Traité constitutionnel | |
Entretien avec Dominique Strauss-Kahn, député du Val-d'Oise, sur l'antenne de France Inter le 10 septembre 2004 Propos recueillis par Stéphane Paoli |
Quel est donc le sens politique de ces convictions posées par Laurent Fabius au président de la République ? Jacques Chirac ne peut seul y répondre puisque ce qui touche à l’économie de l’Union européenne demande, en tout cas pour être modifié, l’accord des 25 membres de l’Union. Laurent Fabius exige une réforme du pacte de stabilité, un budget amplifié pour la recherche et la formation, une harmonisation fiscale, un cadre pour des services publics garantis, le non sauf si de Laurent Fabius est-il un non tout court, pas tout à fait prononcé ? Invité de “ Question directe ”, Dominique Strauss-Kahn, député socialiste du Val d’Oise, ancien ministre de l’Economie et des Finances, bonjour. Quelle est votre lecture de ce que nous avons tous entendu hier soir ?Quand on a été Premier ministre de la République et qu’on pose des conditions à un chef d’Etat, mais qu’on sait parfaitement que le chef d’Etat ne peut y répondre puisque ces conditions exigent l’unanimité des 25. Qu’est-ce qu’on fait ? Pourquoi fait-on ça ?Et donc, on en vient à votre remarque : c’est que quand on pose des conditions dont on sait que celui auquel on s’adresse ne peut pas les mettre en œuvre, ne veut pas les mettre en œuvre, ce n’est pas sa politique. Mais quand bien même il le voudrait, il ne le pourrait pas. Il faut l’accord des autres.Et puis honnêtement, moi je vois une troisième contradiction qui, pour moi, est peut-être la plus importante, c’est que vouloir se présenter en homme d’Etat, d’une part, mais remettre son choix entre les mains de Jacques Chirac d’autre part, ne me semble pas raisonnable. Je crois que, sur un Traité qui engage l’avenir des Français, l’avenir de la France, l’avenir de l’Europe, il faut être capable de se mouiller, de donner son sentiment, pour ou contre. Tout est respectable ; même si moi je suis en faveur du " oui ", je comprends très bien que certains puissent être en faveur du " non ". Mais on ne peut pas dire : " en fait mon choix définitif dépend de mon adversaire ". Mais alors, est-ce qu’au fond l’analyse de Bernard Guetta est celle qui devrait prévaloir ? Est-ce que c’est un choix personnel ? Est-ce que c’est une stratégie personnelle ? Mais alors, Laurent Fabius fait quoi ? Il se positionne pour la présidentielle ? Parlons clair dans un débat qui ne l’est pas tellement.Le sujet du jour c’est : est-ce que nous voulons ou pas ce Traité ? Et puis il y a d’autres sujets du jour peut-être aussi importants. Mais voyez-vous pourtant, c’est si simple, cette histoire. Vous dites que c’est compliqué, c’est si simple. Il y a des choses qui ne me plaisent pas dans ce Traité, c’est vrai, comme à d’autres, comme à probablement tous les hommes et les femmes de gauche. Mais il faut reconnaître que ce qui ne plaît pas est ancien, c’est déjà dans les textes précédents. Ce texte, c’est une sorte de synthèse de ce qui existe. Donc, il y a des choses qui ne plaisent pas, mais ça ne plaît pas depuis le Traité de Rome, depuis le Traité d’Amsterdam. On essaye de le changer, on n’a pas réussi à tout changer ; cela continue de ne pas plaire. En revanche, il y a des progrès, et ceux-là il faut quand même les souligner… toujours passer à côté du fond. Le fond, c’est quoi ? C’est que, pour la première fois, on a un Traité européen qui se donne comme objectif le plein emploi, le progrès social ; pour la première fois, dans les objectifs de l’Europe, il y a la lutte contre les discriminations, l’égalité des sexes, pour la première fois il y a des progrès démocratiques dans la puissance du Parlement européen, dans les institutions, la façon dont cela va fonctionner, l’existence d’un président qui aura un véritable pouvoir, et donc il faut partir de là, et puis continuer. Vous savez, les traités européens, on en a maintenant tous les quatre/cinq ans. Oui, sauf que là vous rentrez de Pologne et vous tirez la sonnette d’alarme. Vous rentrez en disant attention, on est en train de bloquer complètement l’Europe.C’est celui là qui pourrait faire… je veux dire, la question des délocalisations, qui pourrait faire le plus de mal à notre vision de l’Europe ?C’est un peu le même genre de démarche : " on va demander aux autres de régler notre problème ". Il faut qu’on règle, nous, notre problème. Et c’est quoi notre problème ? C’est que, lorsqu’il y a des difficultés de ce genre, la solidarité publique et l’action publique, doivent être engagées. Et moi, je propose que, lorsque les entreprises risquent de quitter le territoire parce qu’elles ont des problèmes financiers - on entendait tout à l’heure l’entreprise Klaxon en Normandie dont le dirigeant disait “ nous avons trop de dettes ” ; très bien, alors il faut régler le problème de la dette, il faut l’intervention publique pour ça. Et moi, je pense qu’il faut l’intervention publique en capital, c’est-à-dire ce qu’on m’a reproché parfois parce que le mot sonnait vieillot, ce que j’appelle des nationalisations temporaires. C’est-à-dire que oui, la puissance publique intervient en capital pour un temps, pour sauver l’entreprise… Dominique Strauss-Kahn, on va vous opposer que les socialistes demandent toujours l’intervention
