La nouvelle gauche

par Jean-Christophe Cambadélis, Jean-Marie Le Guen, Pierre Moscovici et Dominique Strauss-Kahn
Point de vue paru dans le quotidien Le Monde daté du 1er octobre 1992




Jean-Christophe
Cambadélis



Jean-Marie
Le Guen



Pierre
Moscovici



Dominique
Strauss-Kahn



Les Français ont voté " oui " au terme d'une campagne longue et passionnée, qui a donné lieu à un débat approfondi. C'est le bon choix pour la France, qui sera plus forte au milieu des autres pays ; pour la Communauté, qui a besoin de l'union pour être pleinement une zone de paix et de prospérité ; pour l'Europe entière, qui doit y trouver un modèle d'organisation et de société ; pour le monde, enfin, car l'Union européenne sera un facteur d'équilibre dans les relations internationales.

Pourtant, au lendemain de cette victoire sans triomphe, l'on ne peut se retenir d'éprouver une sourde inquiétude ni de se poser certaines questions. Car tous les commentaires sont convergents, toutes les constatations sur le terrain l'attestent : la perte de confiance dans la gauche, qu'elle soit protestataire ou gestionnaire, est patente.

La gauche communiste reste largement empêtrée dans le sectarisme du dogme pourtant disparu. La gauche dite alternative ne cherche qu'à sanctionner le PS. L'écologie politique est déchirée en familles qui piaffent d'impatience, à la recherche de n'importe quelles perspectives gouvernementales. Le mouvement syndical, replié sur ses bastions gestionnaires pour les uns ou engagé dans la contestation outrancière pour les autres, voit se multiplier, impuissant, les coordinations plus ou moins corporatistes, sans parvenir à enrayer la désaffection dont il souffre. Quant à la gauche socialiste, elle éprouve bien des difficultés à penser à son avenir. Bref, la gauche n'arrive plus, aujourd'hui, à offrir une réponse politique à la demande de ceux qui se reconnaissent dans ses valeurs.

La politique a horreur du vide, et la combinaison du nationalisme et du populisme vient naturellement occuper l'espace ainsi délaissé. Là est le danger : la convergence de la protestation et du protectionnisme constitue, en effet, une alliance redoutable, parce qu'elle débouche infailliblement sur le triomphe d'une droite dure. Déjà, on entend ici ou là, sous couvert d'alternance, les rumeurs délétères de la revanche, exprimant, en résonance avec un phénomène mondial, un nationalisme rampant dans la société française, nationalisme qui vient de faire la démonstration de sa domination à droite.

La régression pointe son nez

C'est un danger pour la démocratie. En effet, si la droite " classique " se refusait à prendre ses distances avec ce courant national-populiste qui gagne ses propres rangs, l'alternance pourrait mettre en place des forces qui ne seraient pas réellement démocratiques. Déjà, le refus de la cohabitation par Jacques Chirac trahit la pression de cette aile droite radicale. Demain, elle réclamera la remise en question de la politique de solidarité pour la ville, du budget et du cadre national de l'éducation, de l'ambition culturelle, de l'effort de recherche, de l'immigration, de la politique industrielle, sans parler de son refus de quelconques avancées franco-allemandes au nom d'une construction européenne qu'elle ne tolère qu'au rythme de la tortue. En somme, derrière un échec de toute la gauche et la montée de cette droite populiste, la régression pointe son nez.

Ne cédons pas à la facilité : n'imaginons pas que notre défaite serait une promenade de santé, avec un hypothétique retournement de l'opinion lors de l'élection présidentielle. La cure d'opposition souhaitée par certains ne ferait qu'accentuer le cours actuel des événements par la multiplication des recours aux solutions individuelles.

Comment, dans ce contexte, opérer une recomposition qui redresse la gauche ? Il nous faut, d'abord, écouter et entendre ce qui vient d'être dit lors du référendum, confirmant en l'amplifiant le message des régionales. Les Français veulent inscrire leur destin dans l'Europe, mais ils veulent une Europe plus sociale et plus démocratique. Ils souhaitent ardemment des politiques économiques qui prennent résolument le parti de la croissance et de l'emploi. N'y a-t-il pas, aux États-Unis aussi, dans l'audience de Bill Clinton, la recherche de ce retour de l'Etat ?

Mais nombre de Français attendent le réveil de la gauche et ne se reconnaissent plus complètement dans son expression institutionnelle. Ils exigent une société politique moins distante, plus à l'écoute de leurs attentes et de leurs besoins, capable de sacrifier ses ambitions au service des autres. Enfin, ils espèrent une affirmation claire de l'identité française et une manifestation forte de l'autorité de l'Etat dans l'Europe, face aux risques de dilution qui le menaceraient.

Une alliance démocratique

Ce que nous voulons, c'est que les forces politiques de progrès apprennent, par un travail sur elles-mêmes puis les unes avec les autres, à unir les convictions européennes, les valeurs et pratiques du socialisme et les exigences de l'écologie. En somme, c'est d'une nouvelle gauche qu'il est maintenant question. Ne nous trompons pas de message ni de calendrier. Les Français ne croient pas aujourd'hui à la constitution d'une improbable coalition du " oui " à l'occasion d'élections parlementaires hâtivement convoquées. Ils ne souhaitent pas davantage le triomphe de ceux qui ont combattu pour le " non ", à travers la victoire de la fraction radicale de l'opposition (Pasqua, Séguin, Villiers).

Quelle doit être, dans les mois et les années qui viennent, notre démarche ? Les législatives sont devant nous et, avec elles, la nécessité de bâtir nos alliances. Plus que des circonscriptions et des postes ministériels, nos partenaires attendent de nous un contrat politique, qui respecte la diversité des aspirations de la gauche. Il n'y a pas de voie royale dans la marche vers la recomposition. La négociation au sommet ne saurait prévaloir sur les liens qui se nouent au quotidien sur le terrain : laissons se développer les convergences locales et départementales, les synergies à l'oeuvre dans les conseils municipaux ou régionaux.

Cette démarche ne saurait se réduire à repeindre hâtivement le Parti socialiste aux couleurs du temps, tout en lui conservant sa volonté hégémonique d'hier. Elle ne peut pas, non plus, se contenter de l'espoir d'un retour à l' " âge d'or " d'Epinay. Elle implique un nouveau dessein collectif, l'émergence d'une alliance démocratique, capable de faire pièce au national-populisme et à tous ceux qui sont tentés d'y céder pour des raisons électorales. Alors pourra s'engager la dynamique d'une gauche européenne qui affirme, à côté de la préoccupation sociale et de la justice, le droit d'ingérence et l'écologie.



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