique de la zone euro. Il faudra donc le réformer, avec nos partenaires, et à froid. Mais le problème n'est pas de dépasser le seuil des 3 % de déficit public - nous sommes déjà à 4 % ! - mais que la confiance se soit envolée, chez les consommateurs comme chez les investisseurs. Relâcher les contraintes parce qu'on est incapable de tenir ses engagements aggraverait encore la crise de confiance. M. Raffarin n'ose même pas annoncer le niveau de déficit pour l'an prochain ; il le masque, comme il masque qu'on s'achemine vers une sanction communautaire de quelque 5 milliards d'euros qui seront gelés, puis confisqués si nous ne redressons pas les comptes. La politique économique française est en déshérence.

Mais comment réduire le déficit de l'assurance-maladie ?
Il n'y a que deux pistes. D'abord, la maîtrise des dépenses de santé : le gouvernement a fait l'inverse depuis quinze mois ; c'est en partie ce laxisme qui mène à l'impasse financière. L'autre piste : trouver des recettes ; et quand les bases s'essoufflent à cause de la faiblesse de la croissance, il n'y a pas d'autre solution que d'augmenter les taux. Cette politique conduit donc inéluctablement à une hausse de la CSG.

Croyez-vous à une relance par l'offre ?
Avec un taux de chômage de bientôt 10 %, une consommation exsangue et des investissements en récession, le problème de la France, c'est la demande - donc, à nouveau, la confiance : au lieu de phrases creuses, il faut une politique claire de soutien de la croissance, des perspectives crédibles, des engagements respectés.

Que répondez-vous à ceux qui accusent les socialistes de n'avoir pas utilisé la croissance pour réduire les déficits ?
Nous avons laissé le déficit à un niveau très acceptable : 1,4 % du PIB fin 2001. On aurait sans doute pu aller plus loin. Mais n'est-ce pas M. Chirac qui prétendait qu'il y avait une " cagnotte " ? Ne polémiquons pas sur le passé : chaque gouvernement considère qu'il trouve une situation exécrable, c'est la loi du genre. Ce qui compte, c'est ce qu'il fait pour améliorer la situation. Six mois après l'arrivée de Lionel Jospin, les comptes publics étaient redressés et la France se trouvait qualifiée pour l'euro. La croissance était hésitante mais la volonté politique sans faille. Plus d'un an après la réélection de M. Chirac, la dégradation est massive ; l'OCDE juge qu'elle est due aux deux tiers aux décisions de politique économique et non à la conjoncture.

Êtes-vous d'accord pour faire du lundi de Pentecôte un jour travaillé ?
A première vue, la mesure semble généreuse : un geste de solidarité pour les aînés. Mais, s'il s'agit simplement de faire travailler les Français un jour de plus, elle est absurde. Elle repose sur l'hypothèse qu'une journée de travail supplémentaire produira un surcroît de valeur ajoutée. Mais nous ne sommes pas dans une économie soviétique : il ne suffit pas de décréter une journée de travail en plus pour produire tant de millions de boulons supplémentaires ! Ce serait croire que la croissance est bridée parce qu'il n'y a pas assez d'heures travaillées, alors que nous avons 10 % de chômeurs ! Si la croissance est bridée, c'est à cause de la demande : personne ne veut acheter les boulons. Alors, si ce que veut le gouvernement c'est seulement créer une nouvelle taxe sur les entreprises, je ne suis pas sûr que le Medef continuera d'applaudir avec autant de force.

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