de la puissance publique quand cela ne va pas.Je posais, il y a 48 heures, à peine la question à François Chérèque, le secrétaire général de la CFDT, cette question centrale en effet des délocalisations. Lui répondait d’abord que, un, que la Confédération européenne des syndicats est favorable au " oui ", et que deux, peut-être que le meilleur moyen de répondre aux délocalisations c’est de mettre en œuvre des, je ne sais pas, des politiques ou des grands projets à l’intérieur même du tissu européen, qui permettent de re-dynamiser tout ça.Ces pays qui viennent d’entrer dans l’Europe ont besoin de se développer, et on ne nous fera plus le coup de l’Espagne. Rappelez-vous : quand l’Espagne est entrée dans l’Union, on a dit " cela va tout détruire " ; et puis on s’est aperçu qu’au contraire, heureusement, le développement formidable de l’économie espagnole servait l’Union. De la même manière, le développement des pays qui viennent d’entrer dans l’Union servira l’ensemble de l’économie de l’Union. Mais la période de transition est dure ; alors, il faut la gérer ensemble, et il faut en effet, qu’ensemble, par la coopération… Car l’Europe, c’est le travail coopératif, c’est travailler ensemble, ce n’est pas montrer les autres du doigt et se faire la guerre. Si l’Europe a réussi depuis 50 ans, ce qu’elle a réussi en tout cas, c’est parce qu’elle a su le faire en travaillant la main dans la main. Alors il faut que les syndicats français et polonais, les responsables politiques français et polonais, - il n’y a pas que la Pologne, je prends cet exemple là - travaillent ensemble, plutôt que de s’envoyer des invectives à la figure. Encore deux choses importantes quand même. Il va y avoir ce référendum, comment faire en sorte que tous ceux qui vous écoutent en ce moment y voient clair, sur des questions aussi importantes ? Ce référendum, ce " oui " ou ce " non " à l’Europe, répondra-t-il véritablement à une question qui concernera l’Europe ou est-ce qu’on va répondre au choix personnel et tactique des uns et des autres ?Et vous diriez non là ?Mais si la question est clairement posée sur ce traité, qui encore une fois n’est pas le dernier traité, est une étape, mais comprend des avancées importantes, alors moi je dis qu’en effet il faut y aller, et puis continuer, faire le nouveau Traité, le traité suivant, avec, et c’est la charge que nous devons avoir, tous les socialistes européens. Et ce n’est quand même pas un hasard si tous les partis socialistes et sociaux-démocrates européens, sont pour ce traité, si la Confédération européenne des syndicats, vous le rappeliez tout à l’heure, est pour ce traité, si toute la gauche européenne est pour ce traité. Moi je ne crois pas à cette présentation qui dirait : " nous sommes nous, en France, les socialistes français les seuls hommes et femmes de gauche en Europe, tous les autres n’y comprennent rien ". Il faut cesser cette arrogance. Les Anglais, les Allemands, les Italiens, les Hollandais, les Suédois, sont des hommes et des femmes de gauche aussi, ils ont mené les mêmes combats que nous, parfois avec plus de réussite. Et si tous, unanimement, y compris la Confédération des syndicats, nous disent que ce traité, ce n’est pas une merveille - il n’y en a aucun qui soit une merveille -, mais c’est un progrès, peut-être qu’il faut quand même un peu écouter nos voisins. L’Europe, c’est aussi ne pas croire toujours qu’on est plus malin que les autres. Allez, la dernière chose. Et s’il n’en reste qu’un, dit Claude Allègre, ce sera ?Eh bien de Lionel Jospin !Sauf, pardon, quand même on s’interroge là sur ce qu’a voulu dire Laurent Fabius hier soir, on peut s’interroger aussi sur ce qu’il a envie de faire ou pas Lionel jospin. Je viens, je ne viens pas, j’apparais, je disparais…Non, je parle de la même chose tout le temps. Qu’est-ce qu’on veut en politique et qu’est-ce qu’on fait en politique. |
